Derrière la vitre

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Les pas légers de Charlotte foulaient le trottoir sur lequel se déposaient, depuis le matin, des flocons de neige. La grande ville s’était alors métamorphosée en un paysage blanc et lumineux, absorbant les bruits des automobiles et des passants, qui, heureux de cette féerie tant attendue, ralentissaient et profitaient de cette journée différente. Une joie renouvelée, puisée du côté de l’enfance, se mélangeait à leur conscience aiguisée que le monde pouvait, malgré la dureté de la vie, être aussi l’occasion de la vivre en la savourant pleinement de plaisirs simples.

Le visage délicat et nacré de la jeune femme était en partie caché par une longue écharpe de laine sombre, dont le contraste faisait ressortir le brillant naturel de ses yeux. Pourtant, ceux qui la connaissaient bien, auraient tout de suite aperçu, s’ils l’avaient croisé, que son regard animé s’était aujourd’hui doublé d’un bonheur inhabituel. Un sentiment nouveau qui n'avait, jusqu’alors, jamais autant gonflé son cœur.

Charlotte ralentit son pas et arriva devant une vitrine illuminée, dans laquelle scintillaient une farandole de disques. Noël approchait, celles et ceux qui cherchaient un cadeau à offrir savaient que Le Microsillon, boutique bien connue des mélomanes, leur offrirait, à coup sûr, de quoi faire la joie de leurs proches. Refrénant son impatience à franchir le seuil de la porte, elle voulut rester, comme à son habitude, quelques instants devant, non pas pour observer une nouvelle fois la très belle sélection de vinyles, mais pour contempler le jeune homme qui se trouvait derrière sa caisse. Elle aimait ses cheveux bouclés et ses lunettes rondes, son sourire qu’elle avait trouvé charmant la première fois qu’elle l’avait rencontré et surtout, la passion qui se lisait dans son regard lorsqu’il conseillait un client. C’est d’ailleurs la scène qui se jouait devant elle. Un couple d’une soixantaine d’années hésitait entre plusieurs disques que le vendeur avait disposés devant eux sur le comptoir. Il leur parlait avec enthousiasme et entrain. Elle attendit que les clients eussent fait leurs cadeaux et quitté, ravis, la boutique. Le vendeur se plongea aussitôt dans une pile de disques, en cherchant manifestement un d'entre eux. Il fut interrompu par la sonnerie du téléphone. Elle le vit répondre immédiatement. Son corps se raidit légèrement. La conversation fut brève. Ayant raccroché, il nota quelque chose sur un cahier, fit tourner son stylo entre ses doigts, l'air dubitatif, avant de le reposer. Il haussa les épaules et s’accouda sur le comptoir. Il avait l’air soudain préoccupé et fatigué de sa journée.

Charlotte profita du moment où il regarda en direction de la vitrine, pour le surprendre en franchissant le pas de la porte. La clochette fit entendre sa douce mélodie. Le visage du jeune homme s’illumina aussitôt. Ses soucis se volatilisèrent comme par magie. Il contourna la caisse et vint à sa rencontre. Elle retira ses gants. Il épousseta les quelques flocons de neige encore visibles sur sa chevelure brune, ce qui la fit sourire. Puis, délicatement, il prit dans ses mains chaudes le visage gracieux de Charlotte et déposa un baiser brûlant de désir. Elle se blottit dans ses bras. Il lui caressa les cheveux et lui chuchota quelques mots, ce qui la fit écarquiller les yeux avec malice. Elle en profita pour se libérer de son étreinte et lui tira doucement une oreille, comme pour le gronder. Il feint une douleur aiguë, avec des gestes théâtraux, auxquels elle commençait juste à s’habituer.

Après avoir fermé sa caisse, rangé les disques du comptoir et éteint les lumières, le jeune homme donna un tour de clé pour fermer le magasin. Il proposa son bras à Charlotte qu’elle accepta avec plaisir, en se blottissant tout contre lui. Ils levèrent les yeux au ciel, admirant les flocons qui continuaient de tomber. Le froid de ce début de soirée les poussa à presser leur pas pour entrer dans un café.

Une semaine les avait séparés, ce qui leur avait paru une éternité. Ils allaient enfin pouvoir rattraper le temps perdu. La chaleur des lieux les réconforta. Devant la vitre légèrement embuée, une table vide. A croire qu’elle les attendait. C’était celle où ils s’étaient avoué leurs sentiments, autour d’un chocolat chaud. Ils s’assirent, joignèrent leurs mains l’une dans l’autre, sur le marbre d’une petite table ronde, heureux de se retrouver. Le serveur les reconnut aussitôt. Il se réjouit de les revoir. Les voyant profiter de leur retrouvaille, il préféra attendre quelques instants avant de prendre leur commande. Une guirlande de lumières colorées, suspendue devant la vitre, clignotait faiblement, illuminant par la même occasion, le visage heureux de ces deux amoureux. Quelques instants plus tard, le couple savoura leur boisson fumante, bercé par un air voluptueux d’un standard de jazz qui emplissait le petit et discret café, La Fausse Note.

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