Doutes

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Paul devait inévitablement penser à l’agression homophobe qu’il avait subie en décembre de l’année passée. Dans quelques jours, ça ferait tout juste un an. Cela expliquait bien des choses et notamment ce comportement inhabituel. Paul n’était pas de nature belliqueuse, surtout avec lui.

— Dis-moi si je me trompe, mais…

— Je sais à quoi tu penses, Tristan. Mais, t’inquiète, je gère. Je te mentirais si je te disais que je n’y pense jamais. Tom s’en paerçoit tout de suite, surtout quand j’ai la fâcheuse habitude de me renfermer sur moi. Il est d’un grand soutien. Mon agression, c’est du passé, vraiment.

Tristan avait envie de le croire, mais il n’était qu’à moitié rassuré. Il se sentait une fois de plus démuni. Cette histoire, combien de fois en avaient-ils parlé ?

— Tu peux compter sur moi aussi, tu le sais.

Paul lui sourit. Il essuya une larme qui pointait au coin de l'œil. Un petit silence se fit entre eux.

— En attendant, Tom ne sait toujours rien pour Octave.

— Pourtant, j’ai l’impression que vous communiquez bien jusqu’à présent, non ?

— Oui, tu as raison. Cette fois-ci, c’est moi qui fais un blocage. Je n'arrête pas d’y penser, ça me bouffe la vie. Ça fait chier putain ! finit par crier Paul, au fond de son canapé, désespéré.

Tristan prit sur lui une nouvelle fois, mais il avait de plus en plus de mal à supporter la tension qui régnait dans la pièce. Il avait beau vouloir soutenir son ami, encaisser sa colère et ses paroles maladroites à son encontre, il sentit qu’il allait atteindre les limites de ce qu’il pouvait endurer pour un soir qu’il avait souhaité tranquille. Un début de migraine l’assaillit. Tout se mélangeait dans son esprit : la fatigue du magasin, l’anniversaire surprise de Philippe qui prenait l’eau et surtout sa frustration de savoir Charlotte loin de lui.

— Mon meilleur pote se fait draguer, et il culpabilise à mort pour rien. Ce n’est qu’un baiser, rien de plus ! Ce n’est pas comme si vous aviez été plus loin. Je suis sûr qu’au fond de toi, ça t’a fait plaisir de te sentir désiré, non ?

Paul n’osait plus le regarder. Un sourire inespéré se dessina sur ses lèvres.

— Oui, j’ai aimé, t’es content ? Tu fais chier, répondit-il. Mais je ne pourrai jamais tromper Tom, ça, tu peux en être sûr. Et je sais aussi que je ne vais pas pouvoir garder ça pour moi plus longtemps.

— Tu m’en as déjà parlé, c’est un bon début.

— Ouais, bien sûr, mais tu vois ce que je veux dire. Bref, je ne vais pas te faire chier toute la soirée avec mes histoires. Parlons plutôt de toi pour changer. Tu n’es qu’un vilain cachottier, dit-il, provocateur.

— J’espère vraiment vous présenter Charlotte le soir du réveillon. Hier soir, on a réussi à se voir hier, je suis trop content. Elle voyage beaucoup, tu sais. Aujourd’hui, elle prenait de nouveau un avion, pour Prague cette fois-ci. Après plusieurs concerts, elle va rejoindre sa famille qui habite là-bas.

Pourquoi était-il bêtement en train de lui mentir ? Il se voyait au contraire aller chercher Charlotte à la gare et passer toute la soirée rien qu’avec elle, quitte à annuler au dernier moment la fête prévue au Petit Marcel. Il avait juste envie d’un moment intime et calme.

— Prague, c’est en Tchécoslovaquie, c’est bien ça ?

— Tout à fait. Je t’avoue que la première fois qu’elle m’a parlé de cette ville, je ne savais plus très bien où la situer sur une carte.

— Ça ne te dirait pas d’aller la rejoindre ? Moi, ça me plairait bien de voyager. Je ne suis jamais allé à l’étranger.

Tristan eut un temps d’arrêt. Il n’y avait jamais songé à vrai dire.

— Je ne sais pas, peut-être un jour, qui sait.

— Ses parents sont musiciens eux aussi ?

— Sa mère est pianiste. Son père, j'en sais rien. Elle n’en parle jamais. On ne parle pas trop de nos parents, à vrai dire.

— Et elle a quel âge ta Charlotte ?

— Ok, je vois, c’est donc un interrogatoire en règle.

— Oui, exactement. T’as la mémoire courte, mon pote. Il y a un mois, tu m’annonces au téléphone que t’as une nouvelle copine, et depuis, rien. Raconte-moi tout !

Tristan appréciait les efforts de Paul. Il tentait à sa manière de se faire pardonner.

— Tu veux savoir quoi, la première fois que je l'ai rencontrée ?

Paul acquiesça, impatient, les coudes sur ses genoux, prêt à l’écouter.

— C'était au magasin et on s'est revu après… Enfin, voilà, quoi. Que te dire de plus ?

— T’abuses ! Heureusement que Philippe n’est pas là ! Il aurait déjà crié au scandale et exigé tous les détails. Regardez-le qui rougit. Il ne sait plus quoi dire. T'as l'air amoureux, en tout cas. Ça fait plaisir à voir.

Malgré la sincérité de son ami, comment lui faire comprendre qu'il était incapable de partager ce qu’il vivait ? Il n'avait jamais ressenti de sentiments aussi forts. Il n'avait aucune envie de se confier, là, comme ça, surtout après ce que Paul venait de lui raconter. Cela lui paraissait tellement décalé. Et puis à bien y réfléchir, il n’avait rien à lui apprendre sur Charlotte, dont il ne savait que très peu de choses en vérité. Certes, en quelques semaines, il aurait pu en connaître davantage sur sa famille, ses amis, mais étrangement, aucun des deux n'avait ressenti le besoin de poser toutes ces questions habituelles. Était-ce si nécessaire que cela finalement ? Certainement pas pour lui. Ce qui lui importait, c’est de ressentir cette connexion réelle, même à des milliers de kilomètres.

*

Heureusement, leur soirée se prolongea de manière plus sereine qu’elle ne l’avait commencé. Paul avait fini par se détendre complètement et la migraine de Tristan disparu. Ils mangèrent une grosse pizza que son hôte avait faite maison, en écoutant des vinyles. Tristan lui raconta ses journées au magasin, les anecdotes cocasses de certains clients. Mais il voyait bien que son ami ne l'écoutait que d’une oreille distraite. Pourtant, lorsqu’il vit les aiguilles de sa montre étaient positionnées l’une sur l’autre, indiquant minuit, il s’étonna que le temps soit passé aussi vite. Le bruit de la porte d'entrée se fit alors entendre. Tom venait de rentrer.

Espérant une réconciliation, Tristan annonça aussitôt son départ pour les laisser tous les deux. Tom avait le visage triste. Il lui sourit malgré tout, le rassura, il pouvait rester autant de temps qu’il le souhaitait. Tristan le remercia, mais préféra s'en aller sur-le-champ.

Il revint chez lui, avec un sentiment mitigé. Il était heureux d'avoir retrouvé Paul et d’avoir joué son rôle d’ami, en ayant pris le temps nécessaire pour l’écouter. C’était la première fois qu’il le voyait dans un tel état de nerfs. Son comportement agressif l’avait profondément perturbé, même s’il en connaissait les raisons. Il ne se pensait pas de nature rancunière, mais il ne pouvait pas s’empêcher de ressentir une pointe d'agacement et de frustration. Certes, il n’avait pas eu envie de partager son bonheur, malgré la curiosité manifeste de Paul, mais celui-ci n’avait pas, de son point de vue, insisté non plus, passant à un autre sujet de conversation. Il ne put s’empêcher de lui en vouloir, ce qui était, il devait bien le reconnaître, entièrement ridicule. Pire encore, il ressentit un profond malaise. Ce soir, l’évidence le frappa : leur amitié avait changé sans qu’ils ne s’en rendent compte. Elle était bel et bien en train de s’étioler. Tous les deux continuaient à faire comme si de rien était, mais le cœur n’y était plus. Combien de temps cela allait-il encore durer avant que l’un des deux n'ait le courage de l’avouer à l’autre ? Pour se persuader qu’il faisait entièrement fausse route, il mit cela sur le compte de la fatigue.

Le froid de la nuit le revigora un instant. Il arriva sur la place du Petit Marcel qui, au vu de l’heure tardive, ne tarderait pas à fermer ses portes. Il passa devant le café. En effet, celui-ci était vide. Il toqua à la fenêtre. Lucas, qui passait la serpillière entre les tables, lui fit signe d’entrer.

— Marie n’est pas avec toi ? s’étonna-t-il en entrant.

— Elle est partie il y a peu. Je termine à l’instant. Je rêve d’une douche chaude et d’une bonne nuit de sommeil, je suis lessivé, dit-il les yeux exténués.

C’est à ce moment-là que la porte s’ouvrit sur un beau jeune homme brun, avec des yeux noirs plein de bonté, malgré la fatigue. Tristan le reconnut. C’était Sandro, un infirmier d’origine italienne, qui venait probablement, lui aussi, de terminer une longue journée à l’hôpital. Sa venue tardive n’était donc pas surprenante mais sûrement pas innocente non plus. Il perçut la joie dans les yeux du serveur. Ce dernier lança aussitôt un regard assassin à Tristan, qui dut prendre sur lui pour ne faire aucun commentaire.

— Buonasera Lucas, bonsoir Tristan…Je ne veux pas déranger, je passais pour récupérer il mio ombrello…

— Oh, mais tu ne déranges pas… Ton parapluie… Il est là, je te l’ai mis de côté, s’empressa de répondre le serveur, en se précipitant derrière son comptoir.

Tristan préféra s’éclipser sans plus tarder.

— Et bien moi, je me sauve… T'inquiète , je repasserai demain.

— Ok, pas de problème, bonne nuit !

Tristan s’amusa de la décontraction feinte de Lucas qui, proposait déjà avec insistance, un café à ce client de choix. Il poussa la porte et s’en retourna chez lui.

Une fois dans son lit, il repensa à sa dernière soirée passée avec Charlotte dans son bel appartement. Jusqu’à présent, il n’avait jamais osé l’amener dans son studio qui lui semblait bien trop quelconque. Plusieurs fois, elle lui avait laissé sous-entendre qu’elle se fichait bien des apparences. Il se répéta qu’il avait été bête de se sentir quelque part inférieur à elle. C’était décidé, il l’inviterait en bonne et due forme chez lui, pour leur dernière soirée de l’année. Il s’endormit à l’espérance de partager elle un moment unique qui les rapprocherait encore davantage.

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