Chapitre 5 : Barrières retournées (3/3)

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  Saral’milennah garda un instant ses yeux froids fixés sur ceux de son interlocuteur. Puis, enfin, à court d’arguments, elle dut admettre à contrecœur le bien-fondé du constat de son Naïsmineï. Il était en effet bien plus légitime de penser l’éclat comme un morceau détachable à dessein plutôt que comme une vulgaire brisure. Aussi, baissant quelque peu les armes, elle se dérida et demanda finalement :

  — Soit, admettons ! Mais dans ce cas… en quoi mes compétences pourraient être utiles à notre roi ? J’ai déjà du mal à retrouver des manuscrits éparpillés dans tout le royaume ! Alors chercher un morceau de métal qui peut se trouver abandonné n’importe où…

  — Justement Milennah, vous êtes la mieux placée pour cette tâche, car vous représentez un secteur qui n’a aucun rapport avec le divin. Une recherche dirigée par votre ministère sera donc la plus à même d’aboutir sans éveiller les soupçons.

  La saral soupira. Même s’il n’avait eu que vingt-quatre heures pour y réfléchir, son roi n’avait de toute évidence rien laissé au hasard. Cependant :

  — Nous parlons tout de même, si je vous ai bien suivi… d’une recherche nationale pour un petit bout de métal ! Quelle crédibilité aurait mon cabinet à engager une telle manœuvre, dites-le-moi ?

  La réponse déçut l’intéressée, sans pour autant la surprendre :

  — À vous, justement, de trouver l’excuse appropriée. Je vous sais très forte à ce jeu-là. Et avant que vous ne posiez la question, la récompense proposée pour ledit bout de métal, comme vous le nommez, sera évidemment à hauteur de sa valeur.

  — Et de quel type de récompense parlez-vous ? Vous savez que mon ministère n’a pas les moyens du vôtre…

  — Il ne s’agit pas d’argent. Les castés ayant leurs propres affaires à gérer, notre meilleur parti est d’user de la masse des basses classes, y compris celle des gens d’armes qui dépendent de mon ministère. Celui ou celle qui nous rapportera l’éclat se verra offrir des terres et sera, de fait, élevé au rang d’Ismeï. Tel en a décidé le roi.

  La femme écarquilla les yeux pour de bon et s’avança sur son siège.

  — Caster un crève-la-faim ?

  — Ne me demandez pas si c’est sérieux, vous gaspilleriez votre salive.

  — Mais… vous vous rendez compte de la valeur d’une telle récompense ? Nous allons littéralement crouler sous les fausses trouvailles !

  — Je vous parle d’une épreuve divine, Milennah ! Qu’espériez-vous ? Et pour cette raison, le roi consent à mettre à votre disposition toutes les ressources du palais que vous jugerez nécessaires, alors estimez-vous heureuse !

  — C’est le moins qu’il pouvait faire, en effet !

  — Toujours est-il que, dorénavant, il en est de votre responsabilité que notre peuple plaise à ses dieux.

  — Plaise à notre bon roi, vous voulez dire…

  — Saral, ménagez vos propos !

  Rappel à l’ordre qui fit mouche : la dame expira bruyamment et se replaça au fond du siège. Dépitée, elle avait tous les droits de l’être : ce qui lui était demandé dépassait complètement ses attributions. Dépitée, pour ne pas dire amoindrie. L’aura de défiance qui l’avait habillée à son entrée s’était dissipée, laissant maintenant paraître un soupçon de fragilité dissimulé jusque-là.

  Une situation qui était loin de lui convenir, surtout face à ce nouveau collègue à qui, sans le vouloir, elle jeta un rapide coup d’œil. Une constatation qui lui fit reprendre juste assez de constance pour lancer une ultime contre-offensive, un point qui avait sans doute échappé au souverain dans l’élaboration de son plan :

  — Et concernant les Béonides sur notre sol ? Leur vision de la vie les empêchera de mordre à l’hameçon d’une meilleure position sociale. Qui vous dit que si l’un d’eux trou…

  — Le roi y a bien entendu songé, le coupa son homologue. Et c’est là qu’intervient Saral’faüm, ici présent.

  Le ministre des Armées termina ses mots en donnant, de la main, la parole à l’intéressé.

  — Je ne vous apprendrai rien, entama posément ce dernier, en vous disant que personne à la cour — et encore moins notre souverain — n’a jamais considéré les Béonides intégrés comme de vrais compatriotes. Selon les dires du Naïsmineï, si les dieux l’ont mis à l’épreuve maintenant, c’est aussi car ils doivent voir d’un mauvais œil l’inachèvement de son œuvre.

  — Inachèvement, dites-vous ?

  — Pourquoi pensez-vous que, ces dernières années, on m’ait demandé de repousser les, je cite, envahisseurs du nord ? Durant des décennies, les nôtres ont vu leur sang et leurs terres souillés par des peuples soi-disant amis. Et je ne parle pas que des Samarins ! Depuis que notre Naïsmineï est sur le trône, admettez que la situation s’est fondamentalement améliorée. Notre nation est maintenant presque épurée. Et justement, c’est ce presque qui déplaît aux dieux.

  — Qui dit cela ?

  — Notre souverain, répondit sèchement Saral’faüm à la place de son confrère.

  — Il est temps, continua Saral’ruïn, de remédier une fois pour toutes à ce problème. Dès notre entrevue terminée, les avis d’expulsion seront émis…

  Une ombre passa aussitôt sur les traits de la dame. Les implications de cette dernière remarque… il s’agissait assurément d’une décision à laquelle elle ne s’était pas attendue.

  Ou du moins, pas si tôt.

  Une moue indescriptible se dessina alors sur son visage. Faisant partie de l’élite, elle partageait avec ses membres leur aversion de la mixité ethnique. La grandeur de leur peuple à l’époque des guerres visiarnannes résonnait encore dans leurs cœurs à tous. Et surtout à elle, dont le travail visait justement à perpétuer ce savoir historique. Depuis lors, les Fineïi avaient été envahis tantôt par la faiblesse béonide, tantôt par le mercantilisme samarin. Une expulsion de masse n’était certes pas une mince affaire, mais elle s’inscrivait dans une logique que les dieux semblaient juste vouloir accélérer.

  Les dieux, dont son Naïsmineï était le porte-parole, point que jamais elle ne remettrait en cause. Et, redressant la tête :

  — Une chose qu’on ne peut, au moins, pas reprocher à notre roi, c’est son souci du détail et son ingéniosité. Car je suppose que ces expulsions vont légitimer des fouilles complètes aux frontières, c’est cela ?

  — Assurément, admit le nouveau ministre. Je me chargerai de ce nettoyage avec le support de l’armée. Aussi, soyez assurée que si l’un des expulsés a l’éclat, nous aurons tôt fait de mettre la main dessus !

  — Quant à moi, reprit Saral’faüm, mon rôle sera de sécuriser et de superviser vos actions respectives.

  Voilà, tout était dit. Une série de décisions avaient été prises et d’autres allaient suivre qui, ensemble, ne manqueraient pas de faire trembler le royaume dans les saisons à venir. Mais le bien qui en résulterait ne faisait plus aucun doute pour aucun des trois sarali.

  — Bien, reprit la ministre du Savoir, qu’il en soit ainsi.

  — Il est rare que nous tombions d’accorder notre première entrevue, ma chère, railla Saral’faüm.

  — Ah, n’en profitez pas !

  — Ce n’est pas moi qui vais en profiter, répondit l’homme en levant son verre, mais tout notre peuple ! Trinquons maintenant. À la grandeur fineï !

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