Du Arschloch !

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Raquel Meller se fit soudain couper le sifflet, le disque s’étant mis à sauter, et s’éclipsa dans l’indifférence générale mais avec la gratitude de JCS. Ronit et lui allaient pouvoir s’expliquer sans être obligés de brailler comme des putois.

— Expliquez-moi donc la nature de vos liens avec Arié Schiffmann et en quoi cela peut m’aider à trouver le Ca… l’homme que je cherche, demanda JCS.

— Eh bien il se trouve que… cet homme est en quelque sorte redevable à Arié.

— C’est ce que j’ai cru comprendre, remarqua sèchement JCS. Mais encore ? Et vous, dans tout ça ? Que viennent faire là vos jolis yeux et votre magnifique paire de jambes ?

Ronit piqua un fard et baissa la tête.

— Arié et moi sommes… amoureux. Nous avons décidé de partir vivre chez moi, à Tel-Aviv. Voyez-vous, sa communauté ne voudra jamais de moi car je ne suis pas exactement une fille pieuse et …

— Vous n’êtes pas exactement une fille réservée non plus, coupa JCS avec sévérité. L’histoire de la fessée lui trottait toujours dans la tête. J’ai la nette impression, reprit-il, que vous n’avez pas froid aux yeux, ni ailleurs. Mais après tout c’est peut-être ça qui a fait perdre la tête à ce pauvre garçon, au point qu’il décide de remiser la Kabbale et le Talmud au magasin des accessoires pour se mettre à courir comme un imbécile après votre mignon petit cul lituano–yéménite.

Ronit se cabra sous le ton cinglant et écrasa sa cigarette d’un geste plein de colère en le fusillant du regard.

— Dites donc, vous vous prenez pour qui pour me faire la morale ? siffla-t-elle. Pour mon père ?

JCS s’imagina un instant sous les traits d’un vieux rabbin barbu et sentencieux lorgnant avec effarement les cuisses nues de sa splendide progéniture. Cette pensée l’égaya.

— Très bien, faisons la paix, voulez-vous ? Je n’ai pas fait tout ce chemin pour me disputer avec une petite sabra rebelle, aussi ravissante soit-elle. Résumons : votre Arié et l’homme que je cherche – appelons-le Monsieur T. par commodité - sont liés par un échange de services. Arié a rempli sa part du marché mais, pour une raison ou une autre, Monsieur T. l’a laissé en plan. J’ai bon, jusque-là ?

Ronit fit un signe affirmatif.

— Je suppose qu’il s’agit de pognon car il vous en faut, et pas qu’un peu, pour aller filer le parfait amour en Terre Promise avec votre Roméo qui, très probablement, est raide comme un passe-lacets puisqu’en rupture de ban, si j’ose dire. L’idée est donc que je me substitue à Monsieur T. en tant que banquier car vous allez me le livrer. Adorable Ronit, je serais navré de passer à vos yeux pour un sale boche sournoisement antisémite, mais j’ai bien envie de vous dire que vous et votre petit ami n’êtes que deux infâmes saligauds. Néanmoins il se trouve que Monsieur T., quant à lui, a du sang jusqu’aux coudes. D’un certain point de vue, vous commettez une bonne action. Au fait, c’est bien Arié que j’ai eu au téléphone, tout à l’heure ?

Nouveau signe affirmatif. JCS se dit qu’il avait décidément affaire à des amateurs. Soudain Ronit se pencha vers lui et demanda d’un ton pressant, plein de sollicitude :

— Vous êtes armé ? Vous avez un flingue ?

JCS sourit en secouant lentement la tête. Non seulement il avait les armes à feu en horreur mais, à titre professionnel, il considérait le fait d’y recourir comme un regrettable manque d’imagination. Il préférait, de loin, utiliser les ressources offertes par la chimie, la biologie, la physique, la résistance des matériaux, la mécanique des fluides et jusqu’à l’entropie. Mais Ronit n’avait pas besoin d’être mise au courant de tout cela. Elle parut curieusement rassurée.

— Voici ce qui va se passer, à présent, dit-elle. Elle s’interrompit pour jeter alentour quelques regards suspicieux, et sortit d’une poche de son blouson un petit morceau de papier qu’elle fit glisser à travers la table. Ceci est notre proposition chiffrée, poursuivit-elle. C’est très simple : si vous refusez, on se quitte ici et vous n’entendrez plus jamais parler de nous. Si vous acceptez, je vous mène à Arié qui vous donnera ses instructions pour le paiement. Quand vous aurez payé…

— Oui, bon, bon, on verra ! coupa JCS avec impatience. Tout cela me paraît inutilement compliqué et même franchement bizarre. Très bizarre.

Il jeta un coup d’œil au papier. Une somme à cinq chiffres, en dollars. Ni exorbitante ni trop modeste. Il ne savait pas quoi penser et n’était sûr que d’une chose : décidément il détestait travailler avec des amateurs.

— Non, finit-il par trancher. Tout cela ne m’inspire pas du tout. Adieu, belle enfant.

Il ne fit pourtant pas mine de se lever. Ronit le regardait bien en face. Ses beaux yeux verts rayonnaient d’innocence et de malice.

— Personne ne vous oblige à quoi que ce soit, cher Monsieur le-tueur-à gages-allemand, fit-elle d’un ton suave.

JCS n’aima pas du tout cette remarque. Toute cette histoire lui paraissait sentir de plus en plus mauvais. Mais s’il plantait tout là, il n’en saurait sans doute jamais le fin mot. Le mieux était de feindre de jouer le jeu de ces gens. Il poussa un soupir faussement résigné.

— D’accord, j’accepte. Conduisez-moi à votre petit voyou de boy-friend et finissons-en.

Ronit le fit sortir du Haïti Lounge par une issue de secours donnant dans une ruelle sous-éclairée et puante. La vue de bennes à ordures pleines à ras-gueule lui causa un malaise diffus. Un homme se tenait près de l’une d’elles. JCS marqua un temps d’arrêt. L’homme était un skinhead typique, affublé de breloques nazies et de tatouages du même tonneau. JCS se ressaisit, et se permit même un sourire appréciateur. Un sacré petit malin, cet Arié Schiffmann, pour avoir eu l’idée de prendre une apparence si radicalement contraire à ce qu’il avait été avant de succomber aux charmes de la belle Ronit. C’était gonflé, risqué, à la limite du mauvais goût, mais sacrément astucieux en tout cas.

— Ravi de vous rencontrer, mon cher Arié, dit-il en s’efforçant de prendre un ton cordial. Ou peut-être faut-il vous appeler autrement désormais ? Adolf ? Hermann ?

— Ce pauvre cher Arié, fit la voix de Ronit derrière lui. Il batifole avec les petits poissons au fond de l’Hudson, à l’heure qu’il est.

— Et pour répondre à votre question, enchaîna l’homme qui s’approchait à grands pas, Yossef fera très bien l’affaire.

Il se tenait à présent devant JCS et lui braquait sur la tête un Unique Rr 51 Police :

— Vaya con Dios, du Arschloch.

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