Pierre
Si tu savais combien je t’aime, combien tu es nécessaire à ma vie, tu n’oserais pas t’absenter un seul moment, tu resterais toujours auprès de moi, ton coeur contre mon coeur, ton âme contre mon âme.
Victor Hugo
Sa vie bascule lorsqu’Ella le rencontre. Plus les années passent, plus elle prend conscience pleinement de son erreur de couple. Mais les enfants font son bonheur comme elle construit le leur. Et puis elle rencontre Pierre dans ce train pour Reims, le jour de la signature de sa promesse d’embauche à la capitale. Le fameux graal ! Avec Pierre, elle découvre sa vie intime, comme le sentiment le plus fort et le plus violent à la fois, avec Pierre, elle sait maintenant ce que veut dire Aimer.
Ella apprend avec lui les plaisirs de la vie, les plaisirs de son corps si érectile, si orgasmique, les plaisirs qu’elle ignorait jusqu’alors. Ils se demandent souvent si ce n’est pas pour le sexe qu’elle est tombée amoureuse mais ils se remémorent leurs premières heures, leurs premiers jours et dès le trajet en train, la foudre les a frappés d’un coup et ils étaient amoureux. Sans même encore avoir uni leurs corps.
Au bout de cinq ans de vie secrète, couplée avec des rencontres erratiques, elle reçoit un appel de Pierre un samedi après-midi. Elle est seule en ville et décroche, surprise de cet appel. « J’ai quitté le domicile familial Ella. Je ne te demande rien. Je sais qu’on ne peut pas vivre ensemble avec nos enfants à des centaines de kilomètres de distance mais je t’aime Ella. Je l’ai quittée pour toi. »
Ella a comme première réaction de dire qu’il est fou, qu’ils auraient pu en parler avant, qu’elle est heureuse, qu’elle l’aime, etc. etc. Après sa longue tirade, elle n’entend aucune réaction de Pierre. Ils ont été coupés. Elle rappelle. Messagerie. Elle attend pensant qu’il l’appelle également. Elle attend. Elle rappelle. Messagerie. Elle rappelle. Messagerie. Elle finit par se demander si elle n’a pas eu une hallucination. Elle n’insiste pas, continue son chemin avec un cerveau en mode turbine++. Le soir venu, Ella reçoit « ne réponds pas. J’ai eu un accident de voiture. Trois mois d’arrêt. Je n’ai pas le choix que de retourner chez moi, chez ma femme. »
Ella se trouve à nouveau sonnée par cette nouvelle. Elle ignore ce qu’il a, elle imagine l’accident pendant qu’ils se parlaient dans l’après-midi. Elle se doute qu’elle aura des nouvelles au mieux lundi prochain ou les jours suivants. Elle ne dort pas de la nuit et est ailleurs tout la journée du dimanche. Elle se couche avec l’idée fixe, douce et cruelle de mettre fin à leurs relations.
Dès huit heures, il la contacte lundi lui confirmant la collision pendant qu’elle lui parlait. La voiture est épave et lui a le dos à peu près dans le même état. Il n’est pas passé loin de la chaise roulante à vie. Ella se sent rassurée sur son état. Elle ne veut pas lui laisser l’occasion d’aborder leur avenir et le coupe : « Pierre, j’ai réfléchi. Chacune de tes grandes décisions de vie relatives à moi te conduisent toujours à l’hosto. Je ne veux pas être responsable de ta mort. Je ne veux plus être l’objet de tes tourments. Reste au près d’eux, reste auprès d’elle. Je dois voler de mes propres ailes. Je t’aime de tout mon cœur, de tout mon corps, de toute mon âme mais pour toutes ces raisons, je dois te laisser loin de moi. Cette décision est extrêmement difficile pour moi tellement mon amour est immense mais je sais que c’est la meilleure à prendre pour nous deux. Je t’aime à jamais et tu le sais. »
Le silence s’installe. Glacial comme dans un igloo alors que c’est presque canicule dehors. Pierre n’a pas les mots. Abasourdi par la décision sans discussion. Notez qu’il a fait la même deux jours avant. Ella, larmoyante, reprend la parole « ne me contacte plus. Je t’aime à jamais et tu le sais. »
Malgré son annonce, Ella aurait tant aimé être celle qu’il choisirait pour le reste de leurs jours. Elle se rassure en sachant qu’elle n’a jamais été uniquement que celle qu’il a baisée. Avec amour et sans détour. Même si chaque instant de lui, sur sa peau, reste gravé, elle sait que tout n’était qu’amour et pas uniquement une attirance sexuelle. Elle sait bien que désormais leurs peaux resteront éloignées autant que leurs yeux malgré leurs envies de bouches mêlées, de bouche à pipe et de bouche à cunni. Elle sait bien qu’eux deux enlacés, c’est le passé. Mais la beauté d’eux deux, c’est qu’ils seront toujours proches. Elle sait aussi que parfois il faudra s’armer pour résister à cet appel … sans appel. Elle l’aime d’une puissance folle. Folle, elle est devenue à s’en rendre malade quand il a choisi sa femme. Maintenant, elle connaît leurs limites et leurs failles ainsi que la signification de leurs silences … chacun apprenant à s’éloigner de l’autre.
Évidente connivence
Connivence évidente.
A l’évidence, la connivence
Ne s’improvise pas.
Elle se sent, elle se ressent
Pour que pas à pas
Elle se confirme. A Caen,
À Brest, à Nice, à Hyères.
La connivence n’a pas de limite.
L’évidence est sans frontières.
Comment arrive-t-elle ?
Aucune idée ! nous souffle-t-elle.
Mais elle ne part jamais
Une fois que le lien est scellé.
La main invisible a œuvré,
L’œuvre est accomplie.
On ignore pourquoi
Ou peut-être pas ?
Mais à l’évidence,
La connivence
Tombe sous le sens.
Mais uniquement pour celles dotées
D'un dixième sens.
Bien malgré elle, Ella est devenue la femme de l’ombre, la femme de Pierre mais dans l’ombre. La femme de l’ombre est celle que l’on appelle quand on est sûr de ne pas être entendu, celle à qui l’on écrit d’une boîte mail inconnue, celle à laquelle on pense, celle qui agite la main à distance quand l’épouse ne fait plus le job … La femme de l’ombre est celle que l’on voit discrètement dans une chambre d’hôtel entre 17 h et 19 h, voire parfois à qui on accorde la nuit entière. La femme de l’ombre sera toujours celle qui ne comptera pas pour les choix … Être femme de l’ombre, c’est profiter de l’instant présent, prévu comme inattendu, un dîner, un café, un courrier, un avion, un trajet, une nuit de folle liberté. Être femme de l’ombre n’a d’égal que sa propre liberté …
Jusqu’au jour où la lumière devient nécessaire comme l’ombre insupportable. Jusqu’au jour où cette femme s’ennuie dans le noir de la vie comme elle la rêve en couleurs et vivante. Jusqu’au jour où les hommes ombrés quittent la scène : elle les tue un par un, sauf quelques-uns qui gardent une place à part avant l’expédition fatale… La femme de l’ombre à qui on répète « tu mérites mieux et autre chose » prend la tangente pour vivre sa vie de femme normale. Célibataire, sans enfants, indépendante. Libre comme l’air pour finalement ne plus s’envoyer en l’air car l’amour a tué le game avant la fin de la partie de sa vie. La femme de l’ombre reste éblouie encore par cette nouvelle vie alors parfois elle reste tapie dans un lit encore mais un jour tout changera …
Après leur rencontre, Ella s’est auto centrée sur elle-même et leur amour puis après leur rupture, elle s’est laissée absorbée par le travail comme pour oublier le manque de lui, le mal de le laisser partir à sa vie à lui. Puis elle s’est habituée à cette relation ambiguë, voire drôle entre eux. Amoureux il l’est toujours, il l’a laissée prendre ses marques sans lui pendant des mois entiers, avant de reprendre contact timidement et de manière très espacée. Puis la connivence est revenue, certes à distance mais elle est là. Ils finissent par essayer de se revoir en posant leurs propres règles : « à distance on joue si on veut comme avant ; en face-à-face, on ne se chauffe pas, on n’évoque pas le sexe et on se tient à bonne distance après s’être fait la bise. Aucun geste d’affection ni de tendresse. Je sais que tu as besoin de ça mais je ne peux pas te le donner, je ne sais pas aimer deux femmes quand bien même je t’aime et je ne veux que ton bien. Ton avenir n’est pas avec moi ! Mais je veux bien rester proche de toi. »
Ces mots sont durs et tendres à la fois. C’est un deal acceptable pour Ella, entre le perdre et subir ça. Oui c’est exactement comme choisir entre une jambe de bois et un bras en mousse, mais a-t-elle le choix ? On a toujours le choix lui direz-vous mais à ce moment-là, Ella a besoin de lui, son corps, son âme, sa tête le réclament. Elle accepte le deal à l’essai d’abord et avec sa condition : ne jamais évoquer sa femme. Jamais. Et oui elle était là avant Ella, mais Pierre a hésité deux fois entre elles deux malgré tout … avant la rupture. Comme Ella a perdu à ce jeu de la mariée, elle ne souhaite pas perdre au jeu de l’Amour. Car oui Pierre est son premier grand amour. À 40 ans et deux mois, connaître ce sentiment est dévastateur mais tellement bon et pur.
Puis après la longue période de silence post rupture, Ella a peu à peu appris à vivre sans lui, laissant parfois s’installer des semaines de silence. Parfois il apparaît pour du sérieux, pour du délire, pour du sexe virtuel, et rarement mais précieusement, il apparaît en vrai. Ces moments d’eux, Ella se les grave chaque année … minutes par minutes car bientôt ils seront ceux qui lui donneront le sourire dans les moments creux de sa vie car ils ne vont plus être réalité même exceptionnelle (Pierre va être muté, dans quelques courtes années donc leurs moments amicaux sont désormais comptés) et pourtant tout reste intact dans sa tête tellement chaque rencontre a été puissante et fabuleuse, du temps où ils étaient amants comme du temps où ils ne sont que complices.
Elle l’a aimé, elle l’aime et l’aimera.
Ella ne peut pas lutter mais elle connaît sa place et pourrait la réduire encore plus à néant si pour leur bien-être c’était mieux … ils ont vécu de belles choses et c’est cela l’essentiel. Pierre a souffert également de leur idylle d’autant qu’elle en parlait assez librement avec ses amies, lui n’a jamais osé en parler avec d’autres personnes qu’Ella. Et pourtant elle l’avait prévenu du danger de leur amour à travers ce texte de Martha Rivera-Garridoj :
Ne tombe pas amoureux
d’une femme qui lit,
d’une femme qui ressent trop,
d’une femme qui écrit…
D’une femme qui dit ce qu elle pense,
D’une femme qui avoue ses sentiments spontanément ....
Ne tombe pas amoureux
d’une femme cultivée, magicienne, délirante, folle.
Ne tombe pas amoureux
d’une femme qui pense,
qui sait ce qu’elle sait et qui, en plus, sait voler ; une femme sûre d’elle-même.
Ne tombe pas amoureux
d’une femme qui rit ou qui pleure en faisant l’amour,
qui sait convertir sa chair en esprit ;
et encore moins d’une qui aime la poésie (celles-là sont les plus dangereuses),
ou qui s’attarde une demie heure en fixant un tableau,
ou qui ne sait pas comment vivre sans musique.
Ne tombe pas amoureux
d’une femme qui s’intéresse à la politique,
qui soit rebelle et qui a le vertige devant l'immense horreur des injustices.
Une qui aime les jeux de foot et de baseball
et qui n’aime absolument pas regarder la télévision.
Ni d’une femme qui est belle peu importe les traits de son visage
ou les caractéristiques de son corps.
Ne tombe pas amoureux
d’une femme intense, ludique, lucide et irrévérencieuse.
Tu ne veux pas tomber amoureux d’une femme de la sorte.
Car, si d’aventure tu tombes amoureux d’une femme pareille, qu’elle reste ou pas avec toi, qu’elle t’aime ou pas, d’elle, d’une telle femme, JAMAIS on n’en revient.
Et pourtant Pierre est tombé amoureux d’Ella dès la première heure ensemble, car Ella est un peu comme cette femme dont il ne faut pas tomber amoureux sinon on n'en revient jamais..
Elle a ce je ne sais quoi, ce truc en plus
ou p't'être même en moins, j'en sais trop rien.
C'est quelque chose que je n'peux même pas expliquer.
C'est son humour, elle s'prend pas au sérieux.
C'est son sourire, sa bonne humeur en fait sa beauté.
C'est son rire qu'elle ne cherche pas à retenir et c'est sa voix quand elle se met à chanter.
C'est son allure et ce qui émane d'elle,
c'est son assurance qui la rend sensuelle.
C'est ses doutes qui la rendent si fragile,
c'est ses peurs qui la rendent indocile.
C'est sa liberté qui la rend merveilleuse,
c'est sa folie qui la rend audacieuse.
C'est son courage qui la rend aussi forte,
sa gentillesse qui lui fait tendre la main.
C'est tellement de choses à la fois,
elle est tellement tout que ça ne s'explique pas...
L’éprise des mors, Emmanuelle Girin
Les années passent après la rupture, ils se rencontrent une à deux fois par an grand maximum, respectant leur deal.
« Notre histoire si courte / étrange / belle / interminable soit-elle reste à nous pour toujours. Et pour autant je dois m’en écrire une autre, je le sais très bien. Mais tu auras toujours ta place dans mon cœur et tu le sais. Je ne souhaite pas t’importuner ni te perturber dans ta vie de couple et de famille. Je suis là quand tu écris, je suis là quand on peut se voir … à ma place, qui passe de sage à salope et inversement car ce sont nos jeux, nos règles établies, définies ou implicites et silencieuses. Pour moi, la frustration n’existe plus vraiment … la tendresse que tu ne peux plus m’offrir, je m’y suis habituée, et je la comprends et la respecte totalement. Je viens quand j’ai envie de venir et non quand je suis en bad mood. Nous ignorons ce que l’avenir nous réserve, préservons nous l’un de l’autre et l’un pour l’autre comme tu dois préserver ton couple. Restons confidents, restons coquins, restons amis selon nos envies communes, selon nos besoins, selon la vie. Restons nous-mêmes tels que nous avons l’air d’avoir réussi à trouver une forme d’équilibre. »
Plusieurs mois après ce courrier, Ella écrit à Pierre ; « Je ne sais pourquoi j’ai eu envie d’écrire cette phrase « J’aimerais revivre notre première nuit » …. Peut-être bien parce qu’elle ne s’adresse pas à tant de personnes que ça finalement. Mais en premier lieu, c’était à toi que je pensais en l’ayant en tête. »
Ce message déclenche une salve de messages entre eux laissant monter la température dans ces corps impurs. Ils sont à 700 kilomètres l’un de l’autre donc aucun risque de dérapage non contrôlé. Et comme ils ne sont pas vus depuis plusieurs mois, ils prennent rendez-vous dans trois semaines.
Un mois plus tard. Ella écrit à Pierre :
Hello. J’ai aimé ce moment. Celui que j’ai attendu des mois, des années … celui duquel nous sortons frustrés, heureux et malheureux à la fois. Je nous englobe car, à mon sens, c’est un tout qui se mêle pour l’un comme pour l’autre. J’ai pleuré de jouissance extrême. J’ai pleuré de tristesse quand mon cerveau a voulu se projeter et s’est dit que c’était la dernière fois et que ça faisait chier de ne pas pouvoir en profiter totalement à fond. J’ai pleuré de ne pouvoir t’avaler alors que je te suçais sur « pour que tu m’aimes encore » … comme si Céline me forçait à te sucer pour que tu m’aimes. Nous aimons-nous encore ? Pour ma part évidemment oui mais différemment du début car notre amour est impossible (on n’avait pas non plus envisagé qu’il serait de la partie à vrai dire !). Il a pris une autre forme (moins passionnée). Le plaisir et la douceur ont été là.
Je n’avais que deux choses à te dire en te voyant mais je n’ai rien dit pour ne pas gâcher plus le moment car j’ai la sensation déjà d’avoir dit des mots que tu n’étais pas prêt à entendre et pourtant ce que je n’ai pas réussi à dire aurait sûrement apaisé les choses aussi.
Je vais bien … comme dit je ne projette rien et n’attends pas une prochaine rencontre … si elle venait, je ne la refuserai pas bien évidemment (quelle qu’elle soit d’ailleurs). Il y a bien longtemps que j’ai fait le deuil de nous à vrai dire. J’ai trop souffert de mes fantasmes. Je me surprends moi-même à réagir ainsi mais je ne peux guère m’attacher à l’impossible quand bien même nous en avons (eu) envie … on ne s’est pas croisé au meilleur moment de nos vies. Ou pas dans la bonne vie en tous cas. Je ne suis même pas jalouse … j’espère juste qu’elle a conscience d’avoir un tel homme auprès d’elle. Le temps fera son œuvre et nous verrons ce que la vie nous réserve car il ne faut jamais dire jamais mais il faut avancer avec cette petite décennie de souvenirs en plus. Je suis heureuse et triste à la fois mais je vais bien, ne t’inquiète pas. Je t’embrasse fort
Un jour j’ai aimé de tout mon coeur
Puis le coeur s’est emballé
Tel le cheval au galop
Plongeant depuis la falaise
Ni lui ni moi ne savions nager
Nous nous sommes laisser couler
Quand nous avons été repêchés
Le cœur était déchiqueté
Tels les petits papiers éparpillés
Maintenant le scotch tente de le sauver
Mais boire ne fait rien oublier
Au contraire … alors j’ai avancé
Sur mes deux pieds
Vers la liberté
C’est vrai qu’Ella a eu des hauts et des bas en lien avec cette histoire. Elle a été au maximum du bien-être comme au maximum du mal-être. Mais elle a appris en marchant à parfois espérer son grand retour puis à essayer de l’oublier jusqu’au jour où elle a compris que sans l’avoir perdu, elle ne l’aurait jamais comme elle aimerait. Alors elle a à nouveau appris en marchant en le rejetant totalement ou à accepter la situation et profiter des moments de partage qu’il lui offrait. Et malgré toutes ces étapes, ils restent eux, unis par leur histoire, par leur connivence et leur forme d’amour. Il a fallu apprendre à le désaimer pour réussir à avancer... Même si désormais elle rejette en bloc toutes formes d’amour. Ça se gère et peut-être ça reviendra mais Ella s’auto convainc qu’il n’est pas né le dernier amour de sa vie.
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