Les voleuses de sable  1/2

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Santiago – Cap-Vert

« Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous » - Paul Eluard

Je bloque sur cette phrase, gravée sur un magnet et collée sur le frigo de notre appartement parisien, au milieu d’autres proverbes et des nombreuses photos de notre voyage en Amérique du Sud... Cette phrase, j’ai dû la lire mille fois pourtant, sans jamais avoir été percutée par sa vérité ! Pendant des années, je l’ai récitée machinalement, en sortant les yaourts, ou en rangeant la bouteille de lait... Même après ma visite chez le brocanteur, il y a un an, je n’en ai pas compris l’essence. Je n’ai pas réalisé alors que c’est un véritable rendez-vous qui m’avait été donné par celui qui allait changer ma vie, le kaléidoscope magique. Bien des rendez-vous m’ont, depuis, été donnés par le Destin, ou par le cylindre enchanté, je ne sais pas, mais pourquoi cette phrase m’interpelle-t-elle aujourd’hui tout particulièrement ? Elle résonne d’une drôle de façon dans ma tête, comme une prémonition, une annonce…

Et voilà, à peine rentrés, déjà repartis ! Forcément, je souris toute seule dans mon lit en repensant à mes interrogations de ce matin même, devant la citation d’Eluard, en ouvrant le frigo. Je n’ai pas voulu le croire lorsque, au dîner, Maman nous a annoncé que nous reprenions la route... Enfin, les airs d’abord ! Un avion pour commencer, puis d’autres avions encore, et des 4x4, des quads, des bateaux… Une nouvelle vie de voyages ! Devant le grand succès de son livre sur l’Amérique du Sud, Papa vient de se voir commander un autre album par son éditeur, album consacré à un nouveau continent, et quelle n’a pas été ma joie lorsque j’ai compris que cette fois, nous allions parcourir l’Afrique ! A nous le désert, la savane, les grands espaces et les animaux sauvages ! Nous repartons pour un an, et le voyage va commencer avec une approche en douceur puisque dès la semaine prochaine, nous rejoindrons les îles du Cap-Vert, au cœur de l’Océan Atlantique !

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Moins de sept heures de vol ont suffi à me propulser dans un autre monde et à me lancer dans une nouvelle vie. Nous avons quitté Paris il y a à peine trois semaines et déjà j’ai le sentiment que mon quotidien là-bas n’a jamais existé. C’est étonnant cette faculté de tourner la page, de passer à autre chose, tout de même ! Il faut dire que le dépaysement est grand, et ce, malgré le faible éloignement depuis la France et le léger décalage horaire de deux heures. Tout ici est différent : les couleurs, les odeurs, les paysages, le ciel, le regard des gens… Mes parents eux-mêmes s’ouvrent à d’autres choses, se montrent sous un nouveau jour, comme s’ils étaient soumis à d’autres lois, à d’autres influences, celle de la lune, ou de l’Océan Atlantique peut-être.

Ici au Cap-Vert, c’est Cesaria Evora que Maman écoute en boucle par exemple, comme elle l’avait fait avec Carlos Gardel à Buenos Aires, chose qu’elle ne fait jamais à Paris. Je note que Papa ne s’en plaint pas, il n’a pas trouvé à la chanteuse de surnom comme « le rossignol », et je le soupçonne d’être également envoûté par la voix de la Diva aux pieds nus. Je l’aime bien moi aussi Cizé, même si ses chansons sont tristes et si je n’ai toujours pas bien compris la définition du mot « saudade », qu’elle chante pourtant avec tout son cœur. Maman dit que c’est difficile à traduire, qu’il s’agit d’un sentiment mêlant espoir et mélancolie, et qu’il a un rapport avec la nostalgie du pays d’origine aussi. Sans mettre de nom dessus, je crois que je peux comprendre ce sentiment-là, je l’ai éprouvé quelques fois lors de notre long voyage en Amérique du Sud, et je sais que je le connaîtrai encore cette année, même si pour l’instant, je suis très heureuse de découvrir cette nouvelle partie du monde.

Nous sommes arrivés juste après Noël, et en moins d’un mois, nous avons déjà visité six des neuf îles habitées de cet étonnant archipel perdu au milieu de l’Atlantique : Sal et Boa Vista les balnéaires, São Nicolau la sauvage, Fogo la volcanique, Santo Antão la montagneuse et São Vicente la belle. J’ai déjà beaucoup appris de ce voyage, découvert des coutumes et des modes de vie bien différents de mon quotidien, différents de ceux que j’avais pu percevoir en Amérique du Sud aussi. Le monde est riche et vaste, et je réalise chaque jour à quel point les façons de vivre et les mentalités peuvent varier selon les continents ! Il règne dans ce pays une forme de sérénité, un détachement, une vision à la fois résignée et positive de la Vie qui m’étonnent et me réjouissent à chaque seconde !

Sur l’île de Fogo notamment, j’ai rencontré des hommes, des femmes, des enfants aussi, qui m’ont donné une belle leçon de vie, une leçon d’espoir et d’humilité. A Chã das Caldeiras, au pied du Grand Pico, les gens vivent de rien, mais ils sont heureux. Leurs villages ont été détruits de nombreuses fois par le volcan qui les surplombe et malgré cela, les habitants n’envisagent pas un seul instant de partir… Ils continuent d’aimer et de chérir ce géant qui les menace, s’attachent jour après jour à reconstruire leurs maisons, à planter des fleurs, des légumes, de la vigne aussi, et ce, au cœur même du cratère, pieds nus dans la cendre, la terre brûlée pour seul horizon. Les enfants fabriquent même des jouets à partir de la pierre de lave et Papa leur a acheté pour nous une petite tortue : elle n’est pas très ressemblante, je l’avoue, mais pour moi, c’est la plus belle du monde…

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Nous n’irons pas à Brava ni à Maio par manque de temps, et nous terminons donc cette découverte de l’archipel avec l’île de Santiago, la plus grande et, selon les guides, la plus africaine d’entre elles. Cette dernière phase de notre séjour commence de façon inhabituelle pour Alphonse et moi : à Praia, la capitale, Maman a choisi de nous mettre à l’école, juste pour quinze jours, afin de nous rappeler qu’il est bon de fréquenter une classe et pour nous montrer comment se passe l’enseignement ailleurs qu’en France… Si Alf n’était pas ravi, moi je trouve que c’est une bonne idée : j’adore porter un uniforme comme tous les élèves d’ici, apprendre des choses qui ne sont pas programmées dans mes livres et, plus que tout, rencontrer d’autres enfants et me faire des amis ! Dès le premier jour d’ailleurs, j’ai sympathisé avec une des filles de ma classe et aux vibrations de mon kaléidoscope à son contact, j’ai compris que je faisais une nouvelle rencontre importante.

Maria a treize ans, soit deux de plus que moi, mais elle m’a tout de suite accueillie à bras ouverts, me prenant sous son aile et m’expliquant tout ce que j’ai besoin de comprendre. Elle est très intelligente et connaît beaucoup de choses, aussi elle me raconte des tonnes d’histoires étonnantes sur son pays, ses habitants, leurs règles et leurs principes. Et surtout, avec Maria je ris comme jamais encore je n’avais ri : elle est la personne la plus drôle de la Terre et confirme ces sentiments de tranquillité et d’optimisme que j’avais pu ressentir dès mon arrivée dans l’archipel. Même si parfois son regard se voile, je ne sais pourquoi… Dans ces moments-là elle part, loin, puis se ressaisit et sort une nouvelle blague, peut-être pour oublier au plus vite la pensée qui vient de la traverser.

Maria me parle beaucoup de sa grand-mère, depuis le premier jour. Celle-ci l’a élevée les cinq premières années de sa vie, pour soulager ses parents, elle lui a enseigné la majorité des histoires qu’elle me raconte, et Maria lui voue une admiration et un amour sans bornes. Elle m’a répété maintes fois « si tu connaissais ma grand-mère ! », faisant plus qu’éveiller ma curiosité, et ce moment arrive enfin car aujourd’hui dimanche, je vais la rencontrer ! Maria m’a demandé si j’étais courageuse et si je n’avais pas peur de me salir les mains… J’ai bien sûr dit que rien ne me faisait peur mais je suis intriguée quand même, je me demande ce qu’elle peut bien me réserver !

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A suivre...

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