Chapitre 14 : Refoule, prétends et agis.

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Cette expédition fut un cauchemar du début à la fin.

Les Terres Mortes étaient anxiogènes par nature, les parcourir en groupe rajoutait une couche supplémentaire d'inquiétude. À plus forte raison dans un véhicule motorisé comme celui-ci, aussi bruyant que massif : Quatre roues motrices, peinte dans un jaune orangé offrant un camouflage partiel dans le désert des Terres Désolée. L'automobile se jouait des dunes avec une facilité déconcertante.

Si la perspective d'être transporté m'enchantait plus qu'un voyage à pied, l'espace à l'intérieur du véhicule tout-terrain me cloisonnait dans une proximité relativement déplaisante avec mes pairs.

Lors de notre expédition, je pu fraterniser un peu avec mes compagnons de voyage : Il y avait d'abord Iris et David. Deux soldats aguerri du dôme qui avaient subi la traversée des Terres Mortes, tout comme moi. Un cartographe, Albert et son apprentie Helga. Après avoir échangé brièvement sur la mort de Radicor ; j'eus le triste constat d'observer cette même réaction : Le conditionnement poussait mes frères à tous ressentir de la tristesse pour leur bourreau.

Je soupirais intérieurement :

Si je voulais leur rédemption, il me fallait les arracher à ce genre d'automatisme...

Je fus happé de mes réflexions par une sensation étrange, comme si tous nos échanges avaient des relents de fausseté, tant dans le côté factice que dissonant. Cherchaient-ils à me tromper ? Je pu remonter à l'origine de ce sentiment en me plongeant dans leurs yeux. Il brillait dans leurs regards respectifs comme une lueur d'admiration. Leurs yeux étaient empreints de fascination à mon égard.

Helga rompu le silence malaisant qui commençait à s'installer.

-Excusez-moi de vous demander cela mais... c'est bien vous Zachary ?

Je sentis dans sa voix autant d'exaltation que d'hésitation.

-Quelle curieuse question. Tu as bien dû lire le rapport de mission ou avoir un briefing, non ?

-Je veux dire... vous êtes LE Zachary, non ?

Je serrai les dents comme si j'étais déjà dans l'anticipation d'une mauvaise nouvelle.

-Qu'est-ce que tu veux dire par LE Zachary ?

Elle psalmodia sa réponse comme si elle n'était qu'une interface de la Noire Candeur.

-Celui qui nous a sorti de notre solitude, Celui qui apporte l'espoir, Celui qui ...

La somme des réactions défigurant mon visage dû l'interrompre, laissant transparaitre simultanément surprise, colère et déception.

L'angoisse étreignait mes entrailles alors que se dessinait devant mes yeux plan d'Aquifolius.

Évidemment... en plus de faire d'Insitivus un ennemi commun à abattre, il fallait contrebalancer cela en créant un sujet d'admiration, un élément rassurant pour l'avenir, un garant de l'espoir... un héro... moi ?

Tremblant de dégoût, je m'adressai à elle, parfaitement troublé.

-N'en parlons plus, d'accord ? Plus jamais. Faisons simplement ce qu'on nous a demandé.

Je marquai un temps de pause alors que nous passions au travers de ruines d'immeubles, celles la même que j'avais déjà croisé lors de ma première traversée. Si par le passé elles avaient été recouverte par les Cafards désormais la pierre blanche de ces témoins immuables de l'histoire ressortait avec splendeur. Rassuré de ne pas croiser de créatures insectoïdes sur notre chemin, je priais intérieurement pour qu'elles soient toujours aux prises avec les cannibales.

Souhaiter les souffrances d'un peuple pour ta propre survie, à quoi ces Terres Mortes me réduisaient elles. Nous avons terraformé la terre par notre manque de considération vis-à-vis d'elle, désormais c'est à son tour de terraformer mon esprit.

Je poursuivis mon propos d'un regard éteint en me tournant vers Iris et David.

Je n'ai rien fait de plus que ce que mes autres frères ont fait.

David me reprit.

-Vous vous trompez. Nous, on a juste survécu dehors. Vous, vous avez découvert deux civilisations.

Le silence était la seule réponse que je pouvais leur fournir, ma culpabilité n'aurait rien autorisé de plus. Les mots de David firent naître en moi la volonté de cesser d'exister. Tout mon environnement se teinta de noir, le paysage commençait à s'effacer, mes compagnons disparurent pour me laisser seul face à moi-même. Je n'étais non pas dans le coma mais dans un profond état d'introspection.

Ils font de moi un héro alors que je veux ruiner leur mode de vie. Qu'est ce qui se passe ? Qu'est-ce que je fais ? Quelle est cette torture ? Je veux les sauver d'eux-mêmes et de leurs mœurs décadentes, pas devenir un symbole de ces dernières.

Mes tortures mentales me poussaient généralement à me demander si mes frères du Dôme étaient dignes d'être sauvé. Maintenant la question que je me posai se résumait à :

Qu'est ce qui te rend digne de les sauver ? Qui penses-tu être pour renier leur culture, leurs mœurs, tout ce qu'ils pensent sain ou nécessaire et surtout potentiellement tout détruire ?

L'urgence n'a jamais été de bon conseil. Ressaisis-toi, fais comme si tu n'avais rien entendu. Refoule prétend et agis. Tu traiteras l'information plus tard, il ne serait pas bon de fondre en larme ou d'exploser de colère, tu peux très bien utiliser ce nouveau statut contre le Dôme. Rassures toi comme tu peux. Respires un grand coup et allons-y.

-Monsieur Zachary ?

Sa voix m'arracha à mes pensées Je sentais bien par le ton d'Iris qu'elle ne parvenait pas à réprimer un respect latent. A contrario, j'eus du mal à masquer ma lassitude

-Oui ?

-Si vous le voulez bien, j'aimerais que vous nous expliquiez à quoi pouvons-nous nous attendre avec ceux que vous appelez les tocards ?

J'attendrais la fin de la mission pour m'accabler. Les aider devenait ma priorité. Non pas par servitude vis-à-vis du dôme plutôt parce que ces 4 personnes-la ne méritaient pas de mourir, aussi m'appliquai-je dans cette tâche. Pendant que mon esprit serait occupé à leur décrire de ce que je comprenais des tocards, il ne serait pas occupé à se détruire lui-même.

-Les tocards ont de similaire avec nous leur appartenance à la race humaine, hormis cela il me serait difficile de trouver un point commun. Chacun d'eux présentent des difformités et autres malformations. En plus du physique, leur manière de parler est également différente de la nôtre. Plus simple, plus concise, plus efficace.

Chacun d'entre eux buvaient mes paroles, pas simplement dans l'appréhension d'un danger éventuel, mais également par réelle curiosité.

Leurs phrases sont courtes, ne comportent pas ou peu de pronoms, ils n'utilisent aucun verbe conjugué. En dehors de cela... je dirais que quiconque n'étant jamais sorti du dôme les qualifierait de violent, à titre personnel je dirais qu'ils sont adaptés à la férocité de leur environnement. Ils ne sont pas particulièrement menaçant si vous ne l'êtes pas vous-même.

La conversation se termina alors que nous arrivâmes à bon port. Notre approche était loin d'être discrète, entre le bruit assourdissant du moteur et la fumée noire qui se dégageait de notre 4x4, nous étions certain d'être attendus. Quand nous arrivâmes aux abords de l'entrée par laquelle j'étais arrivé lors de ma première venue, je signalais à notre pilote d'arrêter le véhicule pour partir en éclaireur en m'enfonçant dans l'entrée des égouts.

-Attendez moi ici, je vais nous annoncer, vous sortirez à mon signal.

Une assemblée de tocards faisait office de comité d'accueil. Curieusement, la lame rouillée et affutée de leurs armes de fortune était rassurante. Rassurante comparé à la perspective d'être dévoré par les Cafards. Quand ils me virent arriver, la plupart resserrèrent la garde de leurs armes en prévision d'un conflit à venir.

Finalement, la plupart s'extasièrent en me découvrant. Une majorité d'entre eux plièrent un genou à terre et baissèrent la tête en signe de respect. Dans la foule je reconnus mon ami Cyclope, paré de ses plus beaux atours, c'est-à-dire des breloques tape à l'œil et une armure hérissée de clous acérés. Circonspect et interloqué, je m'avançais vers eux d'un pas aussi hésitant que ma voix.

-Euuuuuh... Bonjour ?

Hormis mon ancien compagnon, ils s'exprimèrent d'un seul homme dans un élan de joie commune.

-Tocard du dehors de retour !

Le cyclope enchaîna :

-Moi l'avoir dire, sauveur de retour.

Au vue des regards lancés à mon ami cyclope, il semblait être bien plus estimé par ses pairs qu'auparavant.

Je repris alors.

-Excusez-moi mais...Quoi ?

Les seuls être que j'estimais étaient en train de me mettre sur un piédestal. Ce que je perdais en philanthropie, je le gagnais en haine de soi.

Je fis signe derrière moi à mes compagnons de voyage d'attendre alors que Cyclope reprit la parole.

-Toi venir, Cafard disparaître.

Il désigna au loin les immeubles que nous avions pu croiser plus tôt dans notre périple. Leur aspect grisâtre, débarrassé de la présence des cafards, était maintenant synonyme de menace. Après quoi mon ami étendit ses bras pour me faire une accolade chaleureuse. Ses gestes étaient animés d'une joie sincère. Plus je sentis son enthousiasme, plus ce dernier alimentait mon désarroi.

Je me dégageai de l'étreinte du cyclope, animé par un regard vibrant de détresse. En cet instant, je n'étais plus en capacité de savoir si je pouvais encore le camoufler.

Qu'à cela ne tienne, si je ne voulais pas sombrer il me fallait changer de sujet vers la mission. Espérant les distraire d'une glorification dont je ne voulais absolument pas.

Alors ... et bien... quel premier mot utiliser. Ah ! Je l'ai.

-En fait...

C'est alors que je sentis les phalanges de mon ami géant démolir ma mâchoire avant même que je n'eus le temps de terminer ma phrase. C'était la troisième fois, pourtant je sentais bien que je ne m'y habituerais jamais.

Oui... j'oubliais.

Pendant un instant, j'étais redevenu un enfant. La douleur avait beau être intense, la perspective de pouvoir lui rendre la pareille me mettait en joie. Mon ami géant se mit alors en position pour recevoir ma réponse. Oubliant mes maux intérieurs, je focalisais mon attention pour lui offrir la frappe la plus cinglante que je pouvais lui fournir.

S'il ne broncha pas d'un poil, je le surpris en train de se masser la joue. Manifestement ravi puisqu'il laissa s'échapper un petit rire joyeux.

-Meilleur qu'avant.

Une fois l'excitation passée, mon esprit se maria à nouveau avec les tribulations moroses qui l'accablaient.

Je suis un traitre idéalisé en héro. Un traitre sur le point de bouleverser la vie d'un peuple innocent. Je ne suis pas un messie. Je suis tout au plus un corbeau. Un oiseau de mauvais augure. Un présage à craindre. Je n'ai jamais voulu d'une vie normale, je n'ai jamais voulu cela pour autant. Je veux juste m'enfuir.

REFOULE PRÉTEND AGIS.

-J'ai de bonnes nouvelles pour vous tous.

Mentir était d'une facilité déconcertante, pourtant en cet instant précis, je rêvais d'être débusqué.

Si mes entrailles étaient déjà nouées par le choc, désormais je sentais comme un vide abyssal grignoter progressivement mon âme. Le prix de mon refoulement était l'angoisse. La déliquescence de mon âme. L'anxiété et la culpabilité s'équilibraient mutuellement dans une balance malsaine. Un équilibre qui ne saurait durer longtemps. Toutes ces élucubrations rendaient mes tentatives de copier leurs langues bien plus tumultueuses. Aussi, je m'adressai à voix basse directement à Cyclope plutôt qu'aux autres survivants des Terres Mortes.

Cyclope. J'ai les peaux dont nous avons parlé, j'en ai assez pour tout le monde. Par contre mon chef m'a demandé en échange un service...

Si mon camarade semblait ravi à l'idée que je tienne ma parole, il manifesta une forme de méfiance.

-Service ?

Je désignais d'un signe de main l'extérieur en direction du véhicule derrière moi tout en poursuivant.

-Mon chef voudrait un échange. Les combinaisons contre vos histoires. Vous parcourez le dehors. Vous direz ce que vous verrez à mes frères et nous serons quittes.

Je marquai un temps de pause entre chacune de mes phrases pour être parfaitement certain que tout le monde me comprenne. Cyclope se retourna devant la masse de ses comparses pour demander de sa plus grosse voix.

-Tocards d'accord ?

D'un seul homme à nouveau, ils répondirent en cœur un « OUI » franc et massif. Si la plupart semblait amusé d'avoir un si petit prix, d'autres semblaient plus méfiant. L'un d'eux prit la parole.

-Vouloir voir frères. Frères de sauveur.

Je poussai un soupir de soulagement en constatant qu'ils ne refusaient pas d'emblée. Je fis signe au véhicule derrière moi pour inviter mes compagnons à me rejoindre. La plupart d'entre eux restèrent derrière moi, les deux soldats du groupe me rejoignirent directement, armes braqués vers le sol avec toutefois le doigt sur la gâchette.

-Tout d'abord voici David et Iris, ...

Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase que je m'interrompis. Cyclope et tous ses frères regardaient avec insistance et un certain effroi mes compagnons du dôme. Il recula d'un pas et s'adressa à moi avec effroi.

-Pareils... Tous pareils.

Mon ami tocard reprit la parole en reculant de quelques pas. Après un silence particulièrement pesant.

Pas normal...

Alors que j'inspectais les réactions de la foule, je pressentis un danger imminent. Certains sortirent du lot, leurs armes dégagées, brandit vers nous. L'un d'entre eux prit la parole en hurlant.

-Eux tous pareils. Eux comme insectes. Eux dangereux. Nous pas laisser avoir. Vous détruire nous alors nous détruire vous.

Instantanément je compris. Tous les Tocards sont différents les uns des autres. Nous sommes tous pareils à leurs yeux. Leur environnement, leur culture avait fait naître en eux la phobie de l'uniformité.

Si mon esprit est généralement un fourmillement de songes contradictoires, de doutes et de rationalisation, ici ma conscience parlait d'une seule et même voix, propulsé par mes tourments :

« Je ne suis pas prêt pour ça. Je ne suis pas prêt pour ça. Je ne suis pas prêt pour ça. »

Immédiatement les soldats de l'expédition braquèrent leurs armes sur les premiers Tocards qui fonçaient vers eux.

Mon ami cyclope essaya de s'interposer. S'il freina la progression des premiers, les suivants étaient proche d'atteindre mes frères.

Deux coups de feux mirent fin à la charge téméraire des Tocards. En bons soldats qu'ils étaient, David et Iris tiraient pour tuer. Les mouvements prévisibles de la charge frontale des tocards les avaient condamnées eux-mêmes. Quand les deux corps tombèrent au sol, un silence assourdissant retentit dans tous les égouts. Comme si les deux peuples se jugeaient mutuellement.

Je savais que je devais faire quelque chose, mû par l'énergie du désespoir je repris la parole.

-Avant d'aller plus loin. Regardez.

Je fis signe à David et à Iris d'enlever le casque de leurs combinaisons, ce qu'ils firent à contrecœur.

-Regardez bien. Nous ne sommes pas pareil.

J'insistais alors sur la différence entre les longs cheveux noirs de David de l'orangé de la courte chevelure d'Iris. Je poursuivis en comparant le bouc en forme de flamme pendant au menton de David avec ma mâchoire parfaitement imberbe.

Pas aussi différent que Tocards entre eux. Différent quand même. Pas cafards, pas dangereux.

Je sentais bien que ma démonstration avait fait son petit effet, que j'en avais convaincu le plus grand nombre. Alors que je terminai ma phrase, mon regard se perdit en direction des deux cadavres.

Maintenant, vu ce qu'il s'est passé, si vous souhaitez notre départ, on s'en ira.

Aussitôt, les tocards se regroupèrent pour former une sorte de mêlée qui dégénéra en un accrochage de courte durée. Ceux que j'avais convaincu, terminant de mettre à terre mes opposants. Cyclope, tel l'émissaire de son peuple, s'avança à nouveau vers moi.

-Vous pouvoir rester. Marché toujours d'accord.

Je ressentais une forme d'accalmie dans ma conscience. Peu importe le temps que cela durerait, cette oasis de sérénité relevait presque de la jouissance.

-J'aimerais préciser une dernière chose. J'apprécierais beaucoup que vous ne leur fassiez...

Je me corrigeai immédiatement de sorte à être plus compréhensible.

Évitez de leur faire du mal, s'il vous plait.

-Nous traiter eux comme toi

J'imagine que c'était ce que je pouvais espérer de mieux.

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