En coulisse, bien des mystères

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Les gens dans la salle s'agitaient, se mettaient en place et peu à peu les sièges se remplissaient. Depuis la coulisse, on pouvait les voir par un interstice dans les plis du rideau rouge. Ceux perchés au balcon, d'autres bien installés dans des loges en corbeille, et le plus grand nombre dans la fosse derrière l'orchestre.

Chacun prenait la mesure de l'endroit, regardait en toutes directions, souvent vers le plafond et les pavillons qui offraient des parures et de très belles boiseries peintes ou des moulures vernissées. D'autres tournaient pour se distraire les pages du programme, échangeaient parfois un commentaire avec un voisin à leurs côtés ou devant ou derrière, quand plus nombreux, ils venaient en famille ou en groupe.

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En coulisse, l'incertitude et la fébrilité nouaient le ventre des comédiens. On sentait une bouillonnante effervescence.

Ici une retouche sur un visage, là une reprise sur un vêtement. On se serrait les mains par équipe ou par affinité et l'on se transmettait des ondes positives et apaisantes. Quelques souffleurs redonnaient la première phrase. Le trac n'avait qu'à bien se tenir. On saurait l'affronter.

Le régisseur ouvrit alors la porte d'un placard pour sortir un long bâton qui servirait à frapper les trois coups. Quelqu'un actionna depuis un tableau numérique une sonnerie pour signaler que le spectacle allait commencer. Dans les coursives et les escaliers, les retardataires finirent par s'installer et le silence s'offrit une place.

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Il n'était plus temps de faire demi-tour.

Chacun prit position à l'emplacement où il entrerait en scène. Le responsable de la lumière tamisa en douceur tout l'espace que ce soit devant ou derrière le rideau. Il régna alors une ambiance suspendu et presque palpable. Quelques voyants lumineux éclairaient ici ou là des ombres anonymes d'un voile d'encre, parfois verte, jaune ou rouge. Ici un visage paraissait d'un violet couleur betterave et je ne pus savoir si l'intéressé se sentait mal.

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Je me fis toute petite, assise sur un tréteau, surplombant la scène, impatiente que commençât le jeu de rôles. Alors le rideau prit enfin son envol.

Un faisceau lumineux accompagna en poursuite un trio de personnages pris dans un échange fiévreux et volubile. Le public se sentit autorisé à applaudir l'ouverture de la pièce, ce qui produisit comme une sorte d'encouragement à ces premiers acteurs. Des bruitages vinrent alors créer une atmosphère de rue et le spectateur put deviner quelques décors représentant des façades d'un quartier.

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Nous entrions dans une ambiance populaire.

L'un des personnages se para des habits d'une sorte de Monsieur Loyal et présenta la scène qui se déroulait sous les yeux des spectateurs. Et ce rôle fut repris à son tour tout au long de la pièce, par chaque comédien, comme pour prendre le public à témoin, des mystères qui prenaient place. Il s'agissait tout de même d'emporter les esprits dans les bas-fonds de la ville vers ces nouveaux barbares comme on les surnommait à l'époque.

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Pour la petite histoire, en cela, on rejoignait les écrits d'Eugène Sue qui publia son roman sous forme de feuilleton dans le Journal des débats entre le 19 juin 1842 et le 15 octobre 1843. Cette pratique, très courante à l'époque, fut adoptée par bien des écrivains comme Jules Verne, Alexandre Dumas, Victor Hugo et tant d'autres, ce qui leur permit d'acquérir une certaine notoriété. 

Le premier roman publié en feuilleton fut La Vieille fille d'Honoré de Balzac, qui parut dans La Presse entre octobre et novembre 1836.

Le public, très friand de ce type de publication, se trouvait en attente du moindre rebondissement dans la presse du lendemain. Et les auteurs en jouaient volontiers d'autant qu'ils se voyaient rémunérés par les éditeurs, à la ligne. Dumas excellait en la matière y voyant un grand avantage car il aimait beaucoup les dialogues ce qui lui était souvent reproché.

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Assise à ma place, un plaid sur mes épaules, curieuse comme une petite souris, je n'eus pas peur un seul instant car j'étais trop heureuse de pouvoir observer mes deux parents qui se donnaient la réplique.

La pièce s'acheva par une belle ovation et tous les personnages, premiers rôles et figurants, vinrent saluer les spectateurs, ces derniers ravis de s'être laissés prendre au jeu de l'intrigue et des comédiens.

=O=

Commentaires

En faisant quelques recherches, j'ai découvert au théâtre de La Tempête l'adaptation en 2013 du roman d'Eugène Sue, " les Mystères de Paris". Voici les liens pour aller plus loin.

www.la-tempete.fr

www.regarts.org/Theatre/les-mysteres-de-paris.htm

Plus connu sans doute dans le film éponyme, interprété par Jean Marais dans le rôle principal, l'adaptation au cinéma fut tournée en 1962. Et contrairement au lieu annoncé dans le titre de l'œuvre originale, le tournage prit place dans les vieilles ruelles pittoresques de la ville de Rouen qui se prêtaient plus aisément à la mise en scène que dans l'un des quartiers parisiens.

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