I'm alive

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Je me suis réveillé entre quatre murs blancs.
Merde, je n’imaginais pas l’enfer autrement que rouge et bouillant, et là, j’ai presque froid.

Enfin, je crois. J’suis dans le coaltar. Une odeur de désinfectant remonte du sol, elle me pique les narines. Un bip sur ma gauche. Je tourne la tête et vois une machine qui affiche un électrocardiogramme. Pauvre gars, ça bouge pas beaucoup… ah, si, une fréquence. Une autre… Je suis les fils, ils courent sous les draps. Je les soulève. Enfoiré, ils sont reliés à ma patate.
Je suis en vie. Comment est-ce possible ?
J’ai entendu les tambourins Navajos, j’étais avec eux au sommet d’une Mesa. Je dansais.

Qu’est-ce que je fous ici ?

Les Yeux Bleus ! À tous les coups, c’est elle qui m’a transporté dans cet hosto. Remarque, je sais pas si c’est un hôpital, j’entends un chien aboyer. Tu vas voir que c’est une clinique vétérinaire !

J’essaye de bouger, mais la douleur se rappelle à moi. J’ai un gros pansement en bas à droite du ventre. Je me souviens. L’explosion du camping-car à Tuba City, et le morceau de ferraille planté dans ma chair. Monument Valley…
Comment elle a fait pour me hisser dans le 4x4 ?

Cette fille est plus forte que ce qu’elle paraît. Tant mieux pour moi… ou pas. Parce qu’en soulevant les draps, j’ai vu un truc aussi. J’suis vraiment fatigué, il est six heures et demie.

J’suis encore dans mes pensées quand une infirmière entre. Je ne l’ai pas entendu. Un grand sourire illumine son visage de soie, et ses longs cheveux noirs de jais recouvrent ses épaules. Une Navajo. Elle marche comme celles de son peuple, sans bruit. Elle s’approche. Son regard me transperce. Sa main s’attarde sur mon poignet.
La machine fait un bip… un autre, encore un.
Ouais, je suis en vie.

Anaba, ça veut dire « elle rentre de la bataille » en Navajo, m’a mis au parfum de tout ce que le chirurgien avait enlevé, jeté, remis, recousu. Un vrai merdier à l’intérieur. Bon, il parait qu’il a fait du good job, alors… J’espère qu’il n’a pas oublié une pointe de flèche ou une plume de corbeau.

Anaba a changé mon pansement tous les jours, a pris soin de moi comme si j’étais son père. Toujours sans bruit, sans rien dire, légère. Je l’appelais la fille du vent.

Deux semaines plus tard, je suis sorti. J’ai presque plus mal, mais je boite bas. Je sais pas où je vais aller, j’suis perdu dans le désert, à Montezuma en pleine réserve indienne. J’ai un baluchon dans une main. Je suppose qu’il y a quelques affaires à l’intérieur, mais je n’ai pas regardé. Je vais faire du stop pour me barrer de ce trou. Pourtant, la toute petite ville ne manque pas d’attrait. Une ligne droite recouverte de poussière, quelques bâtiments… des collines, une rivière polluée, un soleil de plomb.
Partir, n’importe où… seul.

Je traverse main street et file à la station-service en face. Le dude là-haut cogne fort, je m’assieds à l’ombre de la toiture. Un vieux pick-up s’arrête aux pompes. Je me demande comment cette charrette roule encore. Un Indien aux cheveux blancs en descend, il m’adresse un mouvement de tête avant de s’engouffrer dans le petit magasin. Il en ressort plusieurs minutes après et commence à faire le plein de sa caisse. Je m’approche.
– Hi old man. Which way are you going ?
– Albuquerque.
– Can you take me ?

On file sur la 550 dans un bruit d’enfer, quand il entonne un chant. Sa force couvre le moteur, et sa mélancolie me transporte dans la forêt des Joshua Tree, au grand canyon, à Willow Beach… aux Yeux bleus.
Où est-elle ?
Rentrée en France ? Encore aux States ? Six pieds sous terre pour ne pas avoir rempli son contrat ?
Je ne le saurai jamais.

Albuquerque s’étale en huit voies dans la soirée. La grande ville me fait peur, je préfère les espaces sans fin, les étendues sableuses… la solitude. Le vieil homme me dépose devant un Motel 6 à l’embranchement des autoroutes. La chambre est infâme, mais le prix abordable. Je balance mon sac sur le lit, et déballe son contenu.
Une chemise, un pantalon, une casquette… une enveloppe. Je l’ouvre.

Un bout de papier.

Hey Marsh,
si tu lis ces mots, c’est que tu es encore vivant !
Avant de disparaître tout à fait de ta vie, il y a deux, non, trois trucs que je voulais te dire :
Tu n’es plus une cible, pour personne, t’es mort pour ton client.
Je n’ai jamais eu les Yeux Bleus.
Je m’appelle Patricia.

Je te laisse un téléphone, il y a un contact enregistré dedans. C’est le mien. Tu en feras ce que tu voudras.
Regarde, il y a aussi un dollar dans l’enveloppe, tu te souviens ? Il ressemble à celui que tu m’as donné, la première fois, avec le lézard. J’ai attrapé le tien et je l’ai subtilisé par celui-là. Si j’étais toi, je ne parierais jamais face avec cette pièce, tu perdrais à tous les coups.
Ton ange

Sans réfléchir, j’allume le téléphone, envoie un message :
"Je suis à Albuquerque."

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