Elle a 43 ans

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Quand tu n'as plus les mots ni les larmes alors tu baisses les armes.

Quasiment trois ans, qu’elle a rencontré Pierre dans le train. Quasiment deux ans qu’elle fait les allers retours quotidiens pour Paris. Malgré leur rapide rendez-vous à l’hôtel après leur rencontre dans le train, et leur nuit entière ensemble, ils se sont peu vus physiquement.. La vie secrète n’est pas si simple quand on n’habite pas la même ville pour se retrouver. Ils ont réussi à vraiment se voir une dizaine de fois en trois ans, pour quelques heures de partages, de fluides, de sons, de sensations. Mais ils trouvent à se parler quasiment chaque jour. Ils s’écrivent beaucoup. Ils s’aiment. Leur vie est bancale, mais ce n’est pas grave.

Et puis la veille de ses 43 ans, soit la troisième année de son mariage, Ella reçoit un coup de cœur suivi d’un coup de poignard : « Je t’aime Ella. J’ai quitté ma femme. J’ai besoin de faire le point. Je vous aime toutes les deux et donc comme à elle, je te demande de ne pas me contacter pendant 15 jours. Je voudrais t’épouser alors que j’ai toujours refusé l’alliance au doigt. Mais je l’aime aussi. Elle est la mère de mes enfants. Joue le jeu Ella. Ne me contacte pas. Je t’aime. » Et il raccroche. Ella passe par moults sentiments qui s’opposent, qui s’attirent, auxquels elle s’attache, qu’elle repousse.

Ella évoque la possibilité du divorce avec son mari. Elle repense à leur ami décédé qui avait vu juste. Le mari ne le prend pas vraiment bien. Mais le message de Pierre est le déterminant. Pourquoi lui avoir dit sinon ? Et s’il reste avec sa famille, au moins Ella aura amorcé son processus de vie car de toutes façons, cette vie-là ne lui convient plus … c’était sans forcément penser à sa nouvelle organisation professionnelle qui alourdit grandement ses journées déjà. Comment gérer la garde alternée ?

Pendant ces deux semaines, Ella écrit, écrit. Il ne veut pas de nouvelles, certes, mais elle a besoin d’en partager, elle, donc elle écrit et se met à créer son blog, pour l’occuper notamment.

Dix jours se sont passés depuis son dernier échange avec Pierre, qui était d’ailleurs plutôt un monologue puisqu’elle n’a pas vraiment pu en placer une. Un SMS « ne réponds pas. J’ai été hospitalisé. Rien de grave. 3 mois d’arrêt. Je retourne chez ma femme. Je te contacte dès que possible. »

La terre se dérobe sous ses pieds. Hôpital. Trois mois. Sa femme. Bon eh bien le destin ne semble pas être copain sur ce coup-là. Mais à l’époque, Ella n’est pas totalement dans ce trip-là. Elle se dit juste que l’ange gardien a raté une commande ou qu’elle et Pierre doivent payer pour leur adultère.

Elle devra attendre un nouveau signe de Pierre car elle n’a évidement pas le droit de casser leur règle d’or : pas de message quand ils sont au domicile familial.

Elle finit par l’avoir et il lui annonce qu’en l’état, il reste avec sa famille pour ne pas en péter deux, juste par égoïsme d’eux.

La terre n’est plus sous ses pieds. Ella disjoncte. Ella le veut. Ella l’a perdu.

Elle rétropédale auprès de son mari pour lui confirmer le divorce mais pas pour un autre. Les mots fusent. Elle n’entend plus. Elle a perdu Pierre alors que son mari est malheureux comme une pierre de la perdre, elle. Le monde est injuste d’autant que pendant ce temps, les enfants devenus ados vivent leurs premières amourettes.

Oui… j’ai été l’homme qui a volé le sommeil de ta femme. J’ai été la raison derrière ses absences justifiées. J’ai été le message qui faisait naître un sourire quand elle consultait son téléphone. J’ai réveillé en elle quelque chose qu’elle croyait endormi. Et je ne le dis pas avec fierté, je le dis avec sincérité.

Ne me déteste pas.

Je ne viens pas me moquer. Je viens te poser une question que, peut-être, tu ne t’es jamais posée : Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’elle cherche quelqu’un comme moi ? Qu’as-tu cessé de faire pour qu’un autre prenne ta place ? Je ne suis pas arrivé dans sa vie par hasard.

Elle avait un vide. Et je l’ai vu. Elle avait quelque chose de brisé… et moi, je l’ai écoutée. Je l’ai traitée avec douceur, avec attention, avec de belles paroles, avec ces mêmes choses que toi, un jour, tu lui avais données… mais que tu as ensuite cessé de protéger. Ce n’était pas juste du désir. C’était une connexion. C’était de l’attention. C’était se sentir vue, appréciée… vivante. Elle savait que c’était mal. Elle me le disait dans chaque étreinte. Elle se sentait coupable, déchirée entre le devoir et le désir. Et pourtant, elle revenait.Parce que personne ne peut supporter des années à être invisible sans se briser de l’intérieur. Tu sais ce qui me faisait le plus mal, à moi qui l’aimais en silence ? C’était de savoir que, même dans le chaos, son cœur continuait à te nommer. Qu’elle te défendait quand nous parlions. Qu’elle justifiait tes absences… alors que c’était moi qui les comblais. La société juge facilement. Mais personne ne voit combien de fois une femme s’endort en pleurant, en espérant que son mari la regarde à nouveau comme avant. Combien de fois elle attend un « tu me manques », un « j’ai besoin de toi », un « merci pour tout »… et ne reçoit que du silence. Je ne suis pas fier. Parce que la vérité, c’est celle-ci : Je n’aurais jamais dû être nécessaire. Un autre n’aurait jamais dû arriver… si toi, tu avais été là.

Ne me déteste pas.

Regarde-toi. Regarde ton reflet et demande-toi : Quelle partie de son âme ai-je laissée vide… pour qu’un autre vienne l’habiter ? Parfois, ce n’est pas un tiers qui détruit une relation. Il entre… parce qu’il restait déjà trop de place libre.
L'autre c'est moi.

Et oui c’est un peu comme ça que finalement, Pierre est entré dans sa vie. Sa vie secrète. Ils sont tombés amoureux le premier jour quand bien même physiquement ils n’ont eu que peu d’occasions de pratiquer leur amour d’une sincérité et intensité fortes, extrêmement fortes au milieu de leurs vies familiales. Leur histoire est peu banale. Pierre s’est retrouvé coincé à aimer deux femmes, à avoir envie de choisir Ella parfois, à vouloir raison garder et maintenir la vie de famille avec sa femme. Il s’est retrouvé tiraillé laissant la place à celui qui voudrait lui prendre son Ella, la dangereuse et très douce Ella.

Je suis la dangereuse et la très douce

Celle qui tourbillonne mais ne change jamais

Je suis la puissance et l'innocence, la tempête et l'embellie

Le printemps tenace et le sang sur la neige

L'amante aux gestes lents, aux yeux pleins de lumière

Celle que l'on vénère et celle que l'on brûle comme sorcière

La clémente et la très lointaine

Celle qui murmure des secrets

Je bouscule tous vos plans d'un grand rire, j'éparpille vos lois, et en tremblant je vous offre une rose

Je suis la nostalgie au fond de votre cœur

Je vous attends depuis l'aube du monde

Je veille sur chaque heure de votre sommeil

C'est mon sourire qui vous a portés jusqu'à ce jour et qui vous fait croire en la vie

Je suis votre destin, je fais tourner la roue

Je suis la Femme

Une brise de rien du tout sur l'océan de vivre

Un grand tracas d'amour qui monte jusqu'aux étoiles...

Les femmes éternelles, Jacqueline Kelen

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