Les jours avancent, et mon cœur, lui, ralentit.

Je suis suspendue entre deux mondes : celui d’avant toi, et celui que tu vas complètement redessiner.

Je sens ton souffle dans mes silences, ton poids dans mes pas, ta présence dans mes battements de cœur.

Et même si je suis encore seule à te porter dans le secret, dans l’ombre de mon ventre tendu, je sais que tu existes.

Je le sais parce que je ne suis plus la même.

Je suis devenue ce lieu, ce refuge, ce monde qui t’abrite.

Je suis en train de devenir ta maison, Raham.

C’est étrange…

Je ne sais pas exactement depuis quand tu es là.

Ton arrivée dans mon ventre a défié les règles du monde, a déjoué les résultats médicaux, les preuves dites scientifiques.

Tu t’es caché, tapi, discret, comme si tu attendais que mon cœur soit prêt à t’entendre avant que mes yeux puissent te voir.

Et quand la nouvelle m’a été annoncée, j’ai eu l’impression que le monde s’écroulait et renaissait dans la même seconde.

Tu étais déjà là.

Avancé. Formé. Ancré.

Et moi, j’étais là, sans le savoir.

À vivre comme si je n’étais que moi, alors que j’étais déjà deux.

Quand je l’ai su, tout a changé.

Je me suis sentie envahie par des milliers de sensations que je n’avais jamais vécues.

Un vertige. Un choc. Une peur immense.

Et une chaleur indescriptible, comme une lumière venue se loger dans le creux de ma poitrine.

Mais avec cette lumière, il y a aussi l’ombre.

L’inquiétude.

La solitude.

L’incertitude.

Je n’ai pas su comment le dire à ma famille. Je ne sais toujours pas.

Je marche tous les jours avec cette vérité collée à ma peau, sans avoir encore trouvé les mots pour la déposer entre leurs mains.

Je crains leur regard, leurs jugements, leur colère, peut-être.

Je me demande s’ils comprendront ce que je vis.

Ce que je ressens.

Ce miracle que tu es, mais aussi ce combat silencieux que je mène.

Avec ton père, nous sommes distants. Étrangers, presque.

Nous avons vécu l’amour, nous avons vécu la tendresse, les promesses, les rêves…

Puis les doutes, les tensions, les silences lourds comme des murs entre nous.

Et aujourd’hui, je suis là. Avec toi. Sans lui.

Et je ne sais pas s’il te verra grandir.

Je ne sais pas s’il saura t’aimer.

Je ne sais pas s’il réalisera un jour la beauté que tu représentes.

Mais moi…

Moi, je me prépare à toi.

Je commence à te parler, à t’écrire dans ma tête.

Je caresse mon ventre et je murmure ton nom.

Raham.

Ce nom que j’ai choisi avec soin.

Ce nom qui porte une promesse, une bénédiction, un pardon, une tendresse.

Un nom rare, doux, plein d’écho et de sens.

Un nom que je répète comme une prière.

Je prépare le monde à t’accueillir comme je peux.

Je ne suis pas parfaite.

Je suis encore cette fille qui doute, qui pleure parfois dans le noir, qui serre son oreiller fort les soirs de tempête.

Mais je suis aussi cette femme en devenir, cette mère qui apprend.

Qui apprend à te faire une place, à se faire confiance, à bâtir un nid même avec les mains tremblantes.

Je range mes colères.

Je plie mes regrets.

Je nettoie les blessures pour ne pas que tu les portes comme un héritage.

Tu n’auras pas à guérir ce que j’ai subi.

Je me le promets.

Tu arrives dans un monde en désordre, Raham.

Mais ton sourire le remettra peut-être en paix.

Ta main autour de mon doigt suffira peut-être à me dire que je n’ai pas échoué.

Que j’ai été forte. Que j’ai été là.

Et quand ce jour viendra…

Le jour où je te verrai.

Où ton cri se mêlera à mon silence.

Où tes yeux chercheront les miens…

Je saurai.

Je saurai que tout en valait la peine.

Que tous les doutes, toutes les nuits blanches, toutes les douleurs, tous les silences, tout…

T’ont mené à moi. Et moi à toi.

Tu seras mon fils.

Ma lumière.

Ma vérité.

Et je serai, pour toi, tout ce que je peux. Tout ce que je suis.

Une maman. Une guerrière. Une maison.