- LE LABORATOIRE -

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6 juillet. Caroline dormait encore, alors Gabriel descendit les marches jusqu’au rez-de-chaussée et se rendit dans le salon. Comme à son habitude, Joseph s’était levé de bonne heure pour attendre que le facteur lui livre son précieux journal. Chaque matin ce même rituel à 6h45. En quinze ans il n’en avait jamais manqué un seul. Ses petites lunettes accrochés à son gros nez, il scrutait avec attention la page des sports. Joseph était un grand fan des Cardinals de l’Arizona, mais il n’était jamais allé voir un seul de leur match au stade, grand superstitieux qu’il est.

Gabe s’approcha d’un pas lent et peu assuré. Joseph entendit le petit tapotement de ses pieds, il baissa son journal. Joe parut bizarrement accueillant quand il demanda :

Joseph – Bien dormi garçon ? en adressant un sourire qui paraissait sincère.

Gabriel – Bien, je vous remercie, répondit-il, étonné que ce grossier personnage se souci de lui. Malgré son attitude dédaigneuse, Gabriel avait une sorte d’admiration pour Joe. Il resta debout au milieu de la pièce, le regardant lire et se gratter la moustache. Interloqué par ce regard insistant, Joseph demanda :

Joseph – Oui ?

Gabriel – Non rien…Vous…Vous me rappelez quelques peu mon père…

Joseph – Ton père aime le baseball ?

Gabriel – Je ne sais pas, certainement.

Joseph – Car moi je déteste ça, rien ne vaut le football. Tu aimes ça le football ?

Gabriel – Je…Je ne sais pas…

Joseph – Quoi ?! Tu n’as jamais regardé de match de football à la télé ?

Gabriel – Non monsieur…

Joseph – Je suis moi-même un fervent supporter des Cardinals, je suppose que tu ignores de quoi je parle ?

Gabriel – Je vous mentirais si je vous disais non.

Joseph – Dieu du ciel…Tu ne t’y es jamais interessé ?

Gabriel – Je n’en ai pas trop eu l’occasion, dit-il en adressant un sourire à l’envers. Persuadé que Joseph le détesterait pour ça, il n’osait plus rien dire.

Joseph – Et bien, il y a un début à tout.

Un petit silence s’installa, Joseph replongea les yeux dans son journal sans rien dire. Gabe n’osait pas s’asseoir sur le canapé en cuir qui trônait pourtant juste devant lui. Joseph avait presque oublié sa présence, quand il leva les yeux, il le vit, toujours debout, muet. Il toussota avant de lui demander :

Joseph – Tu as faim garçon ?

Gabriel – Je n’osais pas vous le dire.

Joseph – Tu n’as qu’à te servir, fais comme chez toi.

Gabriel souri, Joe lui paraissait étrangement aimable et bien luné. « Fais comme chez toi », n’était-il pas déjà chez lui ? Plusieurs semaines qu’il logeait ici, mangeait à la même table que cette famille, utilisait les mêmes toilettes et la même salle de bain. Il était sans doute chez lui ; ou alors, n’avait-il jamais habité nulle part ? Il ne se sentait chez lui en aucun point ; se contenter-t-il peut-être d’abuser de l’hospitalité d’Anne ?

Il se dirigea vers la cuisine, ouvrit un placard et attrapa un grand verre. Il le rempli presque à ras bord de lait et le descendit en quelques secondes.

Il entendit du bruit dans le couloir, il rangea presque instinctivement la bouteille. Caroline entra dans le salon, elle s’approcha de son père et déposa un baiser sur sa joue. Gabriel n’osait jamais s’asseoir, pourtant, ce n’était pas le choix qui manquait. Trois chaises s’offraient à lui, il resta debout malgré tout, son verre vide dans la main droite. Caroline entra dans la cuisine en le saluant :

Caroline – Bonjour ! s’exclama-t-elle en souriant. Elle était radieuse dans cette robe de chambre rose pâle. Ses cheveux légèrement entremêlés dans lesquels Gabe rêverait de passer ses doigts.

Gabriel – Bonjour…, expulsa-t-il difficilement.

Caroline – Alors, tu es prêt ?

Gabriel – Prêt à ?

Caroline – Savoir ce qui se cache derrière ce message.

Gabriel – Je ne sais pas, je ne sais plus quoi en penser à vrai dire…

Caroline – Est-ce que tu as…Peur ?

Gabriel – Ce n’est pas vraiment de la peur. C’est un sentiment plus étrange que ça. C’est…En réalité…Oui c’est de la peur. Mais pas comme tu l’entends, c’est une peur bien plus sombre. J’ai ressenti un étrange présage hier après-midi. Comme une présence néfaste qui m’entourait, quelque chose de vivant et qui rôdait dans les parages.

Caroline – Ne crois-tu pas que c’était dû à la fatigue, ou au choc sur ta tête ?

Gabriel – Je certain que ce n’est pas à cause de la fatigue. C’est là, tout autour de nous…, Caroline observa la pièce en frissonnant.

14h. Ils arrivèrent au perchoir. Un léger vent fouettait l’épaisse tignasse de Caroline. Gabriel suait comme un cochon de lait dans son t-shirt blanc. La chaleur était étonnement chaude, même pour cette ville habitué aux températures excessives. Gabriel recoiffa quelques mèches humides qui collaient à son front. Oliver était de nouveau là avant eux, assis sur le banc, fixant le quartier pavillonnaire en construction un peu plus bas.

Gabriel s’avança et voulut adresser une petite tape amicale sur l’épaule de son ami. Ce dernier ce retourna et esquiva le geste. Une expression terrifiée habillait son visage, de plus il était très palot.

Gabriel recula par prudence, il observa le teint blafard de son ami, une tâche de vomi sur son t-shirt gris et le contour de ses yeux légèrement irrité. Il demanda inquiet :

Gabriel – Olie, tu es sûr que ça va ?

Caroline – Tu es si pâle, tu devrais t’asseoir.

Oliver – J’ai travaillé toute la nuit dessus, je me suis senti étrange d’un moment à l’autre. Comme si une force invisible avait prit possession de mon corps. Caroline regarda Gabriel avec des yeux ronds.

Oliver – J’en ai le cœur net, quelque chose ce trame dans ce foutu laboratoire ! hurla-t-il avant de s’effondrer, à bout de force. Gabriel accourut immédiatement et attrapa sa tête. Il pouvait voir de plus près les énormes cernes autour de ses yeux. Oliver semblait perdre connaissance, les yeux tout révulsés. Gabriel tenait de le garder éveillé en lui adressant régulièrement quelques petite gifles sur la joue.

La peur dont parlait Caroline semblait prendre possession du cœur de Gabe. Il ne parvenait pas à aider son ami en pleine crise. Caroline s’approcha et poussa Gabe.

Elle attrapa une gourde dans son sac et le fit boire tout en relevant sa tête pour ne pas qu’il s’étouffe. Oliver respirait à nouveau normalement, Caroline lui demanda :

Caroline – Olie, ça va mieux ?

Oliver – Merci…, susurra-t-il d’une voix à peine perceptible. Elle le releva et le mit assis sur le banc. Gabriel s’assit à ses côtés.

Oliver reprenait doucement des forces, son souffle toujours saccadé sifflait entre ses deux grosses incisives du haut. Il reprit une gorgée d’eau et dit :

Oliver – Les amis…Nous devons en avoir le cœur net…

Gabriel – Qu’est-ce que tu proposes ?

Oliver – On doit aller voir là-bas…

Caroline – Là-bas ?

Oliver – Le laboratoire…

Caroline – Ne me dites pas que vous avez toujours ça en tête !

Oliver – Je pense que cela nous permettrais de mettre enfin un point final à cette histoire tordue.

Gabriel – Il a raison. Si cela peut enfin me permettre de dormir sur mes deux oreilles.

Caroline – Vous voulez vraiment vous faire tuez ?

Oliver – Ce soir, au coucher du soleil, on y va.

Caroline – Ca sera sans moi.

Gabriel – Carrie…Je t’en prie…Arrête de n’en faire qu’a ta tête et viens avec nous.

Caroline – Si vous voulez aller faire mumuse et prendre des risques inconsidérés c’est votre problème, s’indigna-t-elle en partant. Elle remonta sur son vélo et sans dire un mot quitta les deux amis qui restèrent de marbre face à ce retournement de situation. Gabriel voulut la suivre mais Oliver le retint par le bras. Ils se rassirent et regardèrent le temps passé.

Les voitures qui traversaient Eloïse Boulevard, le bruit du chantier en contre bas et les aller-retours des camions toupille qui déversaient des centaines, des milliers de litres de béton. Les cris des ouvriers, le bruit du marteau qui frappe d’épaisse plaque d’acier. Les klaxons des véhicules qui bouchonnaient tout l’axe autoroutier autour de la ville. Le monde autour d’eux grouillait, ça vivait. Ils semblaient hors du temps, même l’herbe jaunie et sèche au sol semblait plus vivace qu’eux.

16h. Oliver sortit un sandwich au beurre de cacahuète à trois étages. L’huile dégoulinait sur ses gros doigt boudinés et donnait la nausée à Gabe.

17h. L’amoncellement de voiture sur la bretelle d’autoroute soulevait d’énorme quantité de poussière et avait formé un énorme nuage de pollution.

17h10. Oliver se curait le nez sous les yeux répugnés de Gabe. Comment ses gros doigts peuvent ils rentrer dans un si petit nez se demanda-t-il.

17h42. Oliver mimait des coups de pieds acrobatiques et ce qui semblait être des prises de karatés.

18h07. Gabe cherchait un coin d’ombre car la chaleur restait insurmontable. Sa langue rappeuse pendait comme celle d’un chien.

19h25. Gabe perdait patience. Il poussait régulièrement quelques soupirs exagérés pour faire comprendre à son ami qu’il était excédé.

20h57. Gabriel s’était endormi sur le banc, un petit filet de bave coulait le long de sa lèvre jusqu’à tomber sur ses mains, posées sur son ventre.

21h18. Le soleil commençait doucement à descendre à l’horizon. Oliver le regardait en frissonnant, il comprit que le moment n’était plus très loin.

22h04. Gabriel dormait toujours profondément alors qu’un léger vent de nuit s’était levé. Cette brise délicate caressait son visage tandis qu’Oliver terminait les dernières vérifications avant de lever le camp.

22h12. Oliver s’approcha de Gabriel pour le réveiller. Il tapota son épaule en appelant doucement : « Gabe…Gabe… »

Il se réveilla complètement déboussolé. Scrutant tout autour de lui avec de petits yeux. La nuit, presque noire, ne laissait apparaitre que le contour des choses, parfois trompeur. Oliver tendit une main à son ami et lui dit :

Oliver – C’est l’heure.

Gabe - …, Gabriel ne savait pas quoi répondre ; ou alors n’avait-il pas compris un traitre mot de ce qu’Olie venait de lui dire ?

Ils montèrent sur leurs vélo, Oliver passa devant, tellement impatient, de plus, il connaissait l’emplacement exact de ce mystérieux bâtiment.

Par peur d’être vu ou d’être suivi, Oliver opta pour ce qui lui sembla être un chemin de randonnée. La route était difforme, parsemée de cailloux pointus, dangereux et de racine sèches.

Cette « route » sinueuse et étroite était difficile à suivre. Chaque virage semblait assuré une chute dans un bain de cactus et de branches acérées. Oliver filait sans se soucier du vide de part et d’autre du sentier. Gabe était bien plus méticuleux, positionnant ses doigts sur les freins.

Ils filaient à travers le désert, éclairés par la lune pâle et leurs deux loupiottes bon marché qui brillaient comme deux lucioles dans la nuit.

Un grondement sourd vrillait l’oreille de Gabe. Il tourna légèrement la tête et aperçut une ribambelle de camion sur l’autoroute juste en dessous. Bientôt, le convoi les aurait dépassés, il se dirigeait certainement vers ce fameux labo.

D’ailleurs, eux aussi n’en était plus très loin, sa forme étrange et imposante se laissait deviner à travers l’obscurité peu rassurante des dunes.

Oliver s’arrêta, ils n’était plus qu’à une centaine de mètre de toucher au but. Il se retourna sur Gabe et hurla à voix basse :

Oliver – Coupe ta lampe !

Gabriel – Ok.

Oliver – On y est. Oliver semblait bizarrement obstiné par ce bâtiment qui n’était peut-être qu’un simple empilement de briques, vide et sans aucun intérêt. Il avait fait de ce laboratoire son véritable saint Graal, une quête qui semblait l’amener dans une certaine forme de folie. Gabriel n’osait plus rien dire, il ne faisait même plus allusion à cette mission par peur de contrarié son ami.

Le convoi été garé dans la cour du laboratoire, de gigantesques grillages surmontés de barbelés couraient tout autour du bâtiment.

Trois tours de guet surplombaient le paysage avoisinant, garnies de gardes armées de carabines. Gabriel commençait doucement à se sentir mal à l’aise ; pensait-il qu’il pourrait approché sans aucuns risques ? Oliver, quant à lui, paraissait toujours aussi motivé d’approcher de cette forteresse.

Gabriel ne pouvait plus faire marche arrière, prit dans cette engrenage, il ne lui restait plus qu’a suivre son ami, coûte que coûte.

Oliver jeta son vélo et se mit à descendre une petite falaise abrupte, et au demeurant, absolument dangereuse. S’accrochant à des racines, il prenait le risque que ces dernières lâchent sous son poids. Gabriel observait tout cela d’un œil attentiste, persuadé que son ami tomberait et se briserait la nuque quelques mètres plus bas.

Un craquement soudain le fit sursauté. La racine sur laquelle tirait Oliver était en train de s’extirper d’une cavité dans la roche. Il se jeta au sol pour l’attraper au moment au celle-ci s’arracha à la falaise escarpée. La racine lui lacérait les mains tandis qu’Oliver se balançait dans la vide comme un pantin. Gabe serrait les dents, les paumes à sang, une expression de douleur atroce déformait son visage.

Il se tordait dans tous les sens pour continuer de tenir cette épaisse racine entre ses deux petites mains fragiles. Oliver hurla : « lâche la ! ». Ce qu’il fit avant d’observer ses paumes, noires. La peau était calcinée, les profondes plaies dégoulinaient de sang qui se mélangeait à une terre sableuse et orangée.

Il ne pouvait plus bouger les doigts, on aurait dit comme deux blocs de pierres au bout de ses avant-bras. Comment allait-il descendre ? Lui qui avait déjà tant de mal à se gratter le nez. Couché sur le dos dans cette épaisse poussière, gardant ses mains toutes tremblantes au-dessus de son visage terrifié.

Oliver était debout au bas de la falaise, observant au-dessus de lui mais ne voyant rien. Une part de lui voulait attendre, savoir si son ami allait bien. L’autre moitié était totalement était avide et curieuse, obstiné par sa quête du laboratoire. Un véritable combat avait lieu dans son cœur. Malheureusement, la curiosité et la soif de vérité eurent raison de sa volonté. Il s’en alla le regard vide, laissant derrière lui son ami, remuant dans le froid nocturne du désert.

Oliver s’approcha des grilles avec la plus grande prudence. Le bruit de ses pas était étouffé dans le sable, un garde faisait sa ronde au-dessus de lui dans la tour de guet ; éclairant à l’aide d’un puissant projecteur les plaines vides dans l’atmosphère moite de la nuit. Oliver longea la clôture sur plusieurs centaines de mètres. Il finit par arriver par une entrée annexe. Un convoi de plusieurs camions arriva, il se cacha derrière un petit buisson. Il laissa le convoi passé et se jeta à l’arrière de l’un des gros bahut.

A l’intérieur, de grosses caisses en bois surmontaient de la mention « top secret » étaient empilés sans qu’Oliver puisse trouver un petit coin dans lequel se dissimuler. Le camion balançait de gauche à droite, les caisses mal sanglées se baladaient et menaçaient de lui tomber dessus.

Il en esquiva une, qui vint s’écraser et s’ouvrit brutalement. Une vingtaine de fusil semi-automatique s’étalèrent sur le plateau. Il sentit le camion ralentir, une portière s’ouvrit et il entendit le pas lourd d’un homme qui longeait le camion. Oliver se dissimula derrière un tas de caisse et plaqua une main devant sa bouche. Une voix grave demanda : « Tout est là ? », une deuxième voix un peu plus claire répondit : « cinq cents fusil d’assaut M16 flambant neufs monsieur. » Oliver essaya d’observer la conversation par l’interstice entre les caisses, sans succès.

Le pas lourd sembla à nouveau le camion. Le bruit métallique d’une porte coulissante et le camion redémarra sur quelques mètres. Le moteur s’arrêta et la portière s’ouvrit à nouveau. Le cœur d’Olie battait à toutes blindes dans sa poitrine.

Il tenta de dissimuler son petit souffle rapide en enfonçant presque sa main dans sa bouche. Une voix nasillarde dit :

- Identifiez-vous soldat.

- Première classe Lynch Clarke monsieur ! répondit le conducteur

- C’est bien la livraison BS1405 ?

Clarke – Oui monsieur !

- Bien, laisser le camion, les caisses seront déchargées demain matin.

Clarke – A vos ordres monsieur !

- Bon boulot soldat Clarke.

Oliver expulsa une profonde expiration, cela lui laissait un peu de temps pour enfin découvrir ce que renferme ce mystérieux laboratoire qui alimente ses rêves les plus fous. Il sortit du camion en scrutant de droite à gauche : personne.

Il avançait à tâtons dans une pièce très sombre et où régnait une odeur d’essence. Il comprit très vite qu’il était enfermé dans une sorte de hangar où étaient entreposés toutes les livraisons. Une petite lumière verte clignotait, il avança vers elle dans cette obscurité poisseuse.

Il tâtait les murs du bout des doigts. Sa main s’arrêta sur une paroi métallique, il caressa et se rendit compte que c’était une porte. Il la poussa et se retrouva dans un long couloir bleu. Les yeux entrouverts, éblouis par la lumière blanche des néons du plafond. Il avança avec la peur au ventre, rasant les murs. Ce couloir semblait interminable, aucune porte, toujours ce carrelage blanc au sol, Oliver se sentait mal à l’aise dans cette coursive qui semblait rétrécir à chacun de ses pas. Soudain, au loin, une porte entrouverte d’où s’échappait le son régulier d’une goutte d’eau sur le carrelage.

Oliver s’approcha, il pencha la tête pour voir à l’intérieur de la pièce : personne. Il entra en observant chaque recoin pour être sûr d’être seul ici. La pièce regorgeait d’outils et d’ustensiles chirurgicaux. Un fauteuil en cuir semblable à ceux des dentistes trônait au milieu de la salle. Une abominable odeur d’acétone rongeait les bronches d’Olie qui remonta le col de son t-shirt sur son nez et sa bouche.

Tout à coup, un bruit dans le couloir le fit sursauté. Quelqu’un approchait, Oliver s’agitait dans tous les sens, cherchant désespérément une planque. Sans grande inspiration, il se dissimula derrière une armoire.

Deux homme entrèrent dans la pièce, l’un était vêtu d’une blouse blanche et portait des lunettes. L’autre, en revanche, portait un treillis clair et une grosse paire de rangers noires parfaitement cirées. L’homme en treillis été vieux, des grosses rides arpentaient son front, le coin de ses yeux et le bas de ses joues. Il portait un gros ceinturon sur lequel Oliver pouvait apercevoir un pistolet, un colt M1911, en parfait état. L’homme en blouse blanche balbutiait d’une voix fragile :

- J’ignore ce qu’il s’est passé…

- Frederiks était l’un de nos meilleurs hommes, il s’est forcément produit un événement imprévu.

- C’est impossible, tout était prêt pour la traversée.

- Écoutez moi très attentivement Cresswell, le dossier était bouclé, ce qui signifie que la porte devait être prête !

Cresswell – Elle l’était monsieur…, se resigna le scientifique.

- Je crois que vous ne saisissez pas, nous devons envoyé plusieurs dizaines hommes de l’autre côté, nous ne pouvons pas courir le risque que la porte ne fonctionne pas.

Cresswell – Tout se déroulait comme prévu, le protocole assurait une réussite de transfert de 94%.

- Il faut croire que ces 4% nous ont fait perdre l’un de nos meilleurs éléments et un bon ami qui plus est.

Cresswell – Il se pourrait qu’il ai rencontré une forme de vie hostile.

- Retournez-y je veux un bilan complet pour que l’on puisse envoyer une escouade rapidement, ordonna le militaire tout en invitant le scientifique à sortir. Avant de refermer la porte, le militaire regarda étrangement la pièce comme s’il avait ressenti la présence d’Oliver, toujours planqué derrière l’armoire.

Quand la porte claqua, Oliver expulsa une profonde expiration de soulagement. Comment allait-il sortir d’ici, il était prisonnier d’un bâtiment dont il ne savait rien, hormis les rumeurs abracadabrantes que l’on pouvait entendre au bar du coin.

Il regarda tout autour de lui, recherchant ne serait-ce que l’ombre d’une sortie. Ses yeux tombèrent sur une bouche d’aération au plafond. Il se positionna juste en dessous, son petit gabarit et ses kilos en trop ne le laissait pas atteindre cette issue qui lui tendait pourtant les bras. Il poussa un petit meuble dans un vacarme assourdissant. Il se mit debout dessus et retira la grille qui obstruait l’entrée du réseau d’aération.

Il se hissa dedans avec le plus grand mal, en se cognant à peu près partout. Dans ce conduit, il y avait tout juste la place pour sa volumineuse ceinture abdominale et son large postérieur.

Il avançait en rampant comme une grosse larve dégoulinante de sueur que l’on pouvait suivre à l’odeur. D’ailleurs parlons-en de cette odeur, un savoureux mélange de transpiration abondante et de produits chimiques.

L’obscurité et le souffle à peine tiède de l’air produit par les ventilateurs n’arrangeait pas son état, si bien qu’il avait viré écarlate et que son t-shirt était totalement imbibé de sueur grasse.

Il entendait en dessous de lui, un véritable vacarme, un fouillis de voix qui cherchait désespérément à passer les unes au-dessus des autres. Il observa par la grille : le réfectoire. Quatre militaires était assis autour d’une vielle table métallique d’un vert horrible.

Les voix graves et éraillés des quatre soldats qui s’adonnait à une partie de poker lui vrillaient les tympans. L’épaisse fumée de leurs cigarettes dissimulait quelques peu leurs visages mais Olie pouvait à peu près comprendre ce que chacun disait :

- Ce foutu Johnson ! Il va tous nous envoyer moisir au fond du trou du cul du Vietnam dans pas longtemps, dit l’un.

- J’espère que les Viet sont bonnes, hein Tony, dit un autre.

- Elle ressemble à des culs de singes, ma parole que je mettrai pas un pied là-haut ! dit un troisième.

Le quatrième resta silencieux, préférant se concentrer sur ses cartes : une jolie paire d’as.

Oliver n’avait que faire de ces discussions grossières, il continua sa route en se laissant imaginer une femme avec un cul de singe à la place du visage.

Le conduit prit un virage à gauche et Olie se retrouva juste au-dessus du couloir, il pouvait entendre le pas de plusieurs hommes en dessous de lui. La chaleur semblait considérablement augmenter dans la section suivante du conduit. Une véritable fournaise, les parois semblaient onduler sous l’effet de cette chaleur intense.

Les belles boucles d’Olie avaient laissé place à une choucroute gluante et raplapla. Ses joues grasses suintaient, si bien que son visage semblait être fait de cire. La température frôlait les cinquante degrés dans ce qui s’apparentait bientôt à un cercueil.

Il observa par la grille, une lumière violette tapissait la pièce. Une petite troupe de scientifiques s’équipait : gants, bottes, lunettes.

Etrange.

Sa langue rappeuse pendait tandis qu’il essuyait le flot de transpiration qui continuait de s’écouler par tous les pores de sa peau et jusque dans son dos. Son t-shirt blanc ressemblait désormais plus à une vieille serpillère humide.

Tout à coup, une lumière aveuglante lui parvint. Une énorme porte se tenait devant la petite troupe de scientifique. Une porte de deux mètres de haut, elle brillait d’un fabuleux violet. D’étranges ondulations rampaient jusque sur les murs.

Un bourdonnement sourd semblait s’échapper à travers cette porte en verre. Un scientifique s’en approcha, Olie regarda très attentivement, son visage presque appuyé sur les parois ardentes du conduit.

Alors qu’Oliver était totalement captivé par ce merveilleux spectacle, le scientifique traversa le portail. Les yeux de l’adolescent s’écarquillèrent encore d’avantage, les soupçons étaient donc avérés. Quelque chose d’étrange le traversa, une force invisible et froide, il frissonna.

Les lumières s’éteignirent soudainement et une sirène aigue retentit dans tout le complexe. Quelques petites loupiottes rouges accompagnait la cacophonie des alarmes qui résonnaient dans ce dédale de couloir.

Oliver se raidit, il ne semblait plus ressentir la chaleur intense, un frisson lui glaça le sang. Les foulées d’une dizaine qui couraient lui parvenait comme une onde brutale. La même voix roque que dans le hangar hurlait :

- Quelqu’un s’est introduit ici !

- Que se passe-t-il ? dit un jeune militaire coiffé d’un béret.

- Ceci à été retrouvé dans le hangar ! grogna-t-il en brandissant la gourde qui était tombée du sac à dos d’Olie.

- Il y a un intru ici, répéta la voix roque.

L’adolescent ferma les yeux et prit sa tête entre ses mains. Des sueurs froides remontaient son dos jusqu’à l’arrière de son crâne.

Il fit demi-tour dans le conduit et rampa à toute vitesse pour essayer de s’extirper de cette situation qui semblait devenir de plus en plus délicate. Sans prêter attention, il posa la main sur une grille. Cette dernière se détacha, il tomba ; surement emporté par sa bedaine proéminente.

Il s’écrasa au milieu d’une pièce qui regorgeait de monde. Un instant étrange de réflexion s’installa avant que tout le monde n’essaye de se jeter sur lui en criant : « Il est là ! ». Il se releva et se mit à courir en esquivant tantôt les plaquages, tantôt les crochepied.

La sortie qu’il avait envisagée était barricadé par deux hommes, deux armoires à glace. Il dérapa en faisant demi-tour et fonça tête baissé dans une marée humaine qui lui faisait face. Sans prendre le temps de réfléchir, il se jeta à travers le portail.

Il fut propulsé à une vitesse ahurissante dans une sorte de monde tordu. Tout autour de lui semblait disproportionné. Il traversait un gigantesque tube sombre où la matière semblait se distordre ; comme si tout était soudain d’une mollesse surprenante.

Un flash de lumière aveuglant l’arracha à cette atmosphère psychédélique. Il fut projeté en l’air comme un simple objet. Retombant sur le sol avec douceur, comme une plume ralentit par l’air trop lourd au ras du sol. Ses paupières trop lourdes pour être ouvertes ; ou alors, n’osaient-elles pas affronter ce qu’elles risqueraient de voir ?

Un bourdonnement discontinu perfora son oreille jusqu’à pénétrer son cerveau. Il hurlait, suppliant le ciel ; suppliant qui dans cette étrange monde qui ne ressemblait sûrement à rien qu’il ne connaisse ?

Soudain, le calme revint dans cette ozone particulier, un silence qui n’était pas forcément réconfortant. Il relâcha ses muscles et se laissa emporter par le sommeil, fatigué d’avoir lutté contre cette force invisible qui lui avait cognée la tête sans s’arrêter et cela pendant plusieurs minutes.

Il avait traversé cette immense porte. Ce portail immense et imposant dans les bas-fond du laboratoire. Ce lieu de secrets, ce lieu de vérité. La vérité n’est peut-être ; surement même ; celle qui l’espérait ; qu’importe. Il était : de l’autre côté du miroir…

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