Le soleil s’était couché depuis plusieurs heures déjà. Ils avaient regardé les couleurs embraser le ciel depuis le balcon de leur chambre, silencieux devant la beauté simple de ce moment. L’air était doux, comme ces nuits de juin où l’on n’a ni froid ni chaud — juste ce qu’il faut pour se blottir l’un contre l’autre, sans avoir besoin d’un plaid. Ils avaient alterné les mots et les silences, comme deux âmes complices qui n’ont plus besoin de combler le vide. Puis, doucement, ils s’étaient retirés dans la chambre, avaient prié côte à côte, et commencé à se préparer pour la nuit. Il était encore trop tôt pour qu’Aydin trouve le sommeil. Il se tourna dans le lit et la regarda. Il contempla son magnifique visage sur lequel il avait posé les yeux pour la première fois il y a de cela plusieurs années. A l’époque, il ignorait qu’elle serait la femme avec qui il voudrait passer sa vie.

Avant même de la rencontrer, il se sentait perdu. Il venait de retrouver le désir d’aimer, de partager sa vie avec quelqu’un mais il guérissait encore d’anciennes blessures. Il avait besoin de redéfinir son avenir puisque celui qu’il avait imaginé n’avait aucune chance d’exister. Il avait besoin de se reconstruire et de se retrouver. Il se souvint des moments sombres ceux où il pensait qu’il ne tomberait plus jamais amoureux, qu’il finirait sa vie seul. Les moments où son cœur semblait vouloir se détacher de son corps tant il était meurtri.

Il se souvint également de ce qui l’avait sauvé. La conviction que chaque épreuve portait en elle une bénédiction, et qu’après la difficulté vient la facilité. Il se souvint des du’a qu’il faisait à Allah swt, et il regarda une nouvelle fois Minha, en murmurant d’un souffle léger « Alhamdoulilah » Louange à Allah.

Ses prières avaient été exaucées.

Encore aujourd’hui il aurait été incapable de dire quand exactement il était tombé amoureux d’elle. Les sentiments l’avaient gagné petit à petit, ils avaient trouvé une place dans son cœur et s’étaient installés discrètement. Il n’avait jamais connu cela auparavant. Pour lui, l’amour était synonyme de papillons dans le ventre, d’excitation et d’émerveillement. Avec Minha c’était différent. C’était de la sérénité, une stabilité enraciné dans le quotidien, une confiance silencieuse, jamais remise en question. Peut-être pour cela qu’il ne l’avait pas vu venir, ce sentiment de manque lorsqu’un jour elle s’absenta de sa vie. Ils étaient proches, se parlaient tous les jours allant de conversations futiles à profondes, se racontant leurs journées, leurs pensées, leurs petits riens. Jusqu’au jour où, silence radio. Minha ne répondait plus. Aydin commença à vérifier son téléphone toutes les heures puis toutes les demie-heures en attente d’une notification. Ses messages étaient distribués mais pas lus. Il relut leur dernière conversation à la recherche d’un indice, quelque chose qu’il aurait dit de travers. Rien. Tout était normal.
Il lui avait écrit. Un simple : Comment tu vas ? Je suis là si tu veux parler.
Elle n’avait pas répondu. Et c’est dans ce silence qu’il comprit, sans se l’avouer encore, la place qu’elle avait prise dans sa vie. Il pensait à elle au moindre détail qu’il aurait voulu partager. Un moment drôle, une chanson, une photo. Et à chaque fois, il se ravisait. Elle ne répondrait pas. Elle avait le droit d’être silencieuse. De prendre une pause. Mais ce vide dans ses journées… il ne savait pas comment le combler. Elle était devenue une habitude douce, naturelle, enracinée dans sa routine. Et maintenant qu’elle n’était plus là, leur proximité lui semblait lointaine. Et lui, un peu moins stable.

Il ressentit un pincement au cœur en repensant à ces jours sans nouvelles, et ce souvenir le poussa à se rapprocher d’elle dans le lit, comme pour combler la distance qu’il avait un jour ressentie. Il se blottit contre elle et posa délicatement un bras autour de sa taille. Elle était la personne la plus importante à ses yeux, et il s’en voulait encore de ne pas l’avoir compris plus tôt. Pourtant, au fond de lui, il savait que rien n’arrivait par hasard. Si Allah swt l’avait guidé sur ce chemin, c’est qu’il avait besoin de ces épreuves pour devenir l’homme qu’il était aujourd’hui. Il lui avait fallu apprendre certaines leçons avant de pouvoir aimer comme il le fallait, avant d’être prêt à s’engager avec elle. Minha bougea dans son sommeil et se tourna inconsciemment face à Aydin. Cela fit sourire ce dernier qui la regarda une nouvelle fois. Il retira une de ses mèches de cheveux qui étaient venue se glisser sur son visage et se souvient du jour où il s’était enfin déclaré.

Il faisait nuit, et comme à leur habitude, Aydin et Minha étaient plongés dans une conversation. Cette fois, ils parlaient d’amour et de mariage. Minha lui confiait ce qu’elle attendait d’un homme, ses critères, sa vision du couple. Ce n’était pas la première fois qu’ils abordaient le sujet, mais à ce moment-là, quelque chose était différent. En l’écoutant, Aydin se surprit à penser : « Et si j’étais cet homme ? ». Un nœud se créa alors dans son ventre. Il espérait être la personne qu’elle décrivait. Il s’empêcha de réfléchir plus que cela mais son corps, réagissait malgré lui. Le nœud se serra, son cœur commença à battre, la chaleur montait tandis qu’il échangeait des messages avec elle. Il n’était plus vraiment présent dans la conversation et celle-ci le remarqua, si bien qu’elle décida d’aller dormir, laissant Aydin désemparé face à cette nouvelle révélation. Une seule question tourna en boucle dans sa tête : « Est-ce que je pourrais être cet homme pour elle ? ».

Quelques dizaines de minutes passèrent qui se transformèrent en heures et Aydin décida d’enregistrer un message vocal :
"Hey...euh c'est encore moi [rire gêné] et oui je sais il est 3h du matin, tu vas m’engueuler. Mais j'ai un truc à te dire et hmm… je ne sais pas comment tu vas le prendre, enfin je ne sais pas ce que tu ressens maintenant, mais euh… voilà je sais que c'est cliché et que tu vas dire que tous les mecs font ça et que ça t’enerve mais bon voilà hein, je ne fais pas exception mais en gros ce que je voulais te dire c'est que tu sais que je te considère comme une personne importante pour moi et c'est toujours le cas bien sûr mais j'ai l'impression récemment que je te considère… plus tu vois ? Purée je suis pas clair. J’ai commencé à m’imaginer un futur avec toi, pas juste comme pote, mais… enfin, je sais pas trop comment expliquer, mais comme voilà quoi..plus que pote. »

Il envoya le message, verrouilla son téléphone et le posa sur sa table de chevet. Il ferma les yeux quelques instants sans pour autant trouver le sommeil. L’attente de sa réponse serait interminable mais il ne pouvait s’imaginer lui cacher plus longtemps. En temps normal, il aurait attendu de la voir, d’organiser quelque chose de romantique et de spécial, comme il l’avait fait pour les précédentes déclarations. Cette fois ci, les sentiments ne pouvaient rester cachés au fond de lui, il se sentait incapable de lui dissimuler quoi que ce soit et à dire vrai, elle se serait rendue compte que quelque chose n’allait pas. Elle le connaissait par cœur. Il jeta un coup d’œil à l’heure. Encore une dizaine de minutes, à peine. Elle allait bientôt se lever pour la prière de Fajr. Elle écouterait peut-être le message. Peut-être. Dans quelques minutes. Il prit son téléphone et alla sur la conversation. Son cœur qui s’était quelque peu calmé, reprit un rythme accéléré lorsqu’il vit les tick bleu signifiant qu’elle avait écouté le message. « Minha est en train d’écrire… »

Il verrouilla à nouveau son téléphone, mit le vibreur pour être sûr d’être alerté de sa réponse, enfouit sa tête dans son oreiller et commença à taper des pieds sur son lit. L’excitation et la peur le submergeaient désormais.
Drrrr. Il lut la notification : « On peut s’appeler demain pour en discuter ? »
C’est tout ? Aucune indication pour calmer ses nerfs, était-ce une bonne nouvelle ?
Il lui répondit dans l’instant :
« Oui bien sûr mais tu n’as rien d’autres à me dire ?
-C’est-à-dire ?
-Tu vas me laisser dans le flou jusqu’à ce qu’on s’appelle ?
Quelques secondes de silence. Puis la réponse s’afficha.
-Aydin, tu sais très bien ce que je ressens pour toi.
-La même chose qu’avant ?
-Oui voire plus. Va dormir maintenant.
Un sourire étira ses lèvres.
-Après toi.
-Bonne nuit Aydin.
-Fais de beaux rêves Minha. »

Elle ferma les yeux, le sourire aux lèvres.
Le bruit de la pluie la tira du sommeil. Un frisson la parcourut.
Elle remonta la couverture au-dessus de sa tête, comme pour contenir un peu de la chaleur qu’elle venait de perdre.
Elle tira son téléphone de sous son oreiller. Aucune notification.
Ce n’était qu’un rêve.
Il ne lui écrivait plus depuis des mois.