Déboires

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 Tout n'est pas toujours facile dans la vie d'un enfant. Pleins de bonne humeur, l'esprit joyeux et insouciant, ils ne voient guère le danger et, lorsqu'ils commettent de stupides actions, ils ne regrettent que lorsqu'ils constatent les résultats de leur bêtise ou qu'ils se font mal.

 Parfois, un acte inconsidéré mène à la catastrophe mais si cette dernière finit par être résolue sans trop de dommages, elle peut susciter des vocations. Ce fut le cas d'Arnold qui un jour avala par mégarde une fléchette qu'il tenait entre les dents. Par chance, sa trachée ne fut que partiellement obstruée et il évita l'accident tragique. Les pompiers durent intervenir et parvinrent à le sauver. Il essaya leur casque, admiratif de ceux qui lui avaient libéré les voies respiratoires. Le courage, la patience et la gentillesse de ces hommes lui donnèrent une vocation. Quand il serait grand, Arnold deviendrait pompier.

 Pour ma part, un des évènements marquants de ma petite enfance, qui s'est tout aussi bien terminé que pour Arnold, ne m'a pas forcément donné envie d'être chirurgienne ou de travailler dans le milieu hospitalier. Bien au contraire.

Un jour, nounou nous mena, Anne, Arnold et moi, au bord d'un lac à quelques kilomètres de sa demeure. Après en avoir fait le tour nous avons passé un moment à jouer sur les attractions à disposition. Nous échangions notamment nos places avec Anne et Arnold sur un jeu à bascule que j'appelle encore aujourd'hui "un tape-cul". Celui-ci était du plus simple appareil, constitué d'un simple rondin de bois taillé, sans siège ni poignées, et d'une partie centrale servant à faire tomber cette poutre d'un côté ou de l'autre. Vint mon tour. Assise face à Anne, nous nous faisions basculer tout en nous esclaffant sous les regards approbateurs de nounou et d'Arnold. Un insecte vint me troubler dans mes éclats de rires. Se jetant dans mon œil, j'eus le mauvais réflexe de porter la main à mon visage pour m'en débarrasser. Oui, mauvais réflexe, car à ce moment-là, le jeu à bascule me faisait monter dans les airs et l'impact de l'arrêt me fit basculer. L'absence de siège ou de poignées ne me permirent pas de me rattraper et voilà que je finissais, sans même pouvoir m'en rendre compte, allongée par terre.

Bien que je ne me souvienne pas bien de ce qui s'ensuivit à partir de cet instant, les récits de mon père me permettent un peu d'en parler. Constatant que mon bras ne bougeait plus et prenant conscience du choc que j'avais pris, nounou me demanda :

  — Tu veux que j'appelle maman et papa ou les pompiers ?

 Il est facile d'imaginer ce qu'un enfant choisit dans ce genre de moments entre ceux qu'il voit chaque jour, repère sécuritaire, et la venue d'inconnus pourtant armés de bonnes intentions. Bien évidemment, écoutant mes supplications d'enfant en détresse, elle appela mes parents.

Mon père arriva à la rescousse. Ma mère avait insisté pour qu'il m'amène au docteur, n'ayant pas vu l'état de mon bras et au vu des descriptions de la nounou qui n'était guère infirmière, elle pensait que j'avais une simple foulure. Le docteur en pensait de même, il ne prit que quelques instants pour m'ausculter et ne parla en aucun cas d'hôpital. Heureusement, mon paternel n'était pas de cet avis, la forme de mon bras et le gonflement le conduisirent à ne pas écouter les bons conseils du médecin - qui jusque-là avait été compétent pour nous soigner dans la famille. Me remettant dans la voiture, il partit en trombe vers l'hôpital à une dizaine de minutes de là. Je me souviens que chaque virage était angoissant car je sentais la pesanteur jouer sur mon membre blessé.

On me prit aussitôt aux urgences pour faire des radiographies. J'avais à peine cinq ans mais ma taille me donnait l'air plus âgée. Je me fis gronder par les infirmières lorsqu'elles constatèrent que je ne discernais ni ma droite ni ma gauche, mon père dû les calmer en leur expliquant que je n'étais pas "bête" mais simplement grande pour mon âge. Le verdict tomba bientôt : je devais me faire impérativement opérer. L'os de mon bras, cassé en pointe, menaçait de me perforer une artère. L'urgentiste expliqua à mon père que nous avions eu de la chance, avec tous ces trajets accomplis, de ne pas avoir couru à la catastrophe. Les pompiers auraient dû intervenir.

L'on me prépara donc à être opérée et je fus bientôt alitée pour partir me faire anesthésier. Avant de passer les portes battantes, je donnais ma barrette à mon père pour le rassurer. Bien que je ne m'en souvienne pas, cet acte le marqua à vie - synonyme de son impuissance dans cette situation qui le dépassait, il n'avait plus que ce petit objet auquel se rattacher. Le personnel m'apposa un masque sur le visage et me demanda si j'aimais bien la fraise. Oui, j'aimais cela. Une odeur fruitée envahit mon nez et je m'endormis aussitôt. Je ressortis du bloc le bras dans le plâtre et je dois avouer avoir eu la chance d'avoir toujours l'un de mes parents à mes côtés durant mon séjour à l'hôpital. Certains enfants que je voyais-là étaient seuls toute la journée et cela m'angoissait.

Une fois sortie, je demandais déjà quand est-ce que je pourrais retourner à l'école. J'adorais ça à l'époque. La maîtresse était extraordinaire et mes camarades, Judith, Anne et Arnold, me manquaient. J'eus de prime abord des devoirs maisons que je me complaisais à remplir mais, à force d'insister, je revins à l'école plus tôt que prévu avec l'autorisation de la maîtresse. Mes camarades me signèrent le plâtre "comme dans les films" bien que le feutre ne tenait pas bien dessus en réalité.

Les semaines passèrent et vint le jour où l'on devait me retirer le plâtre. Je me souviens avoir attendu longtemps devant la salle du médecin de l'hôpital. Il n'y avait là que des personnes âgées, souriantes de voir une figure aussi jeune que la mienne dans un environnement où personne n'avait envie de se trouver. Lorsque mon tour vint, ce grand homme impressionnant qui avait participé à mon opération sortit une espèce de scie ronde à dents pointues. La vue de cet objet me terrifia, j'ai cru qu'il allait me couper le bras. Lorsqu'il lança la machine et commença le travail, je me mis à pleurer et à hurler comme un cochon que l'on égorge. Agacé, le médecin devint rouge de colère et s'écria alors qu'il continuait de scier :

  — Arrête de pleurer ou je te coupe le bras !

 Cela n'eut bien sûr pas l'effet escompté et je repartis de plus belle, persuadée qu'on allait m'amputer. Mon père connaissait cet homme pour l'avoir déjà côtoyé et ce n'était pas une mauvaise personne. Probablement était-il à bout après une longue journée ou ne savait-il simplement pas comment calmer et rassurer un enfant dans ce genre de situation ? Toujours était-il que la sucette qu'il m'offrit en partant ne me consola pas tellement j'avais eu peur. Lorsque nous sortîmes, le bras toujours en écharpe et totalement squelettique, plus personne ne se trouvait dans la salle d'attente. J'avais fait fuir à moi seule tous les patients qui se trouvaient-là.

******

 Les déboires de l'enfance peuvent marquer à vie, positivement ou négativement. Pour ma part, l'idée de perdre un membre ou une partie de moi-même me hante encore parfois tout comme devoir me faire anesthésier me donne une peur bleue - bien que je n'en montre rien en apparence. Quant à Arnold, il ne devint pas pompier mais s'engagea tout de même dans le domaine du soin. Il devint kinésithérapeute et je crois qu'il est doué dans son domaine.

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