Chapitre 4 - Vérité

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Deux hommes en blouse blanche arpentent les couloirs de l'hôpital psychiatrique de Mumbay. Ils se dirigent vers une cellule. Sur la porte est inscrit : Patiente - Indira Sharma. Le plus âgé des deux ouvre la porte. Le second le suit de près, plateau de médicaments dans les mains.

— Ah merde, elle s'est déjà plongée dans une nouvelle identité. On ne va pas pouvoir lui donner ses médicaments.

— Pourquoi ?
— Tu n'as pas lu son dossier ? En tant que petit nouveau, la première chose à faire est d'apprendre les caractéristiques de chacun de tes patients !

— Oui, chef Karan !

— Te moque pas. Ça ne fait que trois ans que je suis aide-soignant ici. Bref, Indira a des troubles sévères de schizophrénie. Elle s'approprie une identité et s'invente une histoire. Elle raconte tout à voix haute, jouant la femme qu'elle incarne et les protagonistes de son environnement. Cette femme a une imagination débordante. Là, elle se prend pour Millie et vit à Boston. Elle arrive même à voyager.

Karan éclate de rire. Tandis qu'Ishan scrute le sol et les murs de la cellule recouverte d'une protection matelassée. Des journaux sont éparpillés. Il plisse les yeux, puis s'avance à pas feutrés dans la pièce.

— Hey, fais gaffe ! Elle pourrait te tuer si elle s'aperçoit que nous sommes là !

— Mets-lui sa camisole de force.

— Impossible quand elle raconte ses histoires. C'est comme si son esprit avait quitté son corps. Elle se retrouve dans une transe étrange. N'oublie pas qu'elle est sérieusement dérangée.

— Je fais attention. J'ai repéré quelque chose. Regarde ! dit-il en attrapant un journal. Dans cet article, ils parlent de Millie !

Karan soupire.

— Oui, les femmes dont elle s'accapare le nom et l´histoire sont bien réelles. Toutes violées par leur agresseur.

— Ça alors... Un rapport avec Indira ?
— Oui, elle aussi a été violée. Ça s'est produit à ses six ans, violée par son oncle. À dix ans, elle l'a égorgé avec un couteau de cuisine.

— Merde...

— Elle ne s'est pas arrêtée là. À douze ans, elle a noyé son ami dans la piscine, car il avait tenté de l'embrasser. Et à quinze ans, elle a étranglé son petit ami, dans sa chambre, car il voulait baiser avec elle. Après ça, la police l'a arrêtée. Elle n'a cessé de clamer son innocence. Son père a tenté de la rassurer tant bien que mal. Elle était instable, changeait continuellement sa version des faits. Le père a fini par avouer que les médecins l'avaient diagnostiquée schizophrène à ses treize ans. Il n'arrivait plus à la gérer. Alors les soignants l'ont prise en charge. Elle ne s'est même pas rendu compte que depuis tout ce temps, elle vit dans cette chambre blanche au sein de cet établissement psychiatrique. Elle croit être partie au Canada, alors qu'elle n'est jamais sortie d'ici.

— C'est affreux.

— Elle est dangereuse. Elle a déjà tué trois personnes, agressé le personnel et même la cantinière.

— Et ces médicaments ne l'aident pas ?

— Ils servent juste à la calmer. À mon avis, son cas est irrécupérable. Elle se plonge si profondément dans son imaginaire, qu'elle est convaincue d'être ces femmes. Cassandre, Irène, Abby, Millie et bien d'autres. Elle exerce leurs métiers. La dernière fois, elle se prenait pour une avocate. Dans chacune de ses histoires, un homme meurt. Toujours la même fin, et toujours la même rengaine « clame ton innocence ».

— D'où ça vient ?

— Son père lui aurait suggéré de plaider son innocence après le meurtre de son oncle.

— En somme, c'est comme si elle se vengeait de son oncle, à chaque histoire.

— Oui, c'est ce que je pense aussi. Il l'a violée pendant plusieurs années. Pauvre gamine...

Indira s'agite, prise d'excitation. Elle gémit.

— Qu'est-ce qui lui arrive ?! s'inquiète Ishan.

— Elle s'imagine des relations sexuelles avec ses partenaires masculins. Étrange pour une femme violée. Mais écoute-la bien. C'est elle qui dirige, elle qui choisit son homme. Mais elle se fait rejeter. Et elle ne l'accepte pas. Alors elle le tue ou le laisse mourir.

— Peut-être qu'elle attend qu'un prince charmant vienne la sauver.

— Elle va attendre longtemps ! Personne ne vient la voir, même pas son père. D'ailleurs, elle croit qu'il est mort lui aussi, alors qu'il a refait sa vie avec un autre homme.

— C'est triste.

— Ne tombe pas dans son piège. N'oublie jamais qu'elle est très dangereuse.

À cet instant, Indira se lève, se tient debout, immobile, devant les deux hommes. Elle les fixe de son regard fou.

— Oh merde, s'angoisse Ishan.

— Surtout ne bouge pas !

Indira penche la tête sur le côté. Ses cheveux broussailleux recouvrent à moitié son visage. Elle se met à pleurer. « John m'a laissée tomber ! Il est sorti du restaurant avec Ashley ».

— Ah, ça recommence, lance Karan en levant les yeux au ciel.

— Elle semble si triste...

— Ishan, ne te laisse pas avoir !

Indira continue son histoire. Les deux hommes restent plantés là à l'écouter.

— C'est terrible.

Karan secoue la tête.

— Viens, on reviendra plus tard.

— Mais elle a l'air si fragile... blessée...

— Ishan !

Indira lève la tête, les fixe. Elle s'avance vers Ishan. Karan attrape son bras, le tire en arrière, mais il résiste.

— Sortons d'ici tout de suite !

Ishan refuse de bouger, hypnotisé par les beaux yeux d'Indira. Karan panique en la voyant s'approcher de plus en plus près avec son esprit dérangé. Il gifle Ishan.

— Réveille-toi ! Elle va te tuer ! Tirons-nous !

En voyant ce geste, Indira crispe les poings, crisse ses dents, puis se met à crier si fort que les gardiens en sont alertés. Elle se jette sur Karan, mains autour de son cou. Elle le serre fortement, assise à califourchon sur lui. « Tu m'as trompée, John ! Tu vas me le payer ! ». Ishan tente de libérer son collègue.

— Lâche-le ! Tu te trompes !

Karan étouffe, suffoque. Son visage devient pourpre. Les gardiens arrivent juste à temps pour le libérer. Ils attrapent Indira. Elle se débat, hurle et clame son innocence. Le chef de service débarque à son tour. Ils s'y mettent à trois pour lui enfiler la camisole de force, garnie de liens paralysant les mouvements. Indira est ainsi maitrisée. Elle se calme. Quant à Karan, il tousse presque à en vomir. Il reprend sa respiration. Les gardiens l'aident à se relever.

Tous quittent la cellule d'Indira. Ishan jette un oeil. Assise en tailleur, elle se balance d'avant en arrière en marmonnant en boucle « clame ton innocence ».

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