Sir Francis Walsingham

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En cette deuxième moitié de XVI ème siècle, l'Angleterre vivait une époque troublée. En effet Marie Tudor reine catholique, venait de décéder et c'est sa demi-sœur Elisabeth 1ère, souveraine protestante, qui fut appelée à lui succéder. Sa jeunesse et sa religion la rendaient très impopulaire aux yeux des catholiques d'Angleterre, d'Ecosse et à l'étranger. " La bâtarde hérétique ", comme ses ennemis la surnommaient, était devenue dès lors la cible de nombreux complots et rumeurs d'assassinat, obligeant ses conseillers et partisans à une vigilance constante. C'est dans ce climat mortifère qu'un homme allait se démarquer par son intelligence et son habileté, au point d'être considéré comme le père fondateur des services de renseignement, tels que nous les connaissons aujourd'hui.


Sir Francis Walsingham, brillant élève de Cambridge obtint rapidement, malgré son jeune âge et à la surprise de tous, un poste très élevé à la cour. Il fut promu Premier secrétaire d'État au sein du très honorable Conseil privé de sa majesté et devint son bras droit. Doté d'une grande vivacité d'esprit, il n'en était pas moins loyal, qualité assez rare dans ce milieu, pour être soulignée. Il s'était donné pour mission de se débarrasser de Marie et de garder sa reine en vie. En véritable protestant fanatique il se méfiait énormément des catholiques. À Paris, il n'avait pas oublié les scènes sanglantes de la St Barthélémy. Sa haine des catholiques combinée à son dévouement pour la reine ainsi que son attirance pour les codes secrets et les intrigues, faisaient de lui un excellent choix pour ce poste de Premier secrétaire d'État.


En sa qualité de preux chevalier adoubé par ses pairs, il était bien décidé à protéger sa reine des menaces de l'Europe catholique. Ce n'était pas chose aisée car le pape lui-même, après avoir excommunié Elisabeth 1ère, avait déclaré ouvertement que : " celui qui la tuerait serait béni entre tous ". De quoi en motiver plus d'un !

Le danger était réel et bien présent. Néanmoins il était conscient que la principale menace était sa cousine Mary Stuart, reine d'Ecosse, fervente catholique, qui claironnait partout à qui voulait l'entendre qu'elle était l'unique héritière légitime de la couronne d'Angleterre. De sang royal, elle demeurait le dernier espoir des catholiques anglais. Malgré cela la reine Elisabeth, qui vivait dans la crainte permanente, restait déterminée à se montrer à son peuple. Elle voyageait beaucoup et raffolait des fêtes organisées à sa cour. Ce qui ne lui facilitait pas la tâche !


Pour assurer la pérennité du règne de sa reine et de l'église protestante, Sir F. Walsingham ne recula devant rien et mit en place le premier vrai réseau d'espionnage de l'histoire, grâce à la collaboration d'une quantité impressionnante d'informateurs et agents doubles établis en Angleterre ainsi que dans toute l'Europe. Utilisant par là même, l'ancien réseau de renseignements " embryonnaire " mis en place par son prédécesseur.


Ses agents étaient pour la plupart des transfuges ou des canailles. La première catégorie étant celle qui donnait, selon lui, le plus de résultats. En effet, un catholique recruté de force parce que pris " la main dans le sac" alors qu'il tentait d'espionner la reine, à qui l'on redonnait la liberté mais qui devait changer de camp, restait à ses yeux, la méthode la plus efficace pour obtenir de précieux renseignements. L'autre catégorie, composée de vauriens, rassemblait des hommes aimant vivre dangereusement, berner leurs prochains, détestant la routine et préférant les missions courtes. Nous parlons ici des balbutiements du métier d'agent secret et sommes encore loin de l'espion idéalisé en la personne de James Bond...


Depuis la nuit des temps, les souverains et leurs généraux avaient cherché un moyen de communication efficace et connu d'eux seuls pour diriger leur pays ou leurs armées. Et c'était dans la crainte de l'interception de ces messages que l'on trouvait l'origine de la création des textes codés et chiffrés.


Sir F. Walsigham l'avait vite compris en créant sa propre école d'espionnage. Constituée d'une équipe formée d'hommes soigneusement sélectionnés à qui il allait enseigner, entre autres, l'art de soutirer des informations, le cryptage et décryptage ( on mettait des symboles à la place des mots, on modifiait l'ordre des phrases et l'on plaçait des leurres à certains endroits ), des codes secrets ainsi que la rédaction de documents à l'encre invisible. À cette époque, cette écriture secrète se faisait encore au moyen de jus de fruits acides comme le citron, l'orange ou l'oignon. Une fois couché sur le papier, le message ne pouvait se révéler que chauffé à la flamme d'une bougie. Un travail délicat car le support était hautement inflammable. Il fallait donc acquérir rapidement une certaine dextérité si l'on ne voulait pas nuire à la teneur du message...


Mais son principal apport à l'histoire de l'espionnage résidait principalement dans la mise au point de chiffrements et de codes secrets très sophistiqués. Il savait s'entourer de spécialistes en la matière, tels que des cryptographes experts en déchiffrement et falsification, et compétents en matière de contournement et de réparation minutieuse des sceaux. Il employait toutes les techniques existantes et en inventait même de nouvelles. Il était vraiment prêt à tout pour savoir ce qui se passait, où et avec qui. Quitte à recourir à la torture ou aux techniques de manipulation lors des interrogatoires, aux menaces, afin d'avoir une longueur d'avance sur ses adversaires catholiques.


D'ailleurs, à ce sujet, Mary Stuart ne cessait de l'inquiéter avec ses indéfectibles liens avec la couronne d'Espagne. Il était parvenu jusque-là, à déjouer ses complots et à maintenir sa reine sur le trône, mais pour combien de temps encore ? Ayant fait d'elle sa prisonnière, il l'avait assignée à résidence au château de FortheringhayI puis déplacée d'un lieu de captivité à un autre pour la déstabiliser. Ses espions et informateurs lui rapportaient le moindre de ses faits et gestes. Il interceptait ainsi ses lettres destinées aux ambassadeurs d'Europe, les lisait, les déchiffrait, les copiait et les remettait dans le circuit afin qu'elles parviennent aux destinataires. Ni vu ni connu. Il avait, en effet, eu la brillante idée d'infiltrer sa cour par ses dames de compagnie et était ainsi au courant de tous ses projets. Il se révéla si doué dans ce domaine que jamais elle n'eut le moindre soupçon.


Mais pour se débarrasser " ad vitam aeternam " de cette indésirable et donc obtenir la condamnation de la reine Marie Stuart, Walsingham devait attendre d'avoir en sa possession des preuves flagrantes de sa culpabilité et par là même, de sa participation aux complots. Conscient de cet état de fait, il savait pertinemment que sans elles, jamais la reine Elisabeth 1ère n'accepterait de la faire condamner. Mais le temps avait passé sans qu'aucun écrit ne réussisse à l'impliquer réellement. Et la patience de Walsigham avait ses limites...


Maintenant c'était chose faite. Bien évidement il avait un peu forcé le destin et fait ajouter quelques lignes à un message codé concernant une nouvelle conspiration visant la reine, qu'il avait intercepté et conservé pour preuve... Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Il est vrai qu'il avait également mis la main sur les conspirateurs et après les avoir fait avouer, il les avait tout simplement fait exécuter, on ne sait jamais... Peu importe, il détenait enfin de quoi l'accuser ! Après toutes ces années, la reine catholique allait enfin comparaître devant un tribunal pour haute trahison !



C'est par un matin d'octobre 1586 que la reine Marie Stuart pénétra dans la salle d'audience du château de Fotheringhay. Elle était sereine et digne malgré ces années d'emprisonnement et ses rhumatismes qui la faisaient énormément souffrir. Calme et confiante malgré le fait qu'elle se retrouvait seule face à ses détracteurs. Car en raison de l'acte de haute trahison qui lui était reproché, elle n'avait pu bénéficier de l'aide d'un secrétaire ou d'un avocat pour préparer sa défense. Mais Marie Stuart était une experte dans l'art du chiffre et son système était très compliqué. Elle restait donc persuadée que même si Sir Francis Walsingham avait par malchance intercepté quelques-uns de ses courriers, il n'avait pas acquis la compétence nécessaire pour les déchiffrer. Que de ce fait, ces preuves ne pourraient pas être utilisées contre elle. Sa vie dépendait de ce secret qu'elle pensait bien gardé !


Malheureusement pour elle, Walsingham n’était pas seulement Premier secrétaire, il était aussi le chef de l’espionnage anglais et avait, comme nous l'avons vu plus haut, intercepté ces lettres et fait en sorte de prouver sa participation au complot. Il s'était même débrouillé pour ne pas avoir besoin de la signature de la reine ! Sa mort était donc inévitable. " Vae Victis " aurait dit Brennus. C'est donc en ce même château qu'elle fut exécutée le 8 février 1587. Elle eut la tête tranchée et son bourreau dut s'y reprendre à trois reprises... Il était saoul le jour de son exécution. Décidément quand le sort s'en mêle...


Sir F. Walsingham, quant à lui, ne reçut jamais les honneurs auxquels il s'attendait, loin de là... La reine Elisabeth ne lui pardonna jamais de lui avoir " forcé la main" et le fit bannir de la cour, ce fut la disgrâce. Il mourut quelques années plus tard en 1590, dans la solitude et ruiné. La souveraine n'ayant jamais accepté de financer son réseau de renseignement, il avait engagé jusqu'à son dernier denier pour en assurer le fonctionnement. À sa mort, il était tellement couvert de dettes, qu'il fut enterré discrètement, de nuit afin que ses créanciers ne puissent voler son cercueil...


Sir Francis Walsingham avait malgré tout accompli la prouesse de maintenir au pouvoir pendant quarante-cinq ans la reine Elisabeth 1ère, à une époque où ses chances de survie étaient bien minces...




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