A la Rame (s'il le faut)

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Après le coup de la panne, grand classique parmi les classiques, un autre sujet du même acabit. Que je vais là aussi légèrement maltraiter. Forcément. Et qu'il conviendrait peut-être de doter d'un sous-titre dans ce genre-ci :


De l’Acharnement
(envers et contre tout)


Mettons donc qu’après avoir lamentablement séché sur le paragraphe du match de boxe Priscilla contre Jean-Pierre, l’auteur décide que, quoi qu’il en soit, il convient d’aller jusqu’à la dernière ligne.

Là aussi va se poser la lancinante question. Pourquoi ?

Parce que. Cette réponse en deux mots se suffit à elle-même et justifie la poursuite, malgré les scabreuses péripéties (stylo à sec, auteur à sec, plus de papier, ordinateur plombé de virus, conjoint acariâtre), d’un texte dont la qualité sera notée de 0 à 20 selon le lecteur (celui qui écrit tend – ou devrait tendre – à s’attribuer une note en dessous de la moyenne, sinon au ras des pâquerettes, afin de se doper la volonté pour corriger et recorriger ensuite le torchon brouillon jusqu’à la perfection pour qu’il soit au moins lisible par sa concierge)[1].

S’il s’agit d’un roman et qu’on a déjà bâclé les cent premières pages, il convient peut-être de ne pas renoncer aussi tardivement. Au bout de dix feuillets, d’accord. Mais arrivé là, après tant de rudes semaines de labeur, ne serait-ce pas pure folie.

S’il s’agit d’une nouvelle et qu’on en a déjà franchi la moitié, à quoi bon s’arrêter ? Quelques pages de plus pour la boucler, ce n’est tout de même pas insurmontable, et s’il doit y avoir perte de temps, elle sera minime. Certes, l’on vient de rester en panne durant deux semaines, hésitant entre « Oh ! » dit-elle et « Ah ! », dit-elle. Bon, et alors ? Ce n’est pas une raison.

On va me dire, oui, mais s’acharner à écrire un roman qui de toute façon ne sera pas publié parce que a) si les éditeurs publient de la… de la… enfin on m’aura compris, arrivé à ce niveau d’indigence ils regarderont à peine le titre b) franchement s’il avait de la valeur ça se verrait c) c’est trop usant d’inonder le monde des lettres de lourds manuscrits…[2]

Hola ! Il n’y a pas que la publication dans la vie, faut pas tout de suite rêver du Grand Prix de l'Académie Française ni de sa photo en une de Lire. Est-ce que vous n’imaginez pas un tout petit instant l’immense satisfaction d’avoir réussi à boucler deux-cent pages ? Rien que la satisfaction personnelle d’avoir réussi à tirer tout ça de ses tripes, c’est quelque chose.

Écrire, c’est s’acharner.

Même si on doute. Surtout si on doute. Est-ce que quand vous partez en vacances, vous faites demi-tour à la vue du premier bouchon ? Non, vous vous acharnez, principalement sur l’avertisseur, d’ailleurs[3]. Pourtant, le village de vacances avec vue sur la centrale nucléaire que vous avez choisi sera tellement nul que vous préféreriez de loin regarder Fort Boyard chez vous, et même tous les jours. Mais ce n’est pas le problème.

Donc, en plein doute, il faut continuer. Même au ralenti, en relisant tout depuis le début avec une moue dégoûtée. On ne peut pas savoir ce que ça donnera, à la fin. Nul ? Pour l’instant, oui, peut-être. Mais le premier jet n’est pas tout, puisque ensuite, comme il se doit, il faudra corriger, affiner, et que du jus de chaussettes qu’on avait réussi à presser, on pourrait très bien tirer un bon champagne. Après tant heures à transpirer du cerveau que c’en est effrayant rien que d’y penser, mais rien ne se fait sans quelque effort. Un roman, on peut très bien mettre plusieurs années à l’achever, il n’y a là rien de déshonorant. Ça peut juste devenir lassant, à la longue. Bah ! si on voulait écrire plus vite, fallait choisir de s’occuper de la rubrique culturelle du bulletin communal.

Écrire, c’est s’acharner à écrire.

C’est tout bête, mais c’est un principe de base.

Peu importe ce qu’on écrit. Du roman, de la nouvelle, du théâtre, un journal intime, des pensées philosophiques, un guide des curiosités de la région. Peu importe, vous dis-je.

Il n’y a qu’en s’acharnant non seulement qu’on arrivera à un résultat (oh, le mignon petit roman !), mais aussi qu’on progressera (effectivement, le chapitre 221 est meilleur que le premier, question de pratique assidue).

Si on aime écrire, ce qui est douce folie un peu contraignante (je peux vous dire que ça occupe parfois tant l’esprit qu’on néglige alors bien des choses à ne surtout pas négliger), que l’on échoue dans le roman, on peut se lancer dans la nouvelle. Si on n’aime décidément pas la nouvelle, pourquoi ne pas tenter le théâtre ? Là non plus ? La poésie, peut-être ?… Bon… le bulletin municipal ?…

Il y a autant de raisons qui poussent à vouloir écrire que de moyens de s’exprimer Et, devrais-je dire, quand on a commencé à y prendre goût, de toute façon on s’acharne.

Parce qu’on n’y arrive pas mais qu’on veut y arriver.

Parce qu’on y arrive mais qu’on veut faire mieux (objectif, le Goncourt, pour commencer petitement).

Parce que.

 

 

PS: voir aussi ici: Il n'y a pas de succès avant le travail, sur Espaces comprises (http://espacescomprises.com/il-ny-a-pas-de-succes-avant-le-travail/).



[1] Pas de concierge ? Dommage. Se rabattre sur la boulangère. Ou la coiffeuse, même si on aura du mal à la sortir de Gala.

[2] Trouvez vous-même le prétexte redondant. Si je prends le cas du roman, c’est que la majorité des écrivains en herbe ne rêve que de s’y frotter. J’ai toujours trouvé que des textes courts étaient plus propices à l’apprentissage. Mais hélas la nouvelle n’est plus à la mode…

[3] Alors que ça ne sert à rien, de même que les rugissements de moteurs. Mais, hein ! si vous aimez les concerts improvisés de musique concrète, ça vous regarde.

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