- SANS ISSUE -

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Gabriel n’avait pas prononcé le moindre mot depuis un moment maintenant ; Caroline s’en inquiétait presque mais ne le lui faisait pas remarqué, par peur de gâcher ce moment de plaisir : le voir enfin la boucler. Il observait au contraire tout ce singulier décor avec les yeux d’un enfant ; un enfant à qui on aurait offert le plus beau cadeau.

Ce n’était donc plus une légende ; plus une histoire à dormir debout ; ce grand bâtiment renfermait bel et bien un secret plus grand et plus lourd qu’il ne semblait pouvoir en contenir.

La grande porte blanche se tenait devant eux ; ultime barrage à leur curiosité ; ultime étape de leur mission qu’il fallait rappeler être : trouver Olie. Ce principal objectif n’avait pourtant plus l’air qu’un simple détail au milieu de toutes ces découvertes. Nos deux amis en auraient-ils déjà oubliés la raison de leur escapade ?

Oliver aurait très bien pu être mort que Gabriel semblait s’en foutre royalement, son regard continuait de zigzaguer sur les détails surprenant qu’offrait ce laboratoire. Un bruit aussi agréable qu’une fourchette frottée dans une assiette vint déranger ce moment léger. Une petite déflagration se fit ressentir ; rien de bien méchant ; l’équivalent d’un gros pétard compara intimement Gabe.

Caroline se désista, elle voulait faire demi-tour, prise d’une panique soudaine ; apeuré par l’explosion elle ne voulait plus rester ici, à la merci de ce qui pourrait débouler de derrière la porte : des soldats, ou bien pire que ça…

Gabriel se taisait toujours ; même son courage paraissait bien assoupi, il ne fronça pas un sourcil et restait à deux mètres derrière Caroline. La porte se dépressurisa, un bruit intense qui fit frissonner Caroline ; elle ressentit peut-être un ultime courant d’air lourd la traverser.

Elle agrippa par reflexe le bras de Gabe et se mit à courir dans la direction opposée. Les murs s’ouvrirent, laissant apparaitre de grands miroirs, leurs silhouettes minuscules se reflétaient sous la lumière blanche du néon. Une sirène stridente retentit, une petite escouade sortie de la salle au bout du couloir. De rapides foulées ; le bruit de leur barda qui remuait si bien que la ferraille s’entrechoquait ; leurs semelles écrasaient le sol en laissant derrière eux une trainée visqueuse.

Nos deux amis était toujours debout au milieu de ce long couloir blanc ; ce long couloir qui rappela aussitôt à Caroline la lueur blanche post-mortem. N’était-ce pas simplement un rêve ? Elle se pinça pour le vérifier : aïe ! Elle était toujours debout au milieu de ce couloir, la blancheur des murs se mariait parfaitement à la pâleur de son teint : elle était submergé par le stress. Son cœur tambourinait dans sa poitrine comme un marteau piqueur. Sa gorge était nouée, l’air y pénétrait difficilement et sortait avec le même mal. Gabriel tournait de l’œil, lui aussi attaqué par un stress qu’il n’était pourtant pas censé dévoilé. La lumière quitta son regard et il s’écroula au beau milieu de la pièce.

Caroline ne semblait plus capable de réagir, sa capacité à faire un choix était comme brouillée. Elle décida dans un ultime effort de désespoir de tirer le corps assommé de Gabe. Elle attrapa ses poignets bandés et le tira sur quelques mètres ; les plus longs et les plus fastidieux de sa vie. Gabriel pesait un âne mort, et évidemment impossible d’espérer le moindre effort de sa part.

Caroline suait à grandes eaux, son épaisse tignasse s’était considérablement affaissée ; elle avait comme fondue et dégoulinait désormais jusque dans son dos comme une cornet de glace en plein soleil. La chaleur humide de ce sous-sol la rendait mollassonne, elle pensa un instant rejoindre Gabriel dans l’interstice entre le monde des vivants et le monde des morts.

Ce petit espace dans lequel nous plongeons lorsque nous dormons ; celui qui dort ne sait pas réellement s’il se réveillera.

Caroline luttait contre ses petites failles, ce malaise de chaleur qui la guettait. Elle essuyait sans relâche cette transpiration qui persistait sur son visage et sur son corps. Elle épongeait ce ruissèlement gras avec son avant-bras et raclait la petite couche moite avec ses paumes ; elles aussi suintantes.

Elle tira le corps de Gabriel jusque dans un petit recoin, sombre et frais. Elle respira soudain un pu mieux ; ce n’était pas non plus de grandes bouffées mais elle s’en contenterait. Elle regarda les gardes passer, le corps de Gabe l’écrasait ; le petit recoin était trop petit pour y tenir à deux.

Elle fronça ses paupière et plaça ses mains moites sur ses deux oreilles. Elle ne pouvait plus entendre ce maternellement continu et elle ne supportait plus la vue de ses murs blancs ; trop lisses, trop parfaits. Rien dans ses coursives n’avait de contraste, rien ne tranchait avec la blancheur impeccable des murs, du plafond et du sol. Rien ne perturbait l’ambiance immaculé et sereine de ca bâtiment qui pourtant renfermait quelque chose de sombre ; de très sombre…

L’obscurité sous ses paupières la rassurait plus que la pureté trompeuse du couloir. Soudain, la lumière s’éteignit, de petites veilleuses bleues subsistaient comme la seul source de lumière. Elle ouvrit les yeux ; comme un souhait réalisé, elle n’apercevait plus la candeur des murs et la sirène avait cessée de jacter. Elle ne réfléchit pas plus de dix secondes et saisit cette opportunité, elle réveilla Gabe avec de petites claques ; certes petites mais bien efficaces puisque ce dernier ouvrit les yeux sur le plafond sombre et illuminé de bleu. Sans un mot toujours, il releva son torse et regarda autour de lui cette obscurité qu’il n’était peut-être plus habitué à apprécier. Caroline s’éloigna et sortit de cette alcôve, il la suivit comme son ombre. Ils avancèrent accroupi en rasant les murs, la peur de se faire prendre pesait toujours dans leurs estomacs. Ils remontèrent le couloir vide, où étaient tous ces gardes qu’ils avaient vu peu de temps avant ?

La porte de la salle de repos était fermée, encore une fois les voilà devant une fâcheuse situation. Tenter de l’ouvrir et y trouver une pièce déserte, abandonnée. Ou dans le cas contraire, foncer tout droit dans la gueule du loup et prendre le risque de se faire mordre par cette vilaine bête.

La premier option ne semblait pas la plus évidente mais c’était bien celle-ci qu’ils envisageaient. Caroline, en chef de meute, ouvrit délicatement la porte et y passa un œil. La pièce était bien plus sombre qu’à leur première venue, une sensation étrange habitait l’endroit, comme si quelque chose d’horrible s’y était produit.

Ils s’engouffrent malgré tout dans la noirceur de la pièce, éclairés par une ampoule mourante du plafond. Rien ne semblait pouvoir dissuader Caroline pourtant morte de trac d’avancer vers son destin ; aussi horrible puisse-t-il être.

Une odeur de chair brûlée entra dans les narines béantes de Gabe, ce dernier arbora une expression de dégout, il couvrit immédiatement son nez et sa bouche avec sa main droite. Il se demande si Caroline l’avait senti, mais il n’osait toujours rien dire. Elle n’avait pas l’air de s’être couvert le nez ni la bouche, il trouva ça étrange, avait-elle perdu l’odorat ?

L’obscurité se faisait de plus en plus dense et bientôt Gabriel serait plongé dans une noirceur totale. Il avançait désormais sans repère, il ne voyait presque plus Caroline qui marchait pourtant à quelques mètre devant lui. Sa tête se mit à tourner, le sang frappait sa tempe en alimentant son cerveau. Ses yeux se révulsèrent et il se plia sous la douleur.

D’une main il étouffait toujours son nez et empêchait cette odeur nauséabonde de venir souillé ses poumons. De l’autre il tenait sa tête qui donnait presque l’impression de gonfler et de bientôt exploser. Il ne pouvait plus se taire, la douleur le pliait en deux, il était presque couché, affaibli.

Il appela doucement : « Carrie… », il ne pouvait plus la voir ; il ne voyait plus rien du tout soit dit en passant. Il entendait simplement le pas lent de son amie qui revenait vers lui, il fut immédiatement rassuré. Elle se tenait debout devant lui, il ne voyait que ses pieds chaussés de tennis blanche. Pourquoi restait-elle ainsi, sans un geste ? Il leva les yeux et fut horrifié de voir le visage calciné de Carrie, la peau de ses joues se détachait, son œil droit avait fondu et une mousse blanchâtre s’échappait de ce qu’il restait de sa bouche.

Gabe ferma les yeux et se recroquevilla, il avait presque envie de hurler mais il retint cette ardeur au plus profond de lui. Il serra ses poings, ses mains n’étaient plus bandés, il observa ses plaies à vif, la chair se décollait elle aussi. Une nécrose avait déjà entamé les bords de sa plaie et petites cloques se formaient progressivement sur toute sa paume.

Il n’était plus possible pour lui de retenir ce souffle, cette colère ; cette douleur qui le faisait se contracter de toutes parts. Il hurla de toutes ses forces, presque jusqu’à ce rompre les cordes vocales. Il pleurait désormais, épuisé par la douleur, terrifié par ces images macabres de Caroline.

La lumière se ralluma et Gabriel fut plongé dans un flash de lumière blanche qui lui barrait la vue. Quand ses yeux eurent finit de s’habituer à cette intense clarté, il observa tout autour de lui. Il était assis sur une chaise en bois au milieu d’une pièce quasiment vide, éclairé par deux néons.

Cette pièce lui faisait étrangement penser au cabinet d’un dentiste ; cet endroit où il ne préférait plus mettre les pieds. Ses mains étaient attachées au barreaux de la chaise avec une épaisse corde.

Il espérait une seule chose : ne pas voir entrer un homme en blouse blanche.

La porte de la pièce grinça et s’ouvrit, une silhouette mince entra, c’était une femme en blouse blanche ; rien qui ne puisse vraiment déranger Gabe qui l’observait de haut en bas malgré un sentiment d’incompréhension.

Elle avança vers lui, il observait ses cheveux blonds qui tombaient sur ses épaules, elle posa une main sur son épaule, il se raidit, et le reste de son corps aussi. Sa fréquence cardiaque augmenta, un souffle court filait entre ses grosses incisives.

Elle s’éloigna vers une desserte en métal, Gabriel ne put se retenir plus longtemps et demanda :

Gabriel – Qu’est-ce que je fais ici madame Coleman ?

- Comment connais-tu mon nom ? demanda-t-elle toujours en lui tournant le dos.

Gabriel – C’est marqué sur votre blouse.

Madame Coleman – Tu es très observateur, je parie que c’est pour ça que tu reluques mon décolleté depuis tout à l’heure.

Gabriel ne supportait pas de devoir répondre à cela, qu’y avait-il de mal à se rincer un peu l’œil sur une poitrine bien rebondi. Elle revint vers lui, une seringue à la main. Il s’gita en voyant l’aiguille s’approcher de son bras. Avant de lui enfoncer, elle lui demanda :

Madame Coleman – Ce n’est pas moi qui devrait te demander ce que tu fais ici ?

Gabriel – Je…

Madame Coleman – Ne dis rien, garde des forces, tu en auras besoin. Cette phrase avait le dont de ne pas mettre Gabe très à l’aise.

Madame Coleman – Maintenant calme toi, sinon je risque de te casser l’aiguille dans le bras.

Gabriel – C’est quoi au juste ce truc ? demanda-t-il, déjà tout pâlot.

Madame Coleman – Un tranquillisant.

Gabriel – Je suis déjà très tranquille vous savez.

Madame Coleman – Chut…, susurra-t-elle en injectant le produit dans le bras du jeune homme.

Ses paupières se mirent à papillonner ; elles paraissaient incroyablement lourdes, elles se fermèrent enfin et la tête de Gabe bascula vers l’avant ; il s’était endormi.

La femme quitta la pièce, le claquement de ses escarpins s’éloignait progressivement dans le couloir. Était-il toujours dans le laboratoire ? Aurait-il pensé un instant qu’un lieu si étrange habiterait de si sublimes créatures.

Ce lieu n’avait surement pas encore révélé tous ses secrets comme Olie l’avait malheureusement pensé.

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