Partie 13 : Fray

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Fray non plus ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il s’inquiétait pour Thalas. Le savoir souffrant sans pouvoir rien y faire, lui était insupportable. Le roi était déjà affaibli par ses douleurs habituelles. Le jeune homme craignait qu’il ne se remette pas de cette terrible maladie que Deyidra ne parvenait pas à nommer.

De plus, Fray avait toujours eu les pires difficultés à s’endormir seul. Il avait besoin de chaleur humaine. Sa nouvelle chambre, bien plus exiguë que celle du roi, lui paraissait immense et vide, sans la présence de son amant pour la remplir.

Fray avait déniché une chemise de Thalas qu'il avait emportée avec lui. Il la gardait roulée en boule contre son visage, comme un talisman contre l'angoisse. Avec Xylo blotti contre son ventre le jeune homme réussit à se calmer suffisamment pour trouver le sommeil. Mais la lumière de l'aube s'infiltrait déjà à travers les rideaux quand il ferma les yeux.

Fray eut l'impression de n'avoir dormi que quelques minutes quand il sentit une main lui serrer doucement l'épaule. Réveillé en sursaut, il lui fallut plusieurs secondes pour reconnaître Deyidra.

— Comment va-t-il ? Demanda le jeune homme, oubliant toutes les formules de politesse.

La guérisseuse eut un gentil sourire.

— Il dort. Et quand il se réveille, il a assez d'énergie pour me chasser de sa chambre... Donc son état est stable. Pour le moment.

— Pour le moment ? S'inquiéta Fray.

Deyidra lui prit les mains pour le tranquilliser.

— Il refuse d'avaler quoi que ce soit. Cela lui donne des nausées. Mais s'il continue comme ça, il risque de s'affaiblir... Il ne me laisse pas approcher. Je me disais que tu pourrais tenter ta chance.

— Bien sûr !

Fray bondit sur ses pieds, ravi de pouvoir se rendre utile. Il s'habilla rapidement et suivit la guérisseuse jusqu'à la chambre du roi. Deyidra lui remit un bol et une cuillère.

— C'est de l'eau chaude avec du gingembre et du sucre. Son traitement est dedans. Si tu arrives à lui faire avaler ça, il ira mieux, expliqua-t-elle.

Fray hocha la tête et entra prudemment dans la chambre. Il s'avança à pas de loup vers le lit, attentif au moindre bruit. Thalas semblait dormir. Le jeune homme s'assit par terre à la tête du lit et écouta attentivement la respiration du roi, guettant son réveil. La marque sur son épaule le lançait bizarrement, mais il n'y prêta pas attention.

Thalas s'agitait dans son sommeil. Ses grognements d'inconfort fendaient le coeur de son amant. Soudain sa respiration s'accéléra. Fray se redressa pour mieux l'observer. Le roi tremblait de tous ses membres et transpirait abondamment. C'était plus qu'il ne pouvait en supporter. Il attrapa sa main et utilisa son pouvoir. Les traits crispés du malade s'apaisèrent aussitôt.

Fray soupira de soulagement. Xylo semblait agité mais il devait se préparer à encaisser tous les symptômes de son amant. Il s'assit en tailleur, sur le lit, le bol sur les genoux. Il devait faire vite avant que la douleur ne l'empêche de bouger.

— Je croyais t'avoir dit de ne pas me toucher... grommela le roi.

— Je suis navré messire, mais vous devez prendre des forces si vous voulez guérir... buvez ceci, s'il vous plaît.

Thalas grogna encore mais fit un effort pour se tourner sur le côté et approcher ses lèvres du bol. Fray réussit à maintenir le récipient en place malgré la souffrance globale qui l'envahissait désormais. Le roi avala presque toute la mixture. Il gardait malgré tout une expression quelques peu contrariée.

— S’il vous plaît, détendez-vous, mon roi. Prenez des forces.

Thalas poussa un soupir exaspéré mais se tourna sur le dos en fermant les yeux. Fray s’allongea à ses côtés, pour pouvoir supporter sa souffrance un peu plus longtemps. Il adorait voir son amant s’abandonner à ses mains expertes. Il se sentait honoré d’une telle confiance, même si tout son corps le faisait souffrir. Le jeune homme avait beaucoup plus de mal à en faire abstraction que d’habitude. Il tentait de contenir les frissons de fièvre qui l’assaillaient.

— Assez, ordonna le roi.

— Mais le…

— J’ai dit assez, Fray. Tu vas t’épuiser.

Fray lâcha son amant à regret. Il lui avait déjà forcé la main pour qu’il puisse prendre son traitement, mieux valait éviter de le contrarier davantage. Le jeune homme demeura néanmoins allongé à ses côtés. Thalas avait si froid, il voulait au moins lui faire profiter de sa chaleur corporelle. Le roi ne le chassa pas.

Soudain, une douleur aiguë lui transperça le dos, au niveau de sa marque. Fray poussa un petit cri de surprise. Xylo feula dans sa direction.

— Que se passe-t-il ? marmonna Thalas.

— Ma marque… elle me… AAAAAH !

La douleur venait de s’étendre à son crâne. Le jeune homme roula hors du lit et tomba au sol, la tête dans les mains. Il avait l’impression que des centaines de lames se plantaient dans sa tête.

Tue le roi et tout s’arrêtera. Ordonna la voix caverneuse de Tendal.

— Hors… de… question... articula Fray avec difficultés.

Allons, tu n’es qu’un jouet à ses yeux.

— C’est… Faux… Je ne peux… pas… faire ça.

Bien sûr que si. Utilise donc ça, ce sera si facile.

La douleur se déplaça vers le coeur du jeune homme. Il avait l’impression qu’on venait de le poignarder. Paniqué, il passa ses mains sur sa poitrine malmenée et sentit quelque chose de dur, fiché en lui. Fray tira de toutes ses forces sur le manche qui venait de se matérialiser, et en extirpa, pouce par pouce, une lame sombre. Une lame de ténèbres. Il la regarda quelques instants, incrédule, tandis que la plaie béante de sa poitrine se refermait en suintant un liquide noir et visqueux. La douleur avait disparu.

La lame semblait dotée de sa propre volonté. Elle tirait son porteur vers le haut. Fray dut se mettre debout pour suivre son mouvement sans la lâcher. Puis la lame plongea vers le roi. Le jeune homme raffermit sa prise et s’arque bouta en arrière pour stopper sa progression.

— NON ! S’écria-t-il.

Fray… Ne m’oblige pas à menacer ta famille de nouveau… Susurra Tendal, dans son esprit.

Des images de chacun de ses frères et soeurs s’imposèrent devant ses yeux agrandis de peur. Le moment qu’il redoutait tant était enfin arrivé. Fray devait choisir entre sa famille et son amant. Depuis qu’il l’avait offert au roi, Tendal ne s’était pas manifesté en quatre mois. Il l’avait presque oublié. Il commençait à croire que ses desseins n’étaient pas si sombres… Et que sa famille se trouvait hors de sa portée. Thalas lui avait promis d’envoyer ses soldats les chercher, après la fonte des neiges, lorsque les routes redeviendraient praticables. Le jeune homme les avait cru en sécurité jusque là. A présent cette croyance rassurante volait en éclats.

Fray tenta de réfléchir à toute vitesse, malgré la panique et la lame qui tirait toujours vers le coeur de Thalas. S’il résistait au pouvoir démoniaque, sa famille serait massacrée. S’il tuait le roi, il perdrait toute utilité pour Tendal. Ce dernier n’aurait donc aucune raison d’épargner les siens ensuite. Dans les deux cas, ses frères et soeurs étaient condamnés. De grosses larmes perlèrent aux yeux du jeune homme à cette pensée.

Tue le roi, et je te jure sur la Déesse Rouge qu’ils auront la vie sauve.

— Non ! Répéta Fray d’une voix moins assurée.

Comme tu voudras. Ricana Tendal.

Le jeune homme tressaillit. D’autres images s’imposèrent à son esprit torturé. Il vit sa soeur cadette égorgée. Les tous jeunes jumeaux gisant dans une mare de sang. Fray ferma les yeux, mais les horribles visions continuaient à affluer sans pitié. Il assista impuissant au meurtre de chacun de ses frères et soeurs. Chaque fois, la lame démoniaque tirait davantage sur ses bras. Chaque fois, Tendal lui demandait de la lâcher, pour que tout s’arrête. Chaque fois Fray refusait en gémissant de détresse. Puis il ne resta que le noir et son désespoir.

Thalas ne mérite pas autant de loyauté de ta part… Il n’y a que ton pouvoir qui l’intéresse. Reprit Tendal d’un ton méprisant.

Le doute qui germa dans l’esprit du jeune homme donna davantage de force à la lame démoniaque. Elle faillit lui échapper des mains. Xylo vint se percher sur son épaule et lui envoya des pensées rassurantes. Il lui montra les moments heureux qu’il avait partagé avec le roi, même s’il n’utilisait pas son pouvoir. Fray raffermit sa prise sur la lame.

Ton gardien ne te sera d’aucun secours face à mon démon. Prends garde, il se pourrait bien qu’il succombe… Tu perdras ton pouvoir, et tu comprendras enfin l’ingratitude des puissants. Ricana son tortionnaire.

Encore sous le choc de la mort de tous ses frères et soeurs, Fray devait déjà affronter un nouveau dilemme. Sacrifier Xylo, son gardien, son compagnon de toujours, la source de son pouvoir, celui qui lui avait donné sa vocation, celui qui lui réchauffait le coeur dans les moments les plus difficiles... Pour sauver Thalas, l’amour de sa vie, qui lui avait donné de l’affection, de la reconnaissance, de la sécurité. Le roi d’Ushar, dont la mort plongerait le royaume dans le chaos. Le jeune homme pleurait toutes les larmes de son corps.

Xylo vint frotter sa tête de chouette contre la sienne. Fray sut ce qu’il devait faire. Le petit gardien sauta vers le lit, se plaçant entre le roi et l’esclave. Ce dernier renifla et lâcha brusquement sa prise sur la lame démoniaque, qui fila droit vers Thalas. D’un mouvement aussi vif que lumineux, Xylo se plaça sur la trajectoire ténébreuse et fut transpercé par la lame.

Mais qu’as tu fait ? Non ! NON ! S’écria Tendal d’une voix de plus en plus lointaine.

Le petit corps s’illumina d’une lumière blanche et très vive. Puis il s’évapora dans une brume claire, ne laissant aucune trace de la lame démoniaque. Fray tomba à genoux, vidé de ses forces, désespéré. La marque dans son dos était de nouveau douloureuse, mais cette douleur ressemblait davantage à celle d’une simple brûlure. Xylo avait coupé l’emprise que Tendal avait sur lui. Mais Tendal l’avait déjà coupé de tout ceux qu’il aimait.

Le coeur de Fray n’était plus qu’une coquille vide et brisée. Il ne ressentait plus rien. La perle que le roi lui avait offerte quatre mois plus tôt avait prit une couleur gris terne. Le jeune homme s’écroula lentement au sol. Il ne prêtait plus la moindre attention à son environnement. Plus rien n’avait d’importance.

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