31 – Toi et moi et le diable faisons trois

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Son dos qui s’embrasa d’un coup. Voilà ce qui ramena sa conscience. On l’avait jetée là comme un chien, comme à leur habitude. Elle entendit sa propre respiration sifflante entre deux gémissements paniqués.

Comment je peux respirer après ça ?

Le salaud ! Il l’a eu sa revanche.

Tout son corps tremblait, chaud et glacé à la fois, bloc tétanisé, piégé, saisi par la douleur. Elle ne parvenait plus à bouger pour libérer son dos du contact du sol. On la bascula sur le côté, main secourable. La douleur toujours puissante, obsédante, mais léger mieux ?

— Respirez, je vous en prie… Bon sang, que puis-je faire pour vous aider ? Je n’ai qu’un peu d’eau.

Un murmure éraillé lui répondit.

— Rien… vous pouvez… rien… Trop profond.

La main de la femme, de peine et de peur, lui pressa doucement le bras.

— J’ai compris… Mon agonie… longue et… douloureuse.

Inspiration sifflante pour reprendre son souffle. Pour tenter de la faire boire, la femme lui souleva la tête. Elle essaya piteusement de fuir.

— Non… Arrêtez… peina-t-elle à articuler.

— Buvez au moins un peu, allez !

Poids noir, pesant dans sa poitrine en feu.

— Alors c’est ça ! Vous êtes là pour prolonger… mon agonie !… Vous êtes avec eux !

Elle savait ses paroles cruelles, insensées.

La femme réussit à faire entrer de l’eau dans sa gorge, dans son corps, piètre réconfort.

— Je ne vous en veux pas. Je sais que c’est la douleur qui parle.

Et Tara but encore avant de replonger en pleine confusion.

La femme était encore là quand ils vinrent la chercher. Ils la saisirent, la traînant à bout de bras. Elle l’entendit murmurer.

— Non… Laissez-moi.

Sous les tremblements incontrôlés de son corps, en un rythme macabre, ses chaînes s’entrechoquaient.

Pourquoi là encore ? Ça n’a plus de sens ! Laissez-moi !

Ils terminèrent de la déshabiller, dirigèrent sur elle le jet d’eau glacé, implacable. Elle en absorba au passage, encore malgré elle.

Le monde retourna rouge sang.

— Je te prie de me pardonner, mais tu vois, les odeurs de merde et de cochon grillé, c’est pas des plus agréables.

Elle reprit conscience, toujours accrochée là, entièrement nue, à la fois transie de froid et brûlante de fièvre, torturée par les tisons ardents qu’étaient devenus son dos et sa poitrine. Sa tête, avachie sur un de ses bras perchés, ne se redressait plus, n’obéissait plus. Des mèches du reste de ces cheveux lui collaient au visage.

Ses pas approchant.

— Ça t’a plu, le spectacle ?

Il n’eut qu’une respiration sifflante en réponse. Cela ne l’empêcha pas de continuer.

— Au moins, comme ça, dis-toi que même si tes amis ne viennent pas à toi, ils auront des chances d’avoir de tes nouvelles.

Silence.

— Pourquoi… encore…

Il lui caressa le visage, repoussant les mèches rebelles.

— Tu as raison, j’ai envie de m’amuser avec toi. Considère cela comme une vengeance, si tu préfères, car il est vrai que toi et les tiens avez foutu un sacré coup à mon armée. Alors j’ai décidé de reprendre le “combat”– comme tu l’appelles, j’aime bien cette expression – à ma manière. Tu aimes, n’est-ce pas ?

Il continuait en une douceur cruelle, le prédateur tournant autour de sa proie.

— Je vais te tuer, oui, mais avant, je veux te détruire à petit feu, morceau par morceau, pièce par pièce. Je lance les paris. Je veux savoir, entre ton corps et ton âme, ce qui va céder en premier. Tu vas voir, je ne vais pas mâcher mon plaisir. Je vais y aller bien lentement, bien comme il faut, tout doucement. Et tu vas bien en profiter. Tu comprendras le sens des mots douleur et souffrance. Je vais peaufiner ça avec amour, faire de l’art. Je veux te tuer comme ils le font dans les films. Tu auras droit à toute mon expérience. J’ai eu un bon maître, je t’assure, tu peux être tranquille.

— Je vois… Je suis un démon, mais le diable est avec toi.

— Si tu savais…

Il s’éloigna, jouissant de sa victoire.

— Bien. Reprenons ? Où en étions-nous ?

Cette fois-ci, les ongles, il les lui arracha.

Toujours suspendue, elle grelottait, ses dents claquaient, son corps ébranlé de la tête au pied, accablée de froid, de morsures brûlantes et de souffrance.

Comment puis-je encore être en vie après tout cela ?

— Viens, approche, n’aie pas peur.

— C’est elle ?

— Oui. C’est elle qui a tué tes parents.

Je rêve ou j’entends une voix d’enfant ?

Un coup cingla sur sa peau. Un petit fouet ou une cravache, son autre jouet, lacérant, dessinant de belles estafilades d’où suintait le sang dégoulinant sur sa peau.

— Regarde, tu vois comme elle crie ? Tu veux te venger ?

— Euh… oui.

Elle eut un regain d’énergie, sidérée de la situation.

— Ne réponds pas ce qu’il veut !

Un deuxième coup assené un peu plus fort.

Il susurra près de son oreille.

— Juste une chose. Si tu veux que j’arrête, supplie-moi.

Supplier ? Supplier !

Jamais !

Ah, je te sens remuer et renâcler en moi. Tu es toujours là.

— Crève.

Elle encaissa encore.

— Tais-toi ! Tu sais la seule chose que tu as à dire… Tiens, prends-le si tu veux, et vas-y, reprit-il sur un ton mielleux à destination de l’enfant.

Un coup moins fort.

Non !

— Tu vois, c’est facile.

— Un enfant ? Je rêve ! Salaud, immonde pourceau, comment oses-tu le mêler à ça ?

— Je savais que cela te toucherait. Tu en retrouves même la parole. Dis-moi ce que je veux et je le laisse tranquille.… Allez, continue…

L’enfant la frappa encore, une fois, une deuxième, une troisième…

— Oh le lâche ! Tu sacrifies un enfant pour essayer de m’atteindre ? Quelle honte ! Mettre un enfant devant un tel spectacle, encore plus de l’obliger à y participer. Comme c’est cruel !

Dites-moi que cet enfant n’y prend pas plaisir. Dites-moi qu’il n’est pas encore trop tard, qu’il n’est pas perverti par notre guerre. Dites-moi que ce que je dis le sauvera !

Mahdi, qu’aurais-tu fais à ma place ? Que puis-je faire ?

Elle parla à l’enfant.

— Si c’est vraiment ce que tu veux, fais-le, mais sinon…

L’enfant ralentissait.

— Moi aussi, je voulais me venger.

Un grognement de frustration, et les coups se mirent à pleuvoir plus fort. Elle ne pouvait voir, ne pouvait qu’espérer que c’était uniquement lui qui la frappait, et pas lui qui avait pris la main de l’enfant pour le faire. Voire l’enfant seul.

— Je ne peux… te sauver. Je voulais juste… Sache que… la vengeance… n’est pas la… voie à suivre… J’en suis… ta preuve… Souviens-t’en !

Malgré les coups, elle réussit à lui dire cela, essayant de retenir ses cris, espérant ainsi minimiser son traumatisme.

Elle ne le sut jamais.

— Toi aussi… ton enfance… sacrifiée.

Les coups continuèrent à pleuvoir, enragés. Elle les subit jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse.

Douche glaciale, étrangement, cruellement salvatrice, annonciatrice de la reprise d’un nouveau cycle au rituel. Quelque chose glissait sur sa peau encore indemne, suivait les courbures de son corps. Une chose qu’elle reconnut.

— Dis-moi, ton roi, il l’a vraiment possédé, ce corps ?

De la bave sanguinolente encombrait sa bouche. Elle s’en débarrassa, prenant son temps pour la recracher.

— Il l’a possédé, choyé, couvert, éveillé, forgé, soigné, comme j’ai possédé le sien. Pourquoi ? Tu le veux aussi ? Étonnant que tu ne l’aies pas fait ou laissé faire avant, quoi que tu en dises. Il ne manquait plus que ça au tableau.

— Non merci. Personnellement, je n’ai aucune envie de pénétrer là-dedans.

Il la saisit par la hanche, la collant à lui. Elle tenta de ruer, de se cabrer pour reculer.

— Mais tu as raison, les hommes en viennent toujours au viol dans ce genre de cas. Et pour ton malheur, il existe d’autres moyens.

Ce fut froid, dur, inhumain, ce qu’il fit pénétrer en elle. Cela avait du mal à rentrer, il insista, lui racla l’intérieur, la faisant crier. Encore.

Elle en avait assez de s’entendre crier. Mais cela ne faisait qu’annoncer pire.

Non, pas ça !

Il ne lui laissa pas le temps de supplier.

Elle crut se déchirer en deux. Le monde, de rouge sang, tourna blanc, plasma brûlant, couleur de la douleur ultime.

— Reviens !

Air peinant à entrer dans ses poumons. Râle d’agonie.

La décharge repartit du plus profond de son être, impitoyable, destructrice, sûre d’atteindre sa cible puisqu’elle en était au cœur.

Et à chaque fois.

— Reviens.

— Supplie-moi.

— Crie pitié.

Et décharge.

Je sais qu’il continuera, même si je cède.

Je ne peux compter que sur toi, mon dragon, mon démon intérieur. Même lui, je ne le vois plus.

Ah, si, tu es là.

Mahdi ?

Les décharges consumaient son ventre, fusaient dans son corps branlant, accablé de souffrances, tendu à l’extrême, tête en arrière, cou étiré comme s’il voulait s’arracher.

Mahdi, je ne tiens plus dans ce corps. Je ne veux plus de ce corps. Il me fait trop mal. Laisse-moi en sortir.

Il décroisa les bras, s’approcha, lui cueillit le visage entre les mains, un petit sourire aux lèvres. Douce sensation de la chaleur de ses paumes sur ses joues.

Il secoua la tête.

Pourquoi non ? C’est long, si long…

— Tiens bon encore. Juste un peu. Tu le peux.

Tu es cruel.

— Allez, reviens ! Supplie-moi.

Non !

Combien de fois la ramena-t-il ? Combien de fois revint-elle ?

Elle n’arrivait plus à parler. Était-ce d’avoir trop crié ? Ou était-ce parce que les décharges fusillaient son cerveau, autant qu’elles achevaient de faire fondre son corps ?

Après avoir passé le feu sur elle, il utilisait le feu en elle.

Le feu, l’arme du dragon. Il voulait la détruire avec sa propre arme.

Une pause.

Caresse cruelle.

— Alors ?

Un murmure.

— Démon ! Crève !

Une décharge. Nouvelle brûlure intérieure.

Et encore, et encore et encore.

Mahdi ! C’est toi que je supplie. Laisse-moi partir.

Encore et encore.

Mahdi !

Il la prit entre ses bras.

Et encore, et encore.

Mahdi ? Maintenant ?

Il s’éloigna, lui tournant le dos, puis il se retourna, lui tendit la main en souriant.

Son bourreau entendit un murmure.

— Tuez… moi.

— Serait-ce ta façon de supplier ?

— Tuez… moi.

— Je n’ai pas bien entendu. Tu disais ?

— Tuez… moi. Tuez… moi. Tuez-moi. Tuez…

Nouvelle décharge.

— … moi…

Et encore, et encore.

Une larme silencieuse coulant de son œil.

Je le savais, pourtant.

Elle prit sa main.

— Je crois qu’il n’y a plus personne aux commandes. J’ai ma réponse…

Une odeur pestilentielle, inconnue, immonde, envahit l’espace.

— Déjà ?

La voix de l’odeur. Une voix caverneuse, forcée.

— Oh, excuse-moi, réagit le bourreau à cette incartade, je t’ai tellement fait attendre que tu en viens même à me parler. Oui, viens ! J’ai assez joué avec elle. C’est enfin ton tour.

Cou encerclé. Soulevée. Chaînes pendantes, inutiles.

— Elle respire encore, mais elle n’est plus là, en effet… Quelle déception.

— Oui, ce sera moins drôle. Encore navré de l’avoir accaparée si longtemps, mais tu comprends que celle-ci avait une certaine valeur à mes yeux. Et elle s’est sacrément bien débrouillée pour ce genre de spécimen, tu sais. À moins qu’elle revienne un moment… Je suis sûr que tu y arriveras, tu es doué, dans ton genre.

— Je peux toujours essayer… Oh oui ! jubila la voix après un silence. Tu peux disposer !

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