Vendredi 22 Février 2019

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VENDREDI 22 FÉVRIER 2019

Dounia dort tête nue dans le lit de Eun-jung. Celle-ci entre dans la chambre avec un sachet de médicaments et un verre d’eau qu’elle pose sur la table de nuit avant de s’assoir sur le bord du lit et réveiller la jeune française en secouant délicatement son épaule.

— Bonjour… dit Dounia d’une voix ensommeillée avant de faire une grimace en touchant sa main bandée. Il est où mon père ?

— ‘’Au Guest house. Tiens, take this, you… tu auras moins mal.’’

Dounia avale les cachets avec de grandes gorgées d’eau puis touche sa tête, gênée.

— Your beanie … (Ton bonnet est entrain de sécher. Je l'ai lavé, il était sale.) Puis caressant la tête de Dounia avec un sourire soucieux : You’re really crazy. (Tu es vraiment folle.)

— Why I … (Pourquoi je… Pourquoi je suis là ?)

— ‘’Tu peux parle français, je comprends. Je préfère parle anglais, c’est ok for you ?’’

Dounia hoche la tête.

— There is only … (Il n’y a qu’un lit dans la chambre de ton père. J’ai dormi ici sur le canapé. Tu t’es endormie dans le taxi hier soir. Tu étais épuisée. Il faut dormir parfois jeune fille !) Puis, avec l’avoir regardé quelques secondes en silence. Come … (Viens prendre ton petit déjeuner.)

Eun-jung regarde en souriant Dounia dévorer avec un bel appétit son riz et son omelette à la cive de la main gauche avec une cuillère.

— Finally … (Je rencontre enfin la fameuse Dounia. Ton père m’a tant parlé de toi. C’est bon ?)

— Masisseo! (Délicieux !)

— Does your … (Ta main te fait moins mal ?)

Eun-jung regarde Dounia hocher la tête en terminant ses plats et lui demande d’une voix douce :

— Hey young girl … (Hé jeune fille… Pourquoi as-tu fait cette folie la nuit dernière ?)

— Je… Je voulais que Na-ri vous comprenne.

— What? (Hein ?)

— Elle souffre trop… Elle vit dans la colère et la violence… ça me déchire le cœur.

Eun-jung la regarde en silence, des larmes coulant subitement sur ses joues. Dounia prend une de ses mains dans la sienne valide et se met aussi à pleurer silencieusement.

— 나 자신에 … (Il faut que j'arrête de m'apitoyer sur mon sort.), se reprend Eun-jung. You know Na-ri well … (Tu connais bien Na-ri. Dis-moi quoi faire s’il te plait. Dois-je aller la voir ?)

— Je ne crois pas... Laissez-là venir à vous. Elle viendra, j’en suis certaine.

Eun-jung ne peut contenir plus longtemps ses sanglots.

………………….

Pendant ce temps à Susaek-dong.

Sortant de chez elle, Hyun-ae voit Hee-jung faire les cents pas devant sa maison en boitillant avec son attelle.

— 안녕하세요 ... (Bonjour. Tu cherches quelqu'un ?)

— 안녕 아줌마 … (Salut Ahjumma. Kim Na-ri est là ?)

Un peu interloquée par la pimpante désinvolture de la gamine, Hyun-ae la détaille en silence. L’examen doit être positif :

— 야! ... (Hé ! Ahjumma ? Je ne suis pas si vielle ! Vas-y mais sois gentille avec elle. Elle ne va pas bien aujourd'hui.)

— 그녀는 … (Elle est malade ?), s’enquiers Hee-jung, soudain inquiète.

— 어서… (Va vite. C’est la chambre de gauche.)

Hee-jung salue Hyun-ae d’un bref mouvement de tête et s’engouffre dans la maison.

Quelques minutes plus tard, Na-ri boit de l’eau à la bouteille assise dans le fauteuil. Installée jambes allongées dans un angle du canapé, Hee-jung dégustant une bière s’exclame :

— 와 여기 … (Wow, c'est cool ici ! Alors, qu'est-ce qu'il t'arrive ?)

난 괜찮아 ... (Moi ça va… C’est Dounia.)

— 이 미친 … (Elle a fait quoi encore cette folle ?)

— 그녀는 … (Elle s'est cassée un doigt en cognant le mur !), se révolte Na-ri.

— 응? 그녀가 … (Hein ? Elle l'a fait exprès ?)

— 아니하지만 … (Non mais tu te rends compte ? On s'est disputées et plutôt que me frapper, elle a cogné le mur !)

— 그녀는 ... (Elle est vraiment folle... Ou alors très courageuse.)

— 당신이를 ... (Si tu avais vu ça... J'étais énervée, j’ai levé le poing, elle m'a regardé calmement en disant « frapper »... Et elle a cogné le mur de toutes ses forces ! Je ne te dis pas comment je me sens, là. Comme une merde...)

— 우와 ... (Wouaaaah ! Putain la honte...)

— 난 더 … (Je ne pourrais plus la regarder en face.)

— 그녀는 … (Elle a voulu te donner une leçon.)

— 알아. (Je sais.)

— 솔직히 … (Franchement Na-ri, tu le mérites. On en a tous marre de tes colères.)

Na-ri regarde un instant son amie d’enfance dans les yeux puis baisse la tête pour lui dire d’un ton accablé :

— 알아 ... (Je sais… J’ai revu ma mère.)

— 그래서 … (Alors elle est bien vivante... Mais... Na-ri... Tu pleures ?)

Peinée, Hee-jung s’approche de son amie et se penche sur elle pour lui tapoter légèrement son épaule, gênée.

— Na-ri… 당신이 … (Je ne t'ai pas vue pleurer depuis l'école primaire...)

Plus tard…

Na-ri s’est ressaisie et les deux amies se font face, assises jambes croisées sur le canapé.

— 희정 ... (Hee-jung... T’as déjà embrassé une fille ?)

— 됐 거든 … (Non merci ! J'aime trop les mecs !), s’exclame-t-elle après avoir éclaté de rire… avant de rajouter, provocante. 나는 ... (J’adore leur bite…)

— 그만 … (Arrête…), s’écrie Na-ri, gênée. 그러나 … (Mais t’en penses quoi des filles qui… ?)

Hee-jung hausse les épaules.

— 레즈비언 ... (Des lesbiennes ? Je m'en fiche. Les gens font ce qu'ils veulent.)

— Dounia가 옳 … (Dounia doit avoir raison. Je suis trop coincée.), marmonne Na-ri.

………………….

En fin de matinée, Aimé remonte la petite rue menant chez Hyun-ae d’un pas décidé. Dans sa tête défilent des flash-backs d’images ; la fureur de Na-ri jetant Eun-jung au sol, Dounia s’interposant devant son amie prête à frapper sa mère, Na-ri levant le poing sur Dounia et la folie de sa fille, n’hésitant pas à se blesser pour Na-ri… Il faut qu’il arrête tout ça. Dounia et Na-ri ensemble c’est trop dangereux. Il va demander à Na-ri de ne plus la revoir. Elle comprendra. C’est pour le bien de son amie…

Il titube soudain, vient s’appuyer contre la palissade en posant l’autre main sur sa poitrine. Le déchirement n’a jamais été aussi fort, tout comme la douleur dans le bras droit… Ça va passer. Quelques minutes… Respirant avec peine, il relève la tête, contemple au loin l’immeuble délabré de Na-ri tandis que peu à peu son souffle devient moins pénible.

D’autres images lui viennent. Le regard mort de Na-ri à la station de métro, son réflexe protecteur envers Dounia quand Dong-yul a tendu la main vers son bonnet, la douleur dans son regard quand elle a appris au café les raisons de la disparition de sa mère, Hyun-ae lui disant à quel point Dounia est importante pour Na-ri… Pauvre gosse…

Il se redresse. La douleur est presque partie mais la confusion de son cœur est immense. Non… Il ne peut pas faire ça…

Accablé, il fait demi-tour.

………………….

Un peu plus tard, Ha-ru et Dong-yul remontent la rue menant à leur ensemble d’immeubles lorsqu’un copain de lycée les hèle depuis une rue transversale.

— 야 ! 동율! (Hé ! Dong-yul !)

Il galope vers eux puis reprend, essoufflé.

— 당신은 … (Tu parles anglais toi. Viens. Il y a un étranger complètement bourré chez nous. Mon père ne sait pas quoi en faire.)

Accourant, Ha-ru et Dong-yul reconnaissent Aimé affalé sur une des petites tables en fer installées sur le trottoir. Sur la table, quelques restes de Jokbal, une bouteille de soju à peine entamée et deux canettes de bières vides. Le père sort du restaurant et s’adresse aux garçons penchés sur Aimé.

— 그를 … (Vous le connaissez ? Il doit avoir un problème. Il n'a pas bu grand-chose.)

— 그는 … (C'est le père d'une amie. On va s'en occuper.), rassure Ha-ru tandis que Dong-yul secoue l’épaule d’Aimé.

— Aimé. Wake up … (Aimé. Réveillez-vous. Aimé ! Réveillez-vous !)

Aimé ouvre les yeux et lui fait un pâle sourire. Il n’a pas l’air bien. Son visage est blême, son front en sueur. Ha-ru s’inquiète :

— Dounia에게 … (Appelle Dounia.)

— 나는 … (J’ai pas son numéro.)

Ha-ru sort son téléphone.

— 나리. Gogyia … (Na-ri. Viens vite au restaurant Gogyia. Le père de Dounia n'est pas bien.)

Na-ri n’a besoin que de quelques minutes pour accourir, suivie un peu plus tard par Hee-jung clopinant. Celle-ci touche les mains d’Aimé, puis son front.

— 그는 … (Il est glacé. Mon père était comme ça quand il a eu son attaque. Il faut appeler une ambulance !) Puis se tournant vers Na-ri : Dounia에게 … (Appelle Dounia. Dis-lui de nous rejoindre à l'hôpital de Sinchon.)

Voyant Na-ri tétanisée, Dong-yul réagit en lui prenant son téléphone tandis que Ha-ru appelle les secours.

………………….

Dounia arrive en courant aux urgences de l’Hôpital Severance à Sinchon-dong en compagnie de Eun-jung et Hyun-ae qui se renseigne à l’accueil. Les trois surgissent ensuite dans un couloir où Na-ri assise et Hee-jung debout les attendent anxieusement. Dounia se précipite vers Na-ri.

— Qu’est-ce qu’il a Na-ri ! C’est grave ?

Mais Na-ri ne peut répondre alors Dounia se tourne vers Hee-jung renseignant Hyun-ae.

— 그들은 … (Ils lui font une échographie du cœur. Ça ressemble à un infarctus.)

— 그들이 … (C’est ce qu’ils ont dit ?)

— 아니 ... (Non c'est moi... Mon père est mort sous mes yeux d'une crise cardiaque. Ça y ressemblait.)

Hyun-ae rassure Dounia

— Ils lui font une échographie cardiaque. Tout ira bien. Viens.

Elle entoure d’un bras protecteur les épaules de Dounia et la fait s’assoir près d’elle. S’asseyant de l’autre côté, Hee-jung prend dans les siennes une de ses mains.

Eun-jung regarde Na-ri, assise seule de l’autre côté du couloir. Sa fille reste tête baissée, osant à peine jeter parfois un bref coup d’œil vers Dounia. Son visage semble presque impassible mais Eun-jung ressent la douleur qui la ronge comme si c’était la sienne. C’est insoutenable...

Soudain déterminée, elle s’approche, s’assied près de sa fille et ose une main sur son épaule. Na-ri relève la tête et la regarde un instant sans réagir. Puis elle se dégage soudain vivement, va pour s’échapper mais sa mère la devance en saisissant fermement ses épaules. Les deux s’affrontent. Na-ri tremble, son regard n’a plus sa flamme habituelle. Celui d’Eun-jung au contraire semble extrêmement résolu. Lâchant une de ses épaules, elle lève lentement sa main pour la poser sur la joue de sa fille.

Perdue, prête à exploser tout comme à s’effondrer, Na-ri ose un dernier coup d’œil vers Dounia. Celle-ci la regarde, lui sourit, incline légèrement la tête en fermant les yeux, chaleureuse, rassurante. Alors Na-ri se libère. Elle se laisse aller en avant et pose son front contre la poitrine de sa mère, son corps entier secoué de violents sanglots.

— Eomma…

Alternance de plans longs sur Na-ri pleurant dans les bras de Eun-jung, sur le regard de Dounia allant de Na-ri à la porte vitrée du bout du couloir, celui de Hee-jung allant de Na-ri à Dounia et celui de Hyun-ae restant fixé sur le visage de Hee-jung… et qui se détourne vivement lorsque celle-ci la regarde.

………………….

Dans un bureau, Hyun-ae et Eun-jung sont assises face au médecin qui leur délivre son diagnostic.

— 그는 … (Il présente tous les symptômes d'une insuffisance cardiaque grave. L’échographie montre que cœur est sain, une ou plusieurs artères sont donc bouchées, au moins partiellement. Seule une coronographie nous dira lesquelles sont touchées et dans quelle mesure mais il la refuse. Il prend un gros risque...

Les deux femmes, inquiètes, attendent qu’il finisse de taper sur son ordinateur puis lance l’impression d’une feuille qu’il leur tend :

— 다음은Trinitrin … (Voici une ordonnance pour de la Trinitrine. Il doit toujours l'avoir avec lui. Qu'il se fasse deux pulvérisations sous la langue en cas de crise. Cela fait effet dans la minute et ça peut lui sauver la vie.)

Hyun-ae et Eun-jung se regardent, angoissées. Eun-jung sort de son sac à main une feuille de papier qu’elle tend au médecin :

— 다음은 ... (Voici une liste de médicaments qu'il prend déjà. Il semble avoir d’autres problèmes...)

Plus le médecin cherche dans son ordi et plus ses sourcils se froncent…

— 흠... Hydrea… Jakavi ... (Hum... Hydrea … Jakavi... C'est bien une myélofibrose, une forme rare de leucémie myéloïde chronique. Ce n’est pas commun, seulement 600 cas en Corée. Mais je ne comprends pas pourquoi la Silodosine... A-t-il des problèmes de prostate ?)

— 나도 ... (J'ai trouvé ça aussi...), confie, hésitante, Eun-jung en lui tendant une autre feuille.

Le court silence qui suit est lourd d’angoisse pour les deux femmes.

— 그는 … (Il vient aussi d'être traité pour un cancer de la prostate. Cette ordonnance est pour du Décapeptyl. Ce sont des hormones destinées à réduire au maximum le taux de testostérone afin d'éviter la récidive de cellules cancéreuses dans la prostate. En plus de sa LMC et de son insuffisance cardiaque… ça fait beaucoup pour un seul homme... Votre ami doit être épuisé.) Puis il poursuit, après leur avoir donné une seconde ordonnance. 그가 ... (Au cas où il lui en manquerait, voici une ordonnance pour tous les médicaments qu'il prend déjà. Mais je vous préviens : le Jakavi est à commander au moins une semaine à l'avance et c'est extrêmement cher... 4,5 millions de wons (3200 Euros) la boite pour un mois. Et c'est avec l’Hydrea le traitement le plus important...)

Hyun-ae et Eun-jung sortent du cabinet en silence. Eun-jung surtout ne se sent pas bien. Elle va s’assoir dans la salle d’attente, abasourdie. Hyun-ae s’assied ses côtés et ose un geste d’affection en séparant du bout des doigts les cheveux sur son front.

— 당신은 ... (Tu vas bien ? Que vas-tu faire ? Je veux dire… Avec lui.)

— 나도 … (Je ne sais pas… J'avais compris qu'il était malade. Mais là... Que dit-on à Dounia ?)

— 나는 … (Je pense qu'elle sait... au moins en partie. Ce doit être une des raisons de sa fugue.) Puis après une bonne inspiration : 잘. Trinitrine … (Bon. Je vais chercher la Trinitrine. Je vous rejoins dans sa chambre.)

………………….

Eun-jung entre dans la chambre d’Aimé. C’est une chambre à deux lits dont l’un est inoccupé. Sous perfusion, Aimé semble aller beaucoup mieux. Dounia et Na-ri sont assises côte à côte près de lui. Hee-jung s’est installée plus loin dans un fauteuil. Dounia se lève à son entrée.

— Alors ? Qu’a dit le docteur ?

— Le cœur va bien mais il doit faire très attention. You need rest Aimé … (Tu as besoin de repos Aimé. Et tu dois faire d’autres examens le plus rapidement possible. Pourquoi as-tu refusé ?)

— Ça attendra mon retour en France.

— Papa !

— Ça va couter une fortune ici Dounia.

Eun-jung soudain explose sous le regard médusé des trois filles :

— What are you … (Qu'est-ce que tu fiches Aimé !!! Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu étais si malade ? L’as-tu dit à ta fille ?), puis se tournant vers Dounia : Do you know … (Sais-tu à quel point ton père est malade ?)

— Gwaenchanha Eun-jung… (Tout va bien Eun-jung...), s’agace Aimé.

— Je sais pour son cancer et pour la myélofibrose…

— And do you … (Et sais-tu ce que ça implique ?)

Aimé intervient, soudain furieux.

— STOP ! Allez dehors les filles ! Je dois parler à Eun-jung.

Hee-jung et Na-ri n’ont pas besoin de connaitre le français pour comprendre ; elles se lèvent avant Dounia pour sortir de la chambre. Eun-jung vient s’assoir près d’Aimé. Excédée, elle se passe la main dans les cheveux et revient à la charge.

— Do you still … (As-tu encore du Jakavi ?)

— Je t’interdis de leur en parler ! Que ce soit à Dounia ou à n’importe lequel de ses amis. T’as compris ?

— You did not say … (Tu n'as rien dit à ta fille ? Es-tu si stupide ? Dis-moi ! As-tu encore du Jakavi ?)

— Yes, I have ... (Oui j’ai du Jakavi !!! Ce n’est pas le problème !) Je refuse que tu te mêles de la façon dont je gère ça avec Dounia !

Dans le couloir, Hee-jung décolle son œil de l’entrebâillement de la porte et rejoint ses amies assises plus loin, un petit sourire aux lèvres.

— 나는 … (J'ai un scoop ! Vous êtes sœurs !)

Comme ses amies ne semblent pas comprendre, elle dessine des deux mains un gros cœur avant de déclarer d’une voix forte :

— Na-ri Eomma … (La mère de Na-ri, le père de Dounia… Je t’aime !)

Ahuries, Dounia et Na-ri vont pour se précipiter vers la chambre quand Hyun-ae apparait à l’angle du couloir.

— 그들을 … (Laissez-les tranquilles !) Reste là Dounia. Il faut qu’on parle.
— 하지만 … (Mais c'est vrai ! Ils se disputent comme des amoureux.), s’écrie Hee-jung.
— 그것은 … (C'est leur problème, ce sont des adultes.) Dounia. Es-tu au courant pour les maladies de ton père ?
— Oui… Pour son cancer, mais il est guéri. Et pour la myélofibrose aussi. Puis elle rajoute précipitament avant que Hyun-ae ne parle : Il m’a expliqué ce qui peut arriver mais je refuse d’y penser ! Il est comme ça lui aussi. Il se soigne. Il fait tout ce que les médecins disent. Alors ça ne sert à rien…

Dans la chambre, Aimé termine pour Eun-jung la phrase commencée par sa fille :

— … de se prendre la tête à l’avance. De toute façon ça ne changera rien.

Sa voix se fait suppliante :

— N’en parle pas à Dounia s’il te plait. Elle est jeune. Elle a des rêves, des projets. Elle veut venir vivre ici en Corée, pendant au moins un an. Je veux qu’elle reste insouciante. Je refuse qu’elle joue la garde-malade. Ne dis rien à Na-ri non plus, s’il te plait. L’important c’est elles… ce n’est pas moi.

Eun-jung le regarde quelques secondes en silence dans les yeux et soudain il n’y a dans son cœur plus le moindre doute. Elle s’assied au bord du lit et se penche vers le visage de celui qui vient définitivement de devenir son homme, tout près :

— Don't push me … (Ne me repousse pas cette fois, c’est strictement interdit.)

Aimé cette fois accepte son baiser sous le regard jubilatoire de Hee-jung revenue à son poste de surveillance. Elle fait signe à Na-ri et Dounia qui accourent et constatent ahuries leur lien nouveau avant que Hyun-ae n’écarte les indiscrètes pour frapper à la porte, l’ouvrir sans attendre et déclarer avec un sourire un peu triste :

— Arrêtez de vous donner en spectacle les amoureux ! Les filles vous regardent.

………………….

Devant l’hôpital, Aimé est déjà dans un taxi. Eun-jung et Na-ri sont dehors, un peu à l’écart des autres. Eun-jung tient une épaule de sa fille, son autre main caresse sa joue et ses cheveux. Na-ri reste bras ballants mais ses yeux brillants sont rivés à ceux de sa mère qui lui demande :

— 정말 … (Es-tu certaine de ne pas vouloir venir chez moi ?)

Na-ri hoche la tête affirmativement puis vient essuyer une larme coulant sur la joue de sa mère.

— 내 딸이 … (Ce n'est pas le bon moment... Ma fille est plus raisonnable que moi. Je suis tellement désolée Na-ri.)

Attirant la tête de Na-ri contre sa poitrine, Eun-jung se laisse aller quelques instants. Puis elle se sépare et monte dans le taxi qui démarre sans tarder. Aimé l’observe tandis qu’elle regarde par la vitre arrière jusqu’à ce que Na-ri disparaisse. Puis il prend sa main entre les siennes.

— Ça va ?

Eun-jung hoche la tête avant de la poser sur son épaule. Puis elle se redresse soudain :

— Hyun-ae gave … (Hyun-ae t’a donné la Trinitrine ?)

— Oui. C’est elle qui a payé l’hôpital ? Ils m’ont dit que c’était déjà fait.

— Probably ... (Probablement… Je continue de la trouver étrange mais… Na-ri et Dounia sont entre de bonnes mains.)

— Oui.

………………….

Dans le taxi qui les ramène à Susaek-dong, Hyun-ae est devant, les trois filles derrière avec Na-ri au milieu. Hyun-ae baisse son pare soleil et l’oriente pour les voir toutes les trois dans le large miroir de courtoisie.

La tête de Na-ri est posée sur l’épaule de Dounia qui la regarde, attentionnée. Sa main est dans celle de Hee-jung… qui regarde Hyun-ae dans les yeux avec son habituel petit sourire désinvolte. Subitement sérieuse, Hee-jung demande :

— 그의 … (Il a quoi son père ?)
— 암과 … (Un cancer plus une myélofibrose. C’est une forme de leucémie, une maladie rare à évolution lente de la moelle osseuse... Et on vient de découvrir des problèmes au cœur. Le cancer est guéri mais il est toujours sous traitement préventif.)

Hee-jung fait une grimace

— 와 ... (Wow…)

Na-ri se redresse et regarde Dounia, anxieuse. Celle-ci la rassure d’un sourire

— ‘’Gwaenchanha Na-ri.’’ (Tout va bien Na-ri.) Eonni, tu veux bien leur expliquer ce que je t’ai dit tout à l’heure ?

— Dounia는 … (Dounia m'a expliqué qu'elle refuse d'y penser. Son père fait pareil. Ils disent que de toute façon ça ne changera rien de s’inquiéter...)

Tous regardent la jeune française hausser les épaules avec un petit sourire fataliste.

— On est une famille à cancer. J’ai une tante et trois de mes grands-parents qui en sont mort. Le mien c’était un Lymphome de Hodgkin. Un cancer rare qui touche surtout les adolescents. 1200 chances sur 66 millions d’attraper cette cochonnerie… J’aurais dû jouer au Loto, hein Eonni !

— Na-ri te traite de phénomène. Elle a raison, t’en es un sacré.

— Franchement Eonni, en ce moment je me fiche de tout ça. Je suis trop heureuse pour Na-ri ! Je suis sûre que Papa me comprendrait.

— Je crois oui… Tu veux que je traduise ?

— Ye… Eonni.

— Dounia는 … (Dounia vient de dire qu'ils sont une famille à cancer. Elle a perdu une tante et ses trois grands-parents. Le sien était un Lymphome de Hodgkin. Un cancer rare qui est le plus fréquent chez les adolescents. 1 200 possibilités sur 66 millions de l’avoir…)

Surprise, Hee-jung va pour dire quelque chose mais serrant sa main dans la sienne, Na-ri lui fait comprendre de se taire. Silencieux jusque-là, le chauffeur ne peut s’empêcher un mot d’encouragement :

— 불쌍한 ... (Pauvre enfant... Mais elle est très courageuse, la vie lui sera favorable.)

— Dounia, le monsieur te prédit une longue et belle vie.

— ‘’Gamsahabnida Ahjusshi !’’ (Merci Monsieur !)

Hyun-ae la regarde dans le miroir sourire à la vie en regardant par la fenêtre.

— 여자애들 … (Les filles, vous voyez son sourire ? Souvenez-vous en quand vous aurez des problèmes...)

Dans le miroir, on peut voir Na-ri et Hee-jung tourner la tête vers Dounia qui a enlevé son bonnet, sereine, heureuse d’être là. La caméra passe lentement sur les visages de Hee-jung, Na-ri et Dounia sur lequel elle reste un moment avant de s’immobiliser devant le paysage urbain défilant au travers de la fenêtre. Puis elle revient sur les visages de Dounia, Na-ri et Hee-jung sur lequel elle s’attarde. Le sourire de Hee-jung devant la caméra se transforme subitement en baiser et dans le miroir, les yeux de Hyun-ae se détournent vivement.

………………….

Arrivés chez elle, Eun-jung pousse littéralement Aimé dans sa chambre. Elle le débarrasse de son manteau, ouvre la couette, le jette tout habillé dans le lit et le couvre avant de s’assoir près de lui et de souffler sur sa frange tombée devant son œil.

— ‘’Phew! C’est fatigant… to put you in my bed, Aimé.’’ I wouldn't … (Je ne ferais pas ça tous les jours !)

Puis elle ôte aussi son manteau, enjambe Aimé à quatre pattes et se glisse à son tour sous la couette, tout aussi habillée. Alors qu’elle cherche à s’approcher de lui, Aimé se détourne. Eun-jung se redresse sur un coude, joue posée dans sa paume et tapote son épaule du bout de l’index en lui disant avec douceur :

— Hey, man ... (Hé, l’homme… Viens, n’aies pas peur de moi.)

Elle tire un peu sur son épaule et Aimé se laisse aller sur le dos, yeux fermés. Eun-jung prend son bras, le fait passer sous sa tête et se love enfin contre lui, tête posée au creux de son épaule.

— Don’t worry… (Ne t’inquiète pas. Je n’ai pas besoin de plus que ça… Mais j’en ai terriblement besoin.)

Les deux restent silencieux un moment, Eun-jung caressant doucement la poitrine d’Aimé, puis celui-ci ouvre enfin les yeux et sa main libre vient se poser sur celle d’Eun-jung.

— Thanks … (Merci…)

— There is no … (Il n’y a pas de merci. Je me sens bien avec toi, c’est tout… Parle-moi de toi.)

— There is nothing special to say... (Il n’y a rien d’extraordinaire à dire…)

— Ok, let's start by … (D’accord, commençons par les présentations habituelles en Corée. Chez nous, deux personnes qui se rencontrent cherchent d'abord à savoir comment se situer socialement vis à vis de l'autre.)

— Ce n’est pas vraiment ce qui nous a préoccupé jusque-là, réplique-t-il en souriant.

Eun-jung se redresse, faussement outrée.

— But this is … (Mais c'est extrêmement important Aimé !), s’exclame-t-elle, malicieuse. How to know if … (Comment savoir si tu es un bon parti à marier sinon ? Tu dois tout me dire ; l'année et le mois de ta naissance, ta famille, tes études, l’université que tu as fréquentée, tes diplômes, ton métier, ta position dans l'entreprise, etc... J'ai l'air de plaisanter mais c'est souvent comme ça que les choses se passent chez nous. Allez ! Dis-moi tout !)

Rentrant dans son jeu, Aimé feint le plus grand intérêt…

— Ooooh ! Les choses deviennent sérieuses là ! S’exclame-t-il à son tour avant de rajouter avec arrogance : Mais ne craint-tu pas de te sentir un peu intimidée ? Mon statut social est très élevé tu sais…

— Go ahead! (Vas-y !), réplique-elle avec emphase. Tell me everything! ... (Dis-moi tout ! Je suis prête à assumer la modestie du mien !)

— Vraiment ? Alors j’y vais… Je suis né en Février, j’ai 51 ans et ma famille était pauvre. J’ai quitté l’école à 15 ans sans aucun diplôme, ma mère à 16 ans et la France à 17, en autostop…

— And? (Et ?)

— Et c’est tout…

— You have a good … (Tu as un bon compte en banque alors ? Ou un métier prestigieux… Non ? Rien de tout ça ?), persiste-t-elle avec une moue de dépit, avant de mimer la colère : Get out of my bed, crook! (Sort de mon lit, escroc !)

Aimé éclate de rire. Eun-jung le regarde, subitement sérieuse.

— That is true? Did you … (C’est vrai ? As-tu vraiment affronté la vie si jeune ?)

Il hoche la tête affirmativement.

— Mmmm... Mais il n’y a rien de tragique là-dedans. Juste l’habitude du dénuement, une grande curiosité du monde et des rêves assez forts pour m’aider à affronter mes peurs. C’est tout.

Elle le regarde avec tendresse.

— That's Monsieur Aimé ... (Ça c’est Monsieur Aimé… Raconte-moi ton enfance. Étais-tu heureux ?)

— I think so… (Je crois oui…) Nous étions une famille nombreuse de 6 enfants ; 3 garçons et 3 filles. J’étais l’avant dernier. On n’était pas riche mais on vivait à la campagne. Oui, j’ai eu une enfance heureuse… C’était plus dur à l’adolescence. Mes grands frère et sœurs étaient partis vivre leur vie et mon père s’était enfuit. Il n’y avait plus que moi et ma petite sœur à la maison. C’était vraiment difficile pour ma mère. On n’avait souvent pas grand-chose à manger en fin de mois. Il n’était pas rare que l’on n’ait pour seul repas qu’une sorte de porridge de farine et d’eau avec un peu de sel. Mais même ça, ce n’est pas vraiment un mauvais souvenir. J’étais livré à moi-même mais sans pression, totalement libre. Ce qui me dérangeait le plus, c’était que ma mère à cette époque en voulait terriblement à mon père et aux hommes en général. Elle l’appelait « l’autre » quand elle parlait de lui. « The other » … Ça m’a marqué. Et c’était pire quand ma grande sœur que j’adorais venait à la maison. Elle était tombée enceinte à 17 ans d’un mec bien plus âgé qui n’a jamais voulu reconnaitre sa paternité. Les hommes en prenaient alors vraiment plein la gueule.

— ‘’Plein la what ?’’

— La gueule, la figure… Je les entendais critiquer les hommes à longueur de journée. C’était au début des eighties, le MLF était encore actif. Le Mouvement pour la Libération des Femmes militait pour les droits des femmes, l’égalité des salaires, l’avortement. Vous avez connu ça ici je suppose.

— You believe that? … (Tu crois ça ? Même s’il est toléré depuis quelques années, l'avortement en Corée n'est pratiqué légalement que depuis moins d'un an.)

—Wow… En France c’est depuis 1975…

— Korea is a modern country … (La Corée est un pays moderne… Nous le croyons tous, mais certaines de nos valeurs morales restent extrêmement conservatrices.)

— On dirait… But you know … (Mais tu sais, il reste encore beaucoup à faire partout.) En France, le salaire moyen des femmes est inférieur de près de 30 % à celui des hommes.

— Here it is close to 40% ... (Ici c'est proche de 40%... Mais peu importe. Continue. Quel âge avais-tu à cette époque ?)

— Entre 12 et 14 ans. Juste dans la période où les hormones des garçons sont en ébullition. You know, boiling… Inutile de dire que je n’avais aucune assurance avec les filles après tout ce que j’entendais à la maison.

— When was … (C’était quand ta première fois ? En sexe…)

— I think 12 … (Je devais avoir 12, 14 et 17 ans.)

— What? (Quoi ?)

— There are … (Il y a beaucoup de premières fois en sexe.) Pour moi dans l'ordre ça a été la première masturbation, les premiers baisers, puis le premier acte.

Eun-jung est secouée par un petit rire.

— That’s funny. (C’est drôle.)

— What … (Qu’est-ce qui est drôle ?)

— Speaking of … (Parler de sexe avec un homme, c’est la première fois de ma vie... Mais pourquoi dis-tu « les » premiers baisers ?)

— Il y a le premier baiser sur la bouche et le premier sur la fleur…

Elle le regarde avec de grands yeux.

— Oh… You … (Oh… Tu faisais ça à 14 ans ?)

— Ye. I started … (Oui… J’ai commencé le même jour que mon premier baiser sur la bouche.)

— A lot of men … (Beaucoup d’hommes ne font jamais ça de leur vie.)

— How do you … (Comment le sais-tu. As-tu eu beaucoup d’amants ?), la taquine-t-il.

— I told you … (Je te l'ai dit, seulement deux. Mais les femmes parlent beaucoup des hommes entre elles.)

— These mans … (Ces hommes sont si stupides… J’adorais ça.) C’était mon arme secrète pour compenser mon manque d’assurance avec les filles.

— I was right … (J'avais raison la première fois que nous nous sommes rencontrés : tu es un vrai pervers obsessionnel.)

Il la regarde, prêt à se défendre, mais se rassure ; son sourire est taquin.

— May be… (Peut-être…) Ma vie sexuelle a été bien remplie je crois, même si… Let's say I … (Disons que j'ai toujours été plus à l'aise avec mes mains et ma bouche qu'avec mon pénis. C'est pourquoi je me suis défini comme lesbien la dernière fois. Heureusement, certaines de mes partenaires aimaient beaucoup ça.)

Eun-jung se laisse aller sur le dos, yeux clos et sourire aux lèvres.

— The lucky ones … (Les chanceuses…)

— You know … (Tu sais, ma relation la plus sensuellement intense a été sans pénétration…) J’aurais pourtant bien aimé mais elle refusait et… Oh. Sorry … (Pardon de tant parler, tu sembles fatiguée.)

— Tu seras cruel Mister Salang. Mmmm. I feel … (J’ai sommeil. Bonne nuit.)

— Bonne nuit Eun-jung.

— Mmm.

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