Le Temps est un gnome

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Le soleil disparaissait tranquillement derrière les arbres. Les feuilles ondulaient dans la brise légère, et Camille contemplait le paysage, radieuse. Le mois de juin était décidément son préféré : les jours rallongeaient, la chaleur s'installait, la mélodie des oiseaux lui évoquait le chant d'une harpe. Ou peut-être celui du qin ? Elle ne saurait le dire. A vrai dire, elle n'était même plus sûre de se rappeler quels sons émettaient ces instruments.

Camille déambulait dans la ville qui l'avait recueillie lorsqu'elle avait commencé ses études. L'euphorie de l'endroit l'avait d'abord bouleversée : il y avait tant à voir, tant à entendre et à visiter ! Mais des années plus tard, tout cela était bien loin. Camille ne se promenait plus au pif dans le centre-ville, dégustant un tapa. Ou plusieurs, en fait. C'est choses là sont si addictives !

Non. A présent, Camille était frôlée par le temps qui passe. Comme une caresse. Comme un ami qui sonne sans que vous ne vous y attendiez. Un peu collant, mais on n'y fait plus vraiment attention ; il est là, c'est tout.

Et parfois, s'en est trop. Le drame. La caresse a des airs de claque sur votre peau à vif. Les larmes montent et vous puisez dans vos dernières réserves pour tenter de rester digne. Le Temps est un gnome. Si petit, si fugace. Caché sous terre, créant des tremblements de terre dans nos âmes, insinuant des pensées dans nos crânes, ces pensées qui tournent, tournent, tournent. Peut-être que ce manège amuse le Temps. Peut-être que les meilleurs spectacles sont retransmis dans des cabarets. Peut-être qu'il y repense pendant son footing du matin, et que cela le distrait. Car oui, le Temps court. Il court, il file, il passe de personne en personne pour les tourmenter, et nous laisse un peu de répit.

-Eh ! cria quelqu'un de l'autre côté de la rue.

Camille plissa les yeux dans le soleil couchant, et aperçut un homme d'affaire arrêtant un taxi, sa malette à la main, du café dans l'autre. Classique. Elle se demandait si un passant la décrirait de la même façon. Pressée. Stressée. Femme d'affaire. Bien sûr, Camille aimait à penser qu'elle était différente, qu'elle ne se laissait pas bouffer par sa vie à cent à l'heure. Après tout, bien loin d'elle la queue à la machine à café et les potins du matin, elle se cantonnait aux jus de fruits, qu'elle pensait meilleurs pour sa santé. Comme si quelqu'un comme elle avait le temps de se préoccuper de sa santé, franchement. Camille soupira et passa sa carte dans un distributeur, qui débita des petites coupures. Elle repensa à son dernier voyage en Corée, où elle avait eu du mal avec la monnaie, le won. Elle aurait bien aimer y retourner.

Elle avait pensé que ce voyage au bout du monde la dépayserait, mais au final tout se ressemblait. partout, les luxes des grandes villes unifient le paysage comme le maquillage unifie son teint. Les touristes meurent de chaud dans leur hôtel, s'entassent dans un zoo en pensant avoir l'idée du siècle. Les adolescentes bourrées de fric ont peur de se casser un ongle, sauf lorsqu'il s'agit d'attraper la dernière paire de chaussures en soldes.

Les modèles d'une vie idéale, la vitrine d'un monde parfait, songeait Camille, lasse. Tu montres tes jambes, tu poses nu, avec un kilt peut-être ? Tout pour faire buzzer. Tout pour montrer aux autres que tu vaux mieux qu'eux. Que tu n'es pas qu'un pion qui bouge au gré des mouvements de la mode. Que tu la crées, que tu la bouffes, la mode. Tu décides de ce qu'il va se passer. Bien sûr, certaines personnes naissent comme ça, mais pour d'autres, ça prend du temps. Du courage, et de la persévérence. Tu te revois le soir, alors que tu rayais un par un les commentaires haineux dans ta tête. Ceux qui t'empêchaient d'avancer. Ceux qui te demandaient de te conformer aux us et coutûmes.

Mais maintenant, Camille était forte. Elle s'était fait une place parmi les grands, elle était respectée. Elle avait de l'argent, une foule d'amis qui ne pouvaient la voir que quelques heures par semaines.

Oui, elle dominait le monde.

Camille rentra dans un taxi, et regarda la ville s'étendre par la fenêtre. Elle allait rentrer chez elle, à la campagne pour le week-end. Ce n'étaient pas des choses que tout le monde faisait, n'est-ce pas ? Après tout, Camille n'était pas comme les autres.

Non. Comme tout le monde, Camille pensait qu'elle était différente.

"J'entends les chants des sirènes,

regarde autour de moi tous ces gens qui m'aiment

J'veux toucher l'soleil avant que la pluie n'vienne,

t'inquiète pas, seuls les faibles se font bouffer par le système"

Orelsan

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