Dans les entrailles...

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L'obscurité abyssale m'envahit, inexorablement, dès lors que je franchis le seuil de la mine. Mon cœur pulse la chamade mais je n'ai d'autre choix que d'avancer, répondant à l'appel obsédant qui résonne en moi. Heureusement, la présence rassurante d'Astérion m'accompagne. Lui aussi ressent cette étrange aura imprégnant l'astéroïde.

Le faible halo bleuté de mon casque illumine imperceptiblement les parois obsidiennes autour de moi, mince rempart contre l'effroi. Compulsivement, je vérifie les paramètres de ma combi : oxygène, batterie, intégrité… Tout est normal, mais l'angoisse vrille mon estomac. Où cette quête insensée peut-elle bien me mener ? Ai-je moi aussi perdu la raison, comme Joe ?

"Courage Adda, tu n'es pas folle… Fais-moi confiance."

Mes pensées tourmentées tentent de me rassurer, en vain. Seule la présence rassurante d’Astérion m'empêche de céder à la panique.

Astérion est un Psor de Lupus. On m'a un jour conté l'histoire de ces êtres, résultat d'expérimentations génétiques audacieuses et d'alliances impromptues avec des formes de vie extraterrestres. C'est presque logique, en fin de compte. Le voir cheminer à mes côtés, sans le moindre casque ni combinaison pour protéger son souffle, n'a rien d'étonnant. Ses pattes massives s'enfoncent dans la fine couche de régolite lunaire avec une assurance qui défie la gravité, comme si son poids était à sa guise, comme si son empreinte sur la réalité pouvait être ajustée à sa volonté.

Soudain, Astérion marque l’arrêt et désigne une inscription gravée sur une roche : JOE ÉTAIT ICI. Un message laissé par le vieux mineur ! Nous sommes bien sur ses traces. Stimulée par cette découverte, je scrute les parois avec attention.

– Adda ! Où es-tu ? Réponds !

C’est la voix angoissée de Djed qui résonne dans mon casque et me fait sursauter. Que puis-je bien lui dire ? Il me croira folle, c'est certain…

– Tout va bien Djed, j'explore juste un peu. Ne t'en fais pas, je réponds d'une voix que j'espère rassurante.

– Mais Adda, je viens de rentrer avec Fanchette ! Tu ne devais pas quitter ton poste ! Où es-tu ?

Mais tout va mal. L'appel obsédant reprend de plus belle, implorant de me hâter.

– Pardonne-moi Djed... je n'ai pas le choix.

Le cœur lourd, je coupe ma radio. Désormais sourde aux appels désespérés de mon ami, je m'enfonce toujours plus avant dans les entrailles ténébreuses de l'astéroïde.

J'avance d'un pas fébrile dans la galerie, ne me posant plus de questions. Mon autonomie en oxygène vient de passer à 5 heures. Avec stupeur, je me rends compte que cela fait trois heures déjà que j'arpente ce labyrinthe titanesque, fruit de longues années de labeur pour Joe.

Une salle se dévoile, faiblement éclairée. Mon regard est irrésistiblement attiré par le matériel abandonné par le vieux mineur. Des bonbonnes d'oxygène vides jonchent le sol. Un frisson m'étreint. Comment peut-il être encore en vie, sans oxygène ?

Mais Astérion attire rapidement mon attention. Ses griffes éraflent le sol, révélant une cavité soigneusement camouflée. Intriguée, je m'approche, mais il me bloque avec douceur, ses yeux ardents captant les miens, comme s'il tentait de me faire comprendre les dangers qui se cachent au-delà.

Animée par une frénésie intense, je m'élance contre les panneaux métalliques et les rochers qui barrent le chemin, délivrant des coups de pied puissants qui projettent les débris dans un éclat de poussière. Tel un être possédé par la nécessité, je façonne une ouverture à la taille d'un homme, me frayant un passage vers l'intérieur.

Derrière moi, Astérion se joint à l'effort avec une puissance déchaînée. Ses griffes, semblables à des lames d'acier, déchirent et écartent les obstacles, créant un passage élargi, suffisamment spacieux pour son imposante carrure.

Je me retrouve à présent dans une pièce exiguë, un espace confiné. Les contours de la salle sont à peine perceptibles, obscurcis par un amas chaotique de caisses en désordre.

Mes doigts se referment sur l'un des couvercles, le soulevant avec précaution pour révéler son contenu. Une cascade de minéraux étincelants s'étale devant moi, illuminant la pénombre de reflets chatoyants. Parmi eux, je distingue clairement l'éclat rare et inimitable du Saxum-9, une découverte d'une valeur incalculable. Mon souffle se suspend, capturé par la beauté pure de ce minerai d'exception. Joe, avant de sombrer dans les méandres de la démence, avait bel et bien mis la main sur une richesse inimaginable.

Mes mains fébriles glissent de caisse en caisse, chaque ouverture révélant un trésor inattendu. Mes doigts se referment sur le cuir rugueux d'un objet familier, un journal d'extraction soigneusement caché parmi les trésors minéraux. Je le saisis avidement, m'efforçant de retenir l'excitation qui monte en moi. Les pages tremblantes de l'écriture, tracée avec une urgence fiévreuse, captivent mon attention.

Les mots griffonnés racontent une histoire de découverte et d'espoir, une quête frénétique pour percer les mystères de l’astéroïde. Les dernières pages portent les stigmates d'une main qui a vacillé, de pensées qui ont chaviré dans le tumulte de l'obscurité.

Avec une avidité frémissante, mes yeux glissent sur les dernières pages du journal, déchiffrant chaque trait tremblant de l'écriture comme si elle était un fragment essentiel de la vérité. Les mots de Joe prennent vie sous mon regard, chaque ligne est imprégnée d'une angoisse palpable, un écho du cauchemar qui s'est insinué dans l'esprit du vieil homme.

Là où il avait autrefois relevé des observations minutieuses sur le minerai et ses découvertes, il évoque maintenant des murmures indistincts qui résonnent dans l'obscurité, une présence insaisissable qui rôde aux frontières de sa conscience. Je m'imagine aisément les nuits blanches où Joe a dû lutter contre ces voix obsédantes, cherchant en vain à démêler leur origine et leur signification.

Mais ce sont les derniers mots, griffonnés avec hâte, qui attirent mon attention : "Il est là !

Le carnet m'échappe soudainement des mains, tombant lentement sur le sol. Qui, ou quoi, a pu tourmenter Joe de cette manière, l'amenant à la lisière de la raison ?

Le silence de la pièce s'épaissit. Je sens les ombres s'étirer, s'intensifier, comme si le danger lui-même s'était réveillé de sa léthargie pour me guetter dans l'obscurité. Une sensation aiguë que je ne suis pas seule. Les mêmes forces mystérieuses qui ont tourmenté Joe, qui ont réduit sa vie à des lambeaux de terreur, me scrutent peut-être à cet instant même, attendant dans les recoins sombres pour réclamer une nouvelle proie.

Chaque fibre de mon être me hurle de reculer, de fuir cette réalité qui devient de plus en plus étrange et mystérieuse. Cependant les secrets murmurés par les ombres sont à portée de main et d'un pas mal assuré, je franchis le seuil de la pièce.

L'appel hypnotique, qui avait été un murmure lointain, reprend en une mélodie envoûtante, s'insinuant dans le silence avec une urgence nouvelle. Chaque note résonne en moi, trouvant écho avec mon propre désir de vérité. Je sens que la réponse à mes questions brûle quelque part à proximité, une énigme sur le point d'être dévoilée, et cette certitude m'anime.

Le sol, autrefois stable sous mes pieds, commence à se transformer, se métamorphosant progressivement en une texture mouvante et spongieuse. Chaque pas que je fais crée des ondulations sur cette surface étrange, comme si le sol lui-même répondait à ma présence. Des veinules phosphorescentes parcourent les parois rocheuses qui m'entourent, frémissant doucement comme des artères pulsantes.

Mon regard scrute les profondeurs de ce nouvel environnement, et mes yeux se posent sur des formes énigmatiques. Des structures tubulaires et sinueuses serpentent le long des parois, créant des motifs complexes qui évoquent des racines enchevêtrées ou des vaisseaux sanguins tortueux. Je prends conscience de l'harmonie qui règne entre les éléments organiques et minéraux qui composent cet espace. Les mystères de la vie et de la roche se mêlent d'une manière inattendue, et je me trouve au cœur de cette symphonie étrange et captivante.

C'est alors, au détour d'un couloir rocheux, que je l'entends. Un son, à la fois familier et étranger, résonne à travers le sol, vibrant comme une mélodie venue d'ailleurs.

Un grondement sourd presque primal, comme le battement d'un cœur gigantesque. Ce rythme régulier, vibrant sous mes pieds, m'incite à m'aventurer plus profondément dans la galerie étrange qui se dévoile devant moi. Ce boyau, vaste comme les ténèbres elles-mêmes, paraît être né des entrailles de l’astéroïde, sculpté par des forces anciennes et puissantes. Les parois minérales, lisses et suintantes, se rapprochent progressivement, exerçant une pression presque étouffante. L'atmosphère est électrique, chargée d'une énergie primitive qui me fait vaciller.

Je réalise l'ampleur de ce que je traverse. La sensation du sol sous mes pieds, solide et tangible malgré sa nature étrange, me rappelle cette réalité hallucinante. On dirait que je pénètre dans les veines de l’Astéroïde. Mon cœur bat à l’unisson du rythme hypnotique de son pouls caché.

Les parois se resserrent davantage, créant un corridor organique où les frontières entre le minéral et le vivant s'estompent.

À mesure que je m'enfonce plus loin, la galerie s'élargit pour révéler une caverne ténébreuse et menaçante. Une puissance obscure semble émaner de cette antre, créant un souffle puissant qui me frappe de plein fouet. Je lutte pour maintenir mon équilibre face à cette force invisible.

La lueur vacillante de ma lampe peine à percer l’obscurité dense, projetant des ombres mouvantes sur les parois de la caverne. Les échos lointains de mon souffle se mêlent au grondement sourd qui emplit la cavité, créant une étrange cacophonie mystique.

Je peine à rester debout, mon corps est tiraillé par des courants invisibles qui m'entourent. Un flot puissant tente de m'attirer en arrière, de m'aspirer dans les profondeurs de cette caverne. Mes pieds glissent parfois sur le sol irrégulier. Je lutte férocement contre ce flux et ce reflux menaçant, résistant à son emprise de toute ma force physique.

Je sens la présence familière à mes côtés. Astérion, fidèle et vigilant, reste près de moi malgré les turbulences environnantes. Son regard perce l’obscurité. Son soutien indéfectible ranime mon courage. Nous sommes liés par un pacte, une promesse silencieuse de ne jamais abandonner. Peu importent les dangers, nous les affrontons côte à côte.

– Les ténèbres peuvent paraître infinies, mon ami, mais notre quête de lumière ne connaît pas de limites, lui lançai-je alors que nous progressons dans l'obscurité de la caverne.

C’est à ce moment que je m’aperçois d’une anomalie. Mon regard incrédule se fixe sur les données scintillantes qui se superposent à mon champ de vision. Les informations transmises par les capteurs de ma combi s'inscrivent en lettres luminescentes, dansantes devant mes yeux ébahis : Biotope : 96%, Température : +2°C. Je cligne des yeux, incertaine… Où diable me suis-je aventurée ? Suis-je toujours au cœur de l'astéroïde ou bien ai-je franchi quelque barrière dimensionnelle ? Une biosphère s'étend autour de moi, un écosystème d'une complexité inimaginable. La vie, aussi délicate que résistante, pulse à chaque recoin de cet environnement surréaliste. Mes pensées s'embrouillent, tâchant de donner un sens à l'impensable. Comment cela est-il possible ?

L'appel se renforce, une mélodie ensorcelante qui prend racine dans mon esprit. Je suis irrésistiblement attirée, comme une abeille vers le nectar d'une fleur inconnue.

Une secousse brutale fait trembler le sol sous mes pieds. Soudain, un tourbillon furieux éclate dans la caverne, tournoyant comme une bête enragée. Le vent tumultueux me frappe de plein fouet, s'écrasant contre la paroi rocailleuse. Un cri involontaire s'échappe de mes lèvres alors que mes côtes craquent sous le choc brutal. Les particules de poussière, portées par le tourbillon, me cinglent comme des milliers de piqûres d'aiguilles. La violence du cyclone me chahute tel un fétu de paille.

Mon instinct de survie prend les rênes et je m'accroche désespérément à la paroi. Mes mains s'enfoncent dans les aspérités du roc. Je sens mes ongles se briser sous la pression, mon souffle se mêle au tumulte déchaîné qui m'entoure.

Le sol se dérobe sous moi, la force centrifuge arrache mes pieds du sol. Mon corps est secoué, mes membres battent l'air alors que je lutte pour garder une prise précaire sur la paroi. Mes jambes sont happées par le vide, seul le ferme ancrage de mes mains à la roche m'évite d'être aspirée dans ce tumulte chaotique de pierres tourbillonnantes.

Le vacarme assourdissant du tourbillon tape sur mon casque, écrasant ma volonté sous son poids. Mes muscles brûlent sous la tension, mais je m'accroche avec la férocité d'un animal traqué. Mon esprit, empli de terreur, résiste à l'emprise de la panique. Ma volonté, emprisonnée dans cet abîme tournoyant, se concentre sur une seule chose : rester en vie.

Astérion, à mes côtés, se cramponne de toutes ses griffes, déterminé à soutenir ma lutte désespérée.

Le souffle gargantuesque de l’astéroïde me martèle de coups. Agrippée de la main droite, je sens avec horreur mes doigts glisser lentement le long de la paroi lisse et humide. Mes articulations craquent sous l'effort surhumain, la roche acérée me lacère les gants. J'essaye désespérément de resserrer ma prise, mais la saillie est trop courte, trop glissante.

Petit à petit, la pointe de mes doigts dérape sur la pierre suintante. Je sens la traction infernale sur mes jointures, mes ongles prêts à céder. Prise de panique, je tâtonne à la recherche d'une autre prise, mais mes mains ne rencontrent que le vide.

Soudain, mon index décroche. Mon corps se balance dans le gouffre, retenu seulement par trois doigts crispés. La douleur irradie le long de mon bras. Mais c'est vain. Millimètre par millimètre, je sens mes phalanges lâcher prise inexorablement.

Dans un ultime sursaut, j'agrippe la paroi de la main gauche. Trop tard. Mes doigts engourdis glissent sur le roc humide. Et là, l'inévitable se produit. Je lâche prise. Mon corps se détache de la paroi.

Autour de moi, le vide est noir comme l'enfer tandis que je tombe, impuissante, vers le cœur battant du maelström rocailleux où ma chair sera bientôt déchiquetée par un tourbillon mortel de lames minérales.

Astérion ! Dans un ultime élan, bondit à ma suite dans l'abîme. Ses tentacules claquent, frôlant mon bras. Ses pattes gesticulent désespérément dans le vide. Nos regards se croisent, emplis d'une terreur partagée. Nous allons mourir ensemble.

Fermant les yeux, j'attends l'impact fatal. Au lieu de cela, une secousse brutale manque de m'arracher le bras. Les tentacules d'Astérion se sont refermés sur ma manche en un vif réflexe. Nous oscillons de concert, suspendus dans le puits de ténèbres, lui agrippé à moi, et moi agrippée à lui.

Dans un effort désespéré, il réussit à planter ses griffes dans la paroi friable. Des étincelles jaillissent alors qu'il creuse laborieusement une prise, pattes tremblantes mais inébranlable volonté.

Sur ma rétine, des chiffres clignotent : Intégrité structurelle 98%, 92%, 82%... Le décompte implacable continue de chuter… 75%, 63%, 48%...

Autour de nous, c’est le chaos. Un déluge de pierres fusantes et de poussières abrasives. Le rugissement assourdissant du vortex qui cherche à nous engloutir. Accroché à la paroi, Astérion lutte de toutes ses forces. Ses griffes crantent la roche, menaçant de lâcher à tout instant. Ses puissantes tentacules ne lâcheront pas, je le sais. Centimètre par centimètre, il nous hisse hors des mâchoires béantes du gouffre, jusqu'à un replat salvateur.

Enfin, le sol est stable sous moi. Son corps massif s'effondre, épuisé. Ses tentacules ensanglantés se rétractent, libérant mon bras endolori. Mais malgré la douleur, il trouve la force de me pousser doucement de son museau pour me réconforter. Haletante, je l’enlace de toutes mes forces. Mon compagnon, mon ami, mon sauveur.

Je me remets péniblement debout, chancelante.

Je caresse affectueusement la tête écailleuse d’Astérion. Son regard brillant me redonne du courage. Oui, ensemble nous y arriverons.

Mon corps tout entier est parcouru de tremblements, l'adrénaline continue de faire vibrer chacun de mes membres. Pourtant, telle une somnambule, je poursuis ma route.

Mes jambes avancent comme des automates, presque déconnectées de mon esprit. Chaque pas est une épreuve, la douleur irradiant le long de mes muscles tétanisés. Et pourtant, je continue. Car au fond de moi résonne cet appel, cette force mystérieuse qui me pousse en avant.

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