Snow patrol
La plupart du temps je tiens le froid à distance.
On se toise, on s’évalue, on se compare. Il cherche à répandre en moi sa douleur bleutée. Je lutte pour garder quelques rayons orangés cachés. Un petit duel se joue.
La patrouille veille.
Les cristaux translucides emprisonnent des pensées grises que la lumière ne parvient pas à iriser. La glace compresse des angoisses molles qui ne demandent qu’à se gonfler de malheur et se répandre en tristesse visqueuse.
La patrouille veille.
La neige crisse et pleure, je perçois sa doucereuse morsure blanche, sa magie immaculée menteuse. La neige n’est que de l’eau déguisée en petites fées floconneuses voletant avec grâce.
La patrouille veille.
Si je n’y prends pas garde, je peux me retrouver sous un épais tapis ouaté, envahie d’idées mortes acérées comme des lames de cristal, assaillie de frissons, les lèvres bleuies, les doigts insensibles et le regard figé.
Si je n’y prends pas garde je me sens presque bien dans ce grand froid, engourdie, anesthésiée, à l’écoute des fissures de mon cœur qui craquent comme un glacier mourant.
La patrouille veille.
Pourquoi penser à l’hiver en plein cœur de l’été ? Pourquoi appréhender le froid alors que le soleil me crucifie et brûle ma peau ? Pourquoi m’offrir à ses caresses mortifères ? La cruauté du soleil n’est rien en regard des poignards de glace qui me cloueront bientôt au sol si je n’y prends garde.
Je dois faire le plein de chaleur, emmagasiner la lumière, stocker cette sensation de braises incandescentes. Pour résister. Pour vaincre. Pour me relever si je reste un peu trop longtemps à terre.
Parce que septembre arrive au galop, chargé de fracas, dérapant comme un disque rayé qui répète à l’infini un couinement strident. Septembre et son goût de sang dans la bouche. Septembre qui tord mon cœur comme un vieux drap mouillé. Septembre que je voudrais dégueuler une fois pour toutes avec ses premiers frimas et ses brumes matinales, antichambre du froid à venir qui embue déjà mes yeux.
La patrouille veille.
Laisse quelques larmes fondre sur mes joues mais pas davantage. Se serre autour de moi en un rempart irradiant.
Et la plupart du temps, je tiens le froid à distance.
Pour une année de plus.
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