Cœur-pur

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Le village de Greyland était célèbre dans le Royaume de Skirll pour le bois de foudre qu’il produisait. Mais bien moins pour la légende de Kerwhallan, perdu dans les méandres du temps. C’est pourtant cette raison qui avait amené Foulk à passer les portes de la ville et à entrer dans l’auberge du coq hardi. L’établissement n’avait pas le luxe et la superbe des tavernes de la capitale pourtant, quand il entra, il se sentit comme chez lui. Les temps actuels rendaient tout lieux triste et morne, plus aucun rire ne fusait, trouver quelqu’un pour boire un godet devenait fort rare. La peur et le froid terraient les gens chez eux. Pourtant le géant brun pu voir accoudé au comptoir trois hommes de pauvre mise faisant face à l’aubergiste. Il s’en approcha en silence posa quelques pièces lâchant un simple « une chambre ». L’homme le scruta des pieds à la tête avant de se fendre d’un sourire vite effacé.


- Bien messire, autre chose ? Un Godet ? Un repas ? Voulez-vous prendre place près du feu ?


Il fit glisser une clé vers Foulk, les yeux d’un bleu profond, d’une extrême froideur, revinrent sur le tenancier sous le flot des questions, mettant l’homme fort mal à l’aise.


- Où puis-je trouver le vieil Hergreenwald ?


Le visage de l’homme marqua un temps de surprise avant de lever son index pour désigner le coin le plus sombre de la salle. Foulk se tourna lentement cherchant du regard ce qu’on lui montrait. Un vieil homme ratatiné se tenait assis une chope en main sans prêter la moindre attention à ce qui pouvait se passer autour de lui.


- Un pichet de ta meilleure bière, amène le à la table.


Les écus tintèrent sur le comptoir, Foulk rejoignit l’homme assis dans son coin. S’installant à ses côtés, il prit le temps nécessaire pour l’observer. L’homme semblait encore plus vieux que ce qu’on avait pu lui dire, son regard vitreux perdu dans les brumes de son esprit. Il ne bougea pas d’un poil quand le géant s’installa, pas plus qu’il ne prononça un mot. Le silence ne gênait pas le chevalier en temps ordinaire, mais il avait parcouru un long chemin pour voir l’homme. Comme par magie au moment où il ouvrait la bouche, l’homme leva la main pour le faire taire, prononçant simplement :

- Je sais ce qui t’amène.


Le silence revint entre eux, le géant se sentant à son tour mal à l’aise. Personne ne savait pourquoi il était venu aussi loin dans les terres pour rencontrer un vieillard aveugle. La voix rocailleuse reprit doucement comme si il lui confiait un grand secret.


- J’ai beau être vieux et aveugle, je vois clair en toi. Tu veux que je te raconte une histoire des temps d’avant. Tu veux la légende de Kerwhallan de Greyland. Tu crois que c’est notre dernière chance. As-tu le cœur pur chevalier ? Car seul le cœur pur sauvera notre monde des neiges infernales. Écoute-moi sans m’interrompre puis va-t’en. Il y a des siècles de cela vivait en cette ville un jeune chevalier qui respectait en tout point le code d’honneur des anciens chevaliers. Beaucoup le raillaient, mais il s’en moquait. Honneur et loyauté régissaient sa vie. Et jamais rien ne pouvait l’en détourner. Il était l’emblème vivant d’un monde perdu dans le temps que le vieux roi Hillgur voulait faire revivre. Il soutenait invariablement le jeune homme, prêt à lui offrir sa fille la belle Fringara en mariage et en faire son héritier. Mais leur monde était pourri par la corruption, les vices et l’argent. Le vieux roi n’avait que ce jeune homme pour soutien, et inversement. À cette époque révolue, les femmes n’avaient pas voix au chapitre, la jeune princesse malgré son soutien indéfectible à son père n’avait aucun pouvoir. Si elle ne trouvait pas d’époux avant la mort de celui-ci, le trône reviendrait à un membre éloigné de la famille. Malheureusement, tant de faveurs envers Kerwhallan ne pouvaient qu’attiser haine et jalousie. Un complot fut ourdi dans le plus grand des secrets. Le jeune chevalier devait disparaître. Les différents ennemis se trouvèrent ainsi un but commun : anéantir un royaume déjà moribond en détruisant son dernier pilier.
C’est ainsi que Kerwhallan croisa un jour la divine Gwydianhe, à nulle autre pareil. Sa beauté rayonnait sur le royaume, avoir ses faveurs était chose rare et non sans danger. Mais chaque beauté à son revers. Si l’enveloppe est belle, l’âme est pourrie et le cœur sanguinaire. Nombre de ses amants avaient disparu corps et biens. Quand le regard du jeune homme croisa celui d’or de la femme, il tomba fou d’amour oubliant sa promise. Seul perdurait son cœur pur. Malgré tous les stratagèmes que la belle tenta, malgré l’amour fou qu’il lui portait, jamais elle ne put lui faire commettre le moindre mal envers son bienfaiteur. Loyauté et honneur restaient les guides de son existence. Incapable de dévoyer le jeune homme, il ne restait qu’une solution aux comploteurs. Ordre fut donné d’anéantir le preux chevalier. La belle ensorceleuse tenta une ultime fois de le faire plier, de l’amener à sa couche pour le pervertir, mais rien n’y fit, il restait fidèle à l’amour courtois, signant ainsi son arrêt de mort. Gwydianhe ne supportait pas les échecs, cet ultime refus serait définitivement le dernier. L'abominable ensorceleuse, décidée à en finir avec l’insulte involontaire qu’on venait de lui porter, enfonça la lame empoisonnée de sa dague dans le cœur du jeune chevalier crédule. Seuls dans la chambre de la diablesse, le cœur-pur mourut sous le regard insensible de la démone. Devant rapporter une preuve de son crime, sans aucun état d'âme, elle lui ouvrit la poitrine et retira l’organe vital qui était cause de sa perte, le glissant dans un coffret. Ainsi muni de la preuve de son forfait, elle quitta définitivement l’auberge, parcourant les rues de la ville le coffre sous le bras. Si vous ne croyez pas au pouvoir divin, vous aurez du mal à me croire, jeune chevalier, mais la légende raconte qu’au cours de son trajet le cœur se mit à rayonner, nimbant la femme d’une lumière surnaturelle. Durant ce temps, le crime était découvert et la rumeur lancée, courant plus vite que la demoiselle. Elle fut rapidement rattrapée par une foule haineuse, car, si le jeune homme déplaisait à la haute société, il trouvait écho dans le peuple, lui redonnant espoir. Rattrapée par la foule, elle fut lapidée en pleine rue sans personne pour la défendre. Le cœur-pur fut recueilli et enfermé dans un reliquaire, exposé durant un temps dans la cathédrale de la ville. Il se dit que chaque futur chevalier devait porter à son cou le reliquaire, si celui-ci rayonnait alors le chevalier était désigné comme cœur-pur et placé à la droite du souverain, devenant conseiller extraordinaire. À la veille de grande bataille, il l’arborait pour mener les hommes au combat, son pouvoir divin donnait la victoire à l’armée royale. Une nuit, le reliquaire fut volé et jamais plus on ne le revit. Le royaume plongea alors dans l’oubli, fut démantelé en de nouvelles provinces par les successeurs du roi Hillgur. L’espoir mourut avec lui. La ville ne fut plus capitale, retombant dans l'oublie ne devant ça survit qu'au bois de foudre.


L’homme se tut, buvant une longue rasade, laissant le silence s’instaurer entre eux. Indécis, Foulk s’apprêtait à se lever et à remercier le vieillard quand celui-ci repris.


- Retrouve le cœur-pur et si le tien l’est aussi alors tu vaincras la sorcière Freezdgela. Il se dit qu’elle est la descendante de Gwydianhe, une réincarnation venue pour se venger des vieilles terres. Ne cède pas à son chant garde ton cœur pur… Va-t’en maintenant et ne reviens jamais. Une dernière chose… Écoute ton cœur chevalier, il te guidera à la sainte relique….


Le silence revint définitivement. Foulk se leva sans un mot pour rejoindre sa chambre. Passant et repassant les mots du vieil homme dans sa tête sans parvenir à trouver le sommeil avant le petit matin. Sa courte nuit fut peuplée de rêves étranges où apparaissait un cœur scintillant de mil feux. Au lever, il ne sut pourquoi il avait décidé de poursuivre son voyage vers les montagnes d’Arcôme.

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