Un horrible cauchemar.
L’allégorie souriait à Julie. La douce blonde était fascinée par la pureté des lignes de la jeune femme qui l’invitait à s’approcher d’elle. Le visage fermé, le regard condescendant, voire ironique avait laissé place à ce que la jeune fille pouvait considérer, sans hésitation, comme le plus tendre sourire du monde.
Julie soupira :
— Ô Marie.
— Mais comment connais-tu mon nom , on me nomme juste l’Allégorie ?
— Ton voile bleu, ta grenade et ta beauté virginale ne sauraient me tromper.
— Pourtant je ne suis pas réelle ? demanda Marie.
— Tu es bien plus réelle que tout ce qui m’entoure.
— Et désirable ?
— Je n’osais te le dire. Puis-je mettre ta beauté à l’épreuve ?murmura Julie.
— Si tu oses …
Julie ne répondit pas mais donna et reçut le plus tendre des baisers.
Soudain Marie se mit à rire :
— Tu devais avoir honte !
— Pour un simple baiser? minauda Julie.
— Non pour ta tenue !
Julie se rendit compte qu’elle était nue, entièrement nue.Elle se mit à rire et laissa la déesse explorer son corps. Le désir envahissait la jeune fille, elle avait le sentiment de sombrer dans le vice, de jouir du Mal.
Grisée, elle laissa ses lèvres glisser vers le foulard qui cachait le sein de Marie.
L’Allégorie la repoussa :
— Tu n’as pas honte ?
— Mais, toi tu…
— Si tu continues ainsi, ma fille, tu seras damnée pour l’éternité ! Rétorqua Marie.
Terrorisée Julie vit l’Allégorie grandir, encore et encore. Non, c’était elle Julie, qui, telle Alice, rétrécissait.
Marie devint immense et menaçante :
— Petite Julie, je vais te manger !
— Mais pourquoi? supplia la petite Julie.
— Car tes lèvres m’ont ouvert l’appétit !
— Non , non, non noooooooooooooon! hurla Julie.
Non, non , non , non !
Désemparée, Julie ouvrit les yeux et retrouva la pénombre familière de son studio.
Mais quelque chose clochait : elle sentait une présence, un regard.
Elle ouvrit la lumière et vit Ozu, son amant japonais. Assis à l’orientale, il la fixait étrangement. Il était assis entre un poster de One Piece et la vague d’Hokusai.
Marie le regarda droit dans les yeux :
— Tu ne dors pas ?
— C’est difficile, avec toi !
— J’ai fait un horrible cauchemar. Julie avait des sanglots dans la voix.
— Je sais.
— Tu sais ? Tu as entendu …
— J’ai tout entendu. Je peux t’aider. Le Japonais la regardait droit dans les yeux.
Un long silence se fit. La gène de Julie laissa rapidement place à la colère.
Elle haussa le ton :
— Non, va-t’en !
— Tu souffres beaucoup ?
— Qu’importe !
— Prends de l’opium.
Cette dernière phrase consterna la belle blonde. C’était exactement le dialogue de La mort d’Ivan Ilitch !
Julie prit peur : les livres, aussi, prenaient le contrôle de sa vie.
Son regard dur se posa sur le jeune japonais : il ne pouvait pas rester. Même en face de son miroir, elle ne pouvait assumer un désir homosexuel.
Et lui savait, et lui la regardait, et lui la jugeait !
La voix de Julie se fit cassante :
— Va t’en !
— Je peux t’aider. Ozu lisait la haine dans le regard de Julie.
— Non, va-t’en ! Va t’en ! Va t’en !Va t’en ! Va t’en !Va t’en ! Va t’en !
Tout en parlant elle frappait le pauvre jeune homme avec l’ombrelle, qu’il lui avait offert.
Ozu se retrouva à la porte du studio, ses chaussures à la main. Julie fit mine de le poursuivre dans l’escalier et il descendit les marches quatre à quatre, avant de se retrouver dans la rue vide.
Restée seule, Julie se mit à pleurer devant son miroir. Les larmes de douleur, de rage défiguraient son doux visage.
Pour se consoler, elle récita le poème que son frère Jules venait de mettre en ligne.
Où est ce moi
Qui est tout pour toi
Tu recherches avec avidité
Ton insaisissable et fuyante identité
Tu scrutes ce miroir
Sans retard
Tu cherches une identité
Avec avidité
Tu regardes
Ce visage
Qui te regarde
Te dévisage
Tu soupires
Vain désir
Ce moi
Si loin de toi
Dans ce ciel
Existentiel
La lumière
Délétère
D'un reflet
Circonspect
D'un moi
Qui se noie
Sans espoir
Dans ce miroir
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