Mireille Mathieu

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Alors que le disquaire sortait de derrière son comptoir pour lui faire la bise, Philippe remarqua la présence de Patrick. Sans aucune gêne, il le détailla de la tête aux pieds. Si au départ de leur amitié Tristan avait été choqué de cette petite manie peu discrète, il n’en faisait plus de cas aujourd’hui. À croire que Philippe ne s’en rendait même plus compte, surtout lorsqu’il rencontrait pour la première fois un homme dont le physique ne lui était pas indifférent. Quant à Rickie, s'il avait été jaloux de ce comportement au début de leur relation, il avait rapidement compris que ce n’était en réalité qu’un simple petit jeu sans importance, et que cela ne remettait en aucun cas en cause les sentiments qu’il lui portait.

— Excuse-moi, Tristan, je vois que tu es très occupé avec ton client.

Patrick, fin observateur, prit les devants, en lui donnant une poignée de main ferme.

— Patrick, je travaille au magasin avec Tristan.

— Aaaaah, je comprends mieux pourquoi mon chou voulait absooolument passer par ici !

Rickie eut l’air vaguement outré.

— Oh, la la, ça va, si on ne peut plus plaisanter, ajouta Philippe en regardant sa montre. Finalement, on n’est pas si en retard que ça… Alors, si vous avez le temps de me conseiller, je ne dis pas non ! Allons plutôt au rayon classique, au fond du magasin.

— Pas si vite, Philippe, monsieur allait partir et Tristan ferme le magasin ! le coupa Rickie.

— Dommage, une prochaine fois, n’est-ce pas, Patrick ?

— Avec plaisir… Philippe ! répondit le vendeur, sur le même ton suave.

— Dit-il avec son plus beau sourire !

— Heu… Merci…

— Philippe, arrête un peu, tu veux bien. T’es une vraie pile électrique ma parole ! Tout va bien se passer pour ce soir, le rassura Rickie.

— Ah, oui, j’oubliais, le grand soir est enfin arrivé ! s’exclama Tristan.

Le visage enjoué de Philippe se décomposa subitement.

— Oui, comme tu dis. Première soirée officielle chez beau papa. Non, mais tu te rends compte, Tristan ? Je suis invité à dîner chez mon boss, le directeur des Grandes Galeries de la ville, Monsieur Frantzmann !

— Il est aussi impressionnant que ça, il n’en reste pas moins un être humain, non ? se permit Patrick.

— Allez-y, je vous cède ma place avec plaisir !

— Je ne pensais pas qu’il te faisait autant d’effet, enchaîna Tristan. Tu dis ça, mais je suis sûr qu’au fond de toi, tu es ravi et plutôt fier. Tu vas être formidable, je ne me fais aucun souci pour toi. Philippe en mode gendre idéal, j’aimerais être une petite souris pour assister à ça.

— Vas-y, marre toi ! En septembre, quand il a su pour nous deux, j’ai bien cru qu’il allait nous faire une attaque en plein rayon parfumerie !

— Philippe est responsable du rayon, indiqua Tristan à l’adresse de son employé. Mais les choses ont changé, n’est-ce pas ?

— J’ai toujours du mal à y croire, répondit Rickie, songeur. Il y a à peine un an, je traitais mon père de tous les noms et ce soir, je lui présente l’homme de ma vie.

— T’es trop mignon, mon chou. Et pour couronner le tout, devinez qui me fait la gueule au magasin depuis quinze jours ? Mes adorables vendeuses : Chantal, Corinne et même Claudie. Elles sont tout simplement jalouses, voilà tout. D’ailleurs, mais j’y pense ! Patrick, il faudra absooolument passer me voir. Moi aussi, je saurais vous conseiller. Plus je vous regarde, plus je me dis que Farenheit de chez Dior est Le parfum qu’il vous faut : il est fin et puissant, doux et sauvage. J’imagine qu’avec vous, la température doit monter facilement.

— Enfin, Philippe, cette fois-ci, tu exagères !!! s’emporta Rickie.

— Désolé, mon chou, c’est pas moi, c’est le stress. Je commence à suer, c’est une horreur. Bon, allez, c’est pas le tout, mais il faut qu’on file, sinon, on va mettre en colère beau-papa. T’as récupéré ton disque de Mireille Mathieu ?

Interloqué, Tristan regarda Rickie qui, aussitôt, lui fit un regard sous entendu.

— … Ah, mais bien sûr… Je l’avais mis de côté. Mais impossible de remettre la main dessus, je ne comprends pas ce qui s’est passé !

— Rassure-toi Tristan, La Mathieu, c’est un cadeau pour son père, c’est un fan. On fait comment alors ? On ne peut quand même pas arriver les mains vides !

— Il n’y a pas de honte à aimer la demoiselle d’Avignon, mon cher Philippe ! ne put s'empêcher de répliquer Tristan pour l’asticoter.

— Je sais pas comment les mecs peuvent bander pour cette nana. Non, mais t’as vu sa coupe au bol, on dirait un champignon. Et dire qu’il paraît que Patrick Duffuy a réussi à se la faire !

— Tenez, Philippe, il nous reste un exemplaire du 45 tours de leur duo, Togeher, we’re strong, annonça fièrement Patrick, en lui présentant le vinyle. Votre beau papa devrait être content, en espérant qu’il ne l’ai pas.

— On s’en fout, c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas ? Vous êtes notre sauveur ! Donnez cette chose immonde à son fils, je refuse de toucher cette vieille peau !

Rickie ne put refuser, devant les yeux amusés de tous.

— Cette vieille peau, comme vous dites, doit avoir à peu près mon âge, répondit Patrick, joueur.

Philippe le regarda en plissant des yeux.

— Ne me dites pas que vous avez passé la quarantaine, je ne vous croirais pas. Je vous en aurait donné seulement 30 !

— N’abuse pas non plus, cingla Tristan.

— Et dire que je déprime sévère à l’idée d’avoir un quart de siècle dans une semaine, honte à moi. Mais si je vieillis aussi bien que vous, Patrick, je m’en sortirais haut la main !

Rickie regarda son petit ami, avec un sursaut d’espoir.

— N’envisage même pas de me faire changer d’avis. Le jour de mon anniversaire, je ne veux voir personne, je te l’ai déjà dit. Hors de question de fêter un anniversaire pareil.

Le sourire éphémère de Rickie disparut aussitôt.

— Nous aurions au moins pu aller au restaurant tous les deux.

— Mais enfin, mon chou, on a toute la vie pour aller au resto ! Bon…et puis, nous n’allons pas étaler notre vie, là comme ça, devant Patrick. Il a sûrement autre chose de bien plus intéressant à faire que de nous écouter, rentrer chez lui pour retrouver sa petite femme et ses enfants par exemple.

— Patrick, inutile de répondre, Philippe est un vilain petit curieux, répondit Tristan.

— Tu me paieras ça, mon cher Tristan, crois-moi. D’ailleurs, on te doit combien pour le 45 tours ?

— Rickie, je mets ça sur ta note, de toute façon, il faudra que tu repasses la semaine prochaine pour ton album de Depeche Mode. Allez, filez-vous deux, vous allez être vraiment en retard, si ça continue.

Le couple obtempéra sur le champ et disparut en un éclair, avec un Philippe qui, étrangement, ne boitait plus.

— Et bien, on n’est pas prêt de s’ennuyer avec lui ! osa Patrick.

— Passe une soirée avec lui, et tu réaliseras que tu étais encore bien loin de ce que tu pouvais imaginer !

Patrick s’amusa de cette réponse et après avoir salué une dernière fois son patron, partit.

Quel sacré phénomène ce Philippe. Plus Tristan le fréquentait, plus il l’appréciait. Sous ses airs fantasques, se cachait un garçon subtil et plein d’attention envers son compagnon. Rickie, qui par le passé, avait eu des histoires d’amour compliquées, méritait d’en connaître une vraie et profondément sincère. En y repensant, lui aussi avait dû faire la même tête surprise que Patrick, quand il avait rencontré pour la première fois Philippe. Il était soulagé de la réaction de son employé. À aucun moment, il n’avait pas été choqué par la personnalité flamboyante de Philippe qui contrastait avec ses un mètre quatre-vingt-cinq et sa carrure sportive. Et encore moins par le fait qu’il soit en couple avec un homme.

Après avoir terminé sa caisse, il la rangea dans un petit coffre fort dans l’arrière boutique, vérifia que tout était en ordre dans son magasin et sortit. Le froid le saisit aussitôt, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Cela lui donnait un petit coup de fouet, atténuant sa fatigue. Il se réjouit à l’avance de sa soirée en perspective. Il allait enfin retrouver Paul, son meilleur ami qu’il n’avait pas vu depuis quelques semaines. Mais avant, il souhaitait passer à son studio et faire un saut rapide au Petit Marcel pour voir Lucas. Ils devaient absolument trouver ensemble, un moyen de persuader Philippe de changer d’avis pour son anniversaire, tout en conservant l’effet de surprise. Mais vu le caractère bien trempé de celui-ci, les choses n’allaient pas être simples. Pourtant, il le fallait, ils n’allaient tout de même pas annuler cette fête tant attendue par ses amis.

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