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Pierre venait d’achever le chargement du matériel à bord du bateau de son père. Il était fin prêt. Prêt à quoi pour le moment il l’ignorait. D’autres viendraient bientôt le rejoindre à bord . Le message avait dû circuler dans tout le village . Après tout, les secrets n’existaient pas dans les petits villages . Et dans leur village encore moins.
Depuis 10 ans, le village côtier de Ondune avait été surnommé le village sans secret. A cette époque, on avait observer que l’un de ses résidents, tout juste âgé de sept ans, avait des sens extrêmement exacerbés. Au début, ça n’avait été facile pour personne. L’enfant pleurait, se recroquevillait sur lui-même puis peu à peu se murait dans le silence. C’était pour les villageois un crève cœur de voir cet enfant si enjoué auparavant se briser, victime des agressions de son environnement. Les sons, les odeurs, les lumières étaient devenues ses tortionnaires. Alors, on avait adapté son environnement pour petit à petit ramener un peu plus de lumières, d’odeurs et de sons. Quand il pu à nouveau marcher à la lumière du jour une nouvelle question se posa aux habitants : Comment garder un secret quand les oreilles innocentes d’un enfant les entendaient ? Après plusieurs réunions et débats, la réponse s’imposa à tous : on ne le pouvait pas. Depuis lors, une règle tacite d’honnêteté existait dans le village.
L’enfant était devenu un jeune adulte. Ses sens étaient toujours aussi aiguisés mais il avait appris à les contrôler. Il avait également développé avec le temps un excellent sens de l’observation et avait un très bon instinct auquel le village se fiait beaucoup. Très utile quand on vit sur une île qui peut être à tout moment couper du reste du monde d’avoir les informations en amont. Ce villageois dénommé Marc, Pierre était de loin celui qui le connaissait le mieux. Quoi de plus normal quand il s’agissait de son frère jumeau. Ils étaient physiquement en tout point semblable : grands, blonds, les yeux bleus-gris héritage de leur mère et tout les deux avait un discret grain de beauté sur la tempe droite. Par contre, niveau caractère, il était aux antipodes l’un de l’autre. Marc était de nature espiègle, il attirait naturellement les gens autour de lui par son côté solaire ce qui impressionnait toujours Pierre qui lui était beaucoup plus calme et taciturne.
Ce matin-là, Marc et Pierre, le binôme inséparable, était allé à la fête d’anniversaire des dix-huit ans de Raphaël. Comme à son habitude, Marc faisait le pitre et rigolait avec les autres convives. Alors que les rires et les chants des invités les entouraient, brusquement, le sourire de Marc s’effaça. Pierre connaissait et comprenait son frère sans avoir à parler. Il avait vu le visage de son frère se fermer. Quelque chose avait capté son attention et ce quelque chose l’inquiétait, énormément. Pierre avait confiance en l’instinct de son jumeau s’il était inquiet au beau milieu de festivités, c’est qu’il y avait matière à s’inquiéter. Il savait que Marc aurait besoin de calme pour se concentrer. Alors, quitte à passer pour un rabat-joie ou un casseur d’ambiance, il leva la voix pour exhorter les convives au silence.
Le calme s’étant fait dans l’assistance, Marc avait alors fermé les yeux et humé l’air pendant quelques minutes qui parures une éternité dans cette atmosphère pesante. Pierre observait son frère, attentif. Tel un chien aux aguets, Marc avait tourné la tête vers l’océan. Quand il rouvrit les yeux, son regard était grave. Puis, il avait donné des directives sans plus d’explications aux personnes présentes. C’est ainsi que Pierre se trouvaient maintenant sur le ponton à charger des extincteurs, des pompes et des lances à incendie. Au vu des directives de Marc et du choix de l’équipage, il n’y avait que peu de doute sur le fait qu’un incendie s’était déclaré en mer.
Ce fut sans surprise qu’il vit son père Edouard monter à bord du bateau. Aucun navire ne prend la mer sans son capitaine. A sa suite, Bernard, en sa qualité de pompier à la retraite, s’assurait que le «kit d’urgence incendie» était bien à bord et facilement accessible. Il s’agissait d’une mission de reconnaissance en vu de préparer le terrain pour les professionnels. Deux autres villageois se joignirent à leur équipage. Pierre remarqua que cette équipe était constituée de personnes à l’aise en mer, ayant l’habitude du travail d’équipe, des notions de mécanique mais surtout ayant déjà une expérience de premier secours. Pierre avait toute confiance dans les capacités de décision de son jumeau mais ce fut avec étonnement qu’il remarqua que leur jeune frère Baptiste, qui voulait dans un futur proche intégrer les secours maritimes, n’avait pas été appelé à se joindre à eux. Étrange !
Marc fut le dernier à monter à bord. Sur son visage, on y lisait de la concentration, de l'inquiétude mais surtout de la détermination. Le bateau commençait à quitter le port quand il annonça d'une voix ferme :
- Il y a quinze minute environ une odeur de fumée et d'acier chaud met parvenue de l'océan. J'ignore tout du lieu exact d'où vient cette odeur ni de quoi elle vient. Je ne peux actuellement qu'émettre des hypothèses. Hors il nous faut des faits et si possible des coordonnées. Nous allons donc suivre la piste de l'odeur jusqu'à obtenir des réponses. Si tout le monde est prêt ! Papa, je te laisse les commandes !
Edouard, capitaine du bateau donna alors ses directives à son équipage imposé et improvisé mais néanmoins compétente. Marc resta à ses côtés, flairant l'air pour indiquer la direction à suivre. Et tous firent le voeu silencieux qu'il ne s'agisse que d'une fausse alerte.

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