16 – 2 Permets-moi d’être pardonné

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Elle se montra implacable, déterminée, l’importance du rôle de cette équipe spéciale se confirmant, sauvant autant de gens que possible de ces autres êtres de la même espèce ayant dérapé. Ce nettoyage pouvait être salissant, usant, mais elle ne faiblissait pas, ni les autres. Il ne fallait pas faiblir, au contraire, la frontière entre les uns et les autres étant parfois bien floue, se brouillant avec le temps et les épreuves traversées.

Quand vous arrivez dans un quartier où cela se met à courir dans tous les sens, l’attention est de mise, prend même une valeur incroyable. C’est ce qui arriva quand ils débouchèrent dans un quartier, le dernier à explorer dans leur troisième ville. Ils étaient probablement plus ou moins attendu, et n’avaient donc pas trop cherché à se cacher. Même si ces villes avaient eu tendance à se scinder en plusieurs petites communautés, se regroupant par quartier, par rue, par maison parfois, brouillant les pistes, même s’ils ne communiquaient pas entre eux, ce n’était pas pour ça qu’ils n’étaient pas informés de ce qui se passait chez les voisins. Même Mahdi n’était pas resté dans le camion avec Yahel, préférant se mêler tout de suite à eux, prêt à discuter.

— Mes frères, mes sœurs, courez vous abriter, nous allons vous protéger !

Ça puait le prêcheur, pas le genre apprécié par Tara. Elle avait repéré l’homme qui avait claironné ses jolies paroles depuis un des balcons d’un petit bâtiment carré, pas plus de trois étages. Ce n’était pas l’aspect religion qui la dérangeait, plutôt ce que les hommes en faisaient.

N’aimant pas le sous-entendu que pouvait receler ces quelques mots, elle avait levé les yeux en direction des toits. Avant la chute, les armes étaient rares dans ce pays, en tout cas difficilement trouvables pour le commun des mortels. Fort heureusement, sinon ils auraient beaucoup plus souvent essuyé des tirs. Et ce ne fut pas le cas ici, mais elle resta sur ses gardes.

— On aurait pas mieux fait de la jouer discret et de nous envoyer en douce en observation ?

— On va voir…

Simon ne désapprouvait pas sa remarque. Lui aussi balayait la scène du regard, projetant un autre point de vue grâce à la petite caméra qu’il gardait sur le côté de sa tête, reliée à son oreillette.

Mahdi s’adressa autant aux gens qui s’approchaient pas à pas qu’au prêcheur. Ce dernier restait confiant du haut de son perchoir. Ses envoyés aussi, ne ralentissant même pas. Difficile de déterminer s’ils étaient tout simplement influencés par un discours radical, ou par ce qu’ils croyaient être une nécessité de défense.

— Vous ne craignez rien. Nous venons juste à votre rencontre, voir si vous avez besoin d’aide. Vous avez peut-être vous aussi des gens malades, nous avons des médecins avec nous. Et…

— Nous vivons très bien ici, entre gens respectables. Nous n’avons nul besoin d’individus comme vous.

— Peut-être avez-vous eu de mauvaises informations sur ce que nous avons fait en ville, un quiproquo. Je vous assure que…

— Inutile ! Je vous conseille fortement de rentrer chez vous !

Un vrai dialogue de sourd, rendant le combat inévitable. L’expression des hommes s’approchant des dragons entourant Mahdi confirma le ressenti de Tara et Simon.

— Ne les tuez pas, neutralisez-les, juste, les exhorta Mahdi qu’ils obligèrent à reculer pour l’emmener à l’abri.

Elle le comprenait. La vérité est parfois âpre, rebutante. Tara usa de son bâton, frappant pour immobiliser. C’est elle qui se retrouva assommée. Des cailloux plurent depuis des fenêtres environnantes, projetés par d’autres âmes croyant leurs défenseurs sur le point d’être massacrés. Juste au moment où l’ordre de reculer avait résonné dans son oreille. Trop tard. Elle se protégea tant bien que mal, ses bras atténuant le choc des pierres, alors qu’elle devait encore se défendre de quelques irréductibles agresseurs ne craignant pas les pierres, comme si ces objets avaient conscience du corps qu’ils pouvaient atteindre. Un jeune de son équipe chut à terre. Elle voulut lui porter assistance, mais cette erreur lui coûta. Un bruit sourd, la tête qui valse… Chancelante, les oreilles sifflantes, elle ne put éviter un coup de chaîne dont un de ses assaillants se servait comme d’un fouet. Elle se retrouva à quatre pattes par terre, se demandant comment en avait fait pour éviter de tomber, se récupérant sur les genoux et les mains. Du coin de l’œil, alors que Yahel criait son nom, lui intimant de se relever, elle vit un attaquant brandissant un caillou gros comme une pastèque se positionner au-dessus du gosse, remuant à peine, à moitié groggy. Tara ne croyait pas ce qu’elle voyait, ne voulait pas le croire, les sens à moitié brouillés, un liquide chaud coulant le long de sa tempe.

— Ici, c’est à nous ! vociféra l’homme. Alors vous dégagez !

Et il projeta son arme improvisée sur le crâne du jeune dragon.

— Ok, on rigole plus.

Tara aurait été incapable de dire plus tard si ces paroles venaient d’elle, ou si elles provenaient d’un autre membre de l’équipe, et qu’elle les avait alors entendues à l’oreillette. Toujours est-il qu’elle se secoua, raffermit sa main sur son bâton, se releva en grognant, estimant mettre toujours trop de temps, en sortit les lames et démarra une danse macabre, ciblant toute silhouette menaçante qui tombait sous son regard et qui ne portait pas le dragon, se débarrassant d’abord de son adversaire à la chaîne, ne lui laissant aucune chance, visant ensuite le meurtrier. Par la suite, elle chercha à atteindre monsieur prêche.

Son œil et les voix retransmises crachotant dans son crâne confirmèrent qu’elle n’était pas la seule à s’être ruée dans le combat. La stratégie se consolida, intégrant sa réaction. Du renfort arriva à ses côtés. Plus personne au balcon, plus personnes non plus dans l’appartement, mais elle ne désespérait pas de le dénicher, nettoyant au passage. Et l’affrontement dura.

Son pied venait de fracasser une porte, son bâton de se lancer à la rencontre de cette hache tapie derrière, portant assaut la première au son de cris de rage et de frayeur. Blocage, parade pour neutraliser l’effet de la hache, ouvrant le passage à la lame à l’extrémité de son arme. Sans s’arrêter, enivrée par la vitesse imposée par la chasse, elle repéra sa cible suivante, entama le pas de danse suivant.

Elle stoppa brusquement son geste.

Dans la ligne de mire de sa lame, une paire d’yeux en larmes la défiait.

Les informations lui parvenaient dans un ralenti relatif. Derrière ce regard, un visage bien jeune, autant que ce petit corps juché debout, bien campé sur ses jambes, pressant celui d’une femme contre le sien. Elle baissa sa lame, recula d’un pas.

Non, gamine, je ne tuerai pas ta mère.

Comprit-elle le message ? Elle bougea, la mère se releva, hésitante. Elles ne se lâchèrent pas une seconde, restant collées l’une à l’autre, alors qu’elles tentaient un pas, puis deux, espérant la contourner pour atteindre la sortie, mais sans la quitter du regard.

Yacine, juste derrière, suivant Tara de près, parla pour elle.

— Venez, mesdames, on vous fera rien. J’vous jure.

Une fois qu’elles eurent quitté son champ de vision, Tara s’apprêta à reprendre. Elle eut le temps de voir leur ombre filer dans le couloir, passant le plus loin possible d’un Yacine, bras levé, coulé contre le chambranle de la porte d’entrée.

— C’est terminé. Tout le monde revient, répétait Yahel. On l’a eu, c’est terminé.

Son compagnon de lutte confirma d’un hochement de tête.

Les frémissements dans son ventre, était-ce la rage ? La frustration ? Ou le dragon qui n’en avait pas assez ? Mais quand son regard tomba sur ses mains, cela ne se calma pas. Elle ignora les mouvements de fuite effarés sur son passage, dédaignant cette piètre réaction des âmes épargnées vivant dans ce quartier. Mahdi la retrouva isolée, assise au bas des marches d’un des petits immeubles. Elle avait gardé son arme en position de combat, juste posée contre les marches, à portée de main.

— Tara ?

Ses yeux peinèrent à quitter le sang sur ses mains. Il lui tendait un bidon d’eau.

— Tara, revient. C’est terminé, insista-t-il devant son silence.

— Je n’ai pas soif, rétorqua-t-elle, la voix enrouée.

— Pas encore. Mais ce n’est pas uniquement pour ça…

Lui aussi regardait ses mains. Il s’était approché, s’apprêtait à verser de l’eau dessus.

— Attends ! s’éveilla-t-elle. Ne gâche pas de l’eau potable. Je vais aller dans la rivière.

— Je ne te le conseille pas.

— Elle est empoisonnée, c’est ça ? Comme l’autre fois ? Des produits chimiques ?

— En quelque sorte…

Ce n’était jamais bon signe quand il éludait une question.

— Tu es sûr que c’est terminé ?

— Oui. Lave-toi, et change-toi, dit-il, posant à côté d’elle, en plus de l’eau, une serviette et du linge de rechange qu’il avait gardé jusqu’ici sur son bras.

Silence.

— Que dira-t-elle si elle te voit comme ça, affirma-t-il doucement.

Elle ? Yahel ? Il parle de Yahel, c’est ça ? Pourquoi…

Interpellée par ses paroles, cette fois-ci, baissa les yeux, et la réalité se fit jour. Non pas uniquement ses mains, mais son gilet, ses vêtements, et probablement son visage et son cou, vu la sensation, constellés, encrassées, poisseux de sang. Yahel ne pourra jamais croire qu’il s’agit uniquement du sien.

— Tu as fait ce qu’il fallait. Ne regrette rien.

Elle ne lui répondit pas, resta figée quelques minutes avant de commencer à retirer ses vêtements, s’essuyant le plus gros avec l’envers, évitant au maximum son cuir chevelu douloureux. Il s’était éloigné. Elle se décida à retourner au convoi. Des personnes du quartier, de tout âge, même des enfants, certains encore choqués, d’autres un peu hagards, perplexes, ou sérieusement en colère, se rassemblaient par paquet plus ou moins important. Beaucoup semblaient palot et maigrichons. Elle évita le gros de la foule, la tête lui tapant un peu, préféra se diriger discrètement vers leur camion, ignorant les regards éventuels. Cette fois-ci, nettement moins de réaction de frayeur sur son passage. Elle s’estima alors à peu près présentable.

Une discussion s’était engagée entre Mahdi, Simon, Yahel et un petit groupe de personnes. Probablement quelques responsables de divers origines se sentant aptes à représenter leur population. Tara en entendit un bout.

— Vous n’avez plus accès à l’eau potable. La station de la ville est complètement hors-service, le réseau général dans un état déplorable, depuis longtemps d’ailleurs. Tout cela sera long à réparer. Et votre rivière…

— Nous nous débrouillerons.

— Pensez aux enfants, aux personnes fragiles. Venez avec nous, au moins le temps de…

— Non. Nous nous en sortirons. Nous ne voulons pas avoir affaire à vous.

— Vous parlez vraiment pour tout le monde ? intervint Yahel.

— Nous préférons rester entre nous, selon les préceptes de Dieu et de notre pauvre guide, que vous avez lâchement assassinés !

— Laissez-nous au moins parler à tout le monde. Que chacun puisse s’exprimer et choisir en son âme et conscience.

Mahdi se tenait devant eux, plein de sollicitude, bras légèrement écartés, paumes vers le ciel, offertes, un humain s’ouvrant à ses semblables. Encore une fois, en face, un mur.

Estimant en avoir assez entendu, elle décida d’aller à la rivière pour nettoyer le plus gros de ses vêtements dans l’eau froide. Pas buvable, mais elle devait au moins pouvoir l’utiliser pour ça. Ils n’étaient pas très loin, juste dans la rue derrière. Personne ne faisant attention à elle, elle alla jeter un œil.

Les tremblements reprirent dans son ventre.

Des corps, certains présentant une face grotesque, aveugle, méconnaissable au ciel, d’autres conversaient avec les poissons, flottant au gré du courant, coincés dans une nage macabre au bout d’une encre de fortune, exemple du sort réservé à tout “étranger” de passage… Ou à tout voisin non-désiré qui se cacherait encore ? Au milieu des flots, de toutes ces victimes, toutes si différentes à ses yeux, elle retint l’image de cet homme, plus petit et plus maigre, mais même teint ébène, même masse de dreadlocks sur la tête, présentant son dos à la mort.

Des compagnons d’une autre unité de dragon les sortaient de l’eau.

— Et oui, comme tu vois, pas étonnant qu’on ait tous ces gens malades dans les autres quartiers. Ils ont dû boire l’eau de la rivière… lui expliqua l’un d’eux.

Combien étaient-ils ? Combien en avaient-ils froidement exécuté ? Malgré l’état de dégradation avancé de certains, avec les restes de liens, les marques, la constatation évidente arriva vite. Cette folie ne pouvait être imputable uniquement au choc du bouleversement de leur vie, ou de quelques messes aux belles paroles. Pour en arriver à un tel massacre organisé, l’idée devait couver depuis longtemps parmi ces braves gens. Et quoi que soit noté dans leurs livres de prières, ils n’en ont retenu que ce qui les arrangeait. Sa part d’ombre était tout de même curieuse de savoir quels “critères” autorisait qui pouvait faire partie des leurs, ou condamnait à subir un tel sort ? Comment définissait-il l’humain supérieur et l’humain inférieur ?

Lorsqu’elle réapparut près du convoi, elle tenait son arme à la main, prête à reprendre le combat.

— Entre vous, hein ? tonna-t-elle en fureur, s’approchant avec véhémence. Les monstres ! Mahdi, peux-tu vraiment m’affirmer que nous avons tué tous les coupables de cette barbarie ?

Rares furent ceux qui ne cherchèrent pas qui avait assené ce jugement, son roi et sa petite assemblée en premier plan, puis les autres, trop loin pour être intégré dans la conversation principale, tous stupéfiés par ses propos, surtout parmi leurs nouveaux contacts. Elle les fixait sans retenu, lui surtout, les défiant du regard, cherchant les coupables. Si elle les avait choqués, tant mieux. Car même s’ils n’avaient pas participé à ces exécutions, ils avaient fait un choix, celui de ne pas intervenir pour empêcher cela. Et ne pas agir, c’est déjà agir. Ils avaient laissé faire ! Comment accepter cela ?

Elle ne remarqua l’approche de Simon à son côté qu’au dernier moment, obnubilée par ses cibles. Elle n’avait même pas fait attention à son absence au côté du roi. Sous la surprise, et sous l’élancement de douleur qu’il provoqua lorsqu’il effleura son crâne, lui fut imposé un léger arrêt.

— Oucht… Pas très joli, ça…

Puis elle dut dévier de sa trajectoire, se retrouva emportée par son bras entourant sa taille, l’incitant à avancer dans une autre direction.

— Viens ici, toi. Tu es attendue, lui dit-il dans le même temps, d’un ton presque joyeux, faisant signe d’approcher à quelqu’un.

Pas le temps de se reprendre, encore moins de protester, car deux compagnons médics arrivaient en renfort, une énorme compresse atterrissant sur son crâne, pressant sa blessure. Simon la libéra de son arme.

— Laisse-la-moi, je m’en occupe pour toi. Non, mais tu as vu dans quel état tu es ? Allez oust ! Tu pars de suite avec les autres te faire soigner tout ça.

Une couverture encercla ses épaules, enveloppa sa peau, en coupant l’accès au vent frais s’étant levé durant la journée.

— En plus, tu es toute gelée, ma jolie.

— Mouais… Et ça sent la commotion tout ça, ajouta un autre agressant son œil humain.

Entre la masse tapant contre sa tempe et ces humains la piégeant de leur bienveillance, elle n’imprima pas bien comment elle avait réussi à marcher jusque dans le camion des médics, atterrissant assise sur une de leurs couchettes, comme si tout allait trop vite. L’un d’eux, la blouse d’un blanc éblouissant à ras des yeux, entreprit d’explorer l’étendue des dégâts, vérifiant autant le corps que le crâne, tout en l’inondant de questions. Elle grogna en voulant explorer par elle-même ce qu’il se passait là-haut, mais il repoussa sa main en douceur. Et il fallut bien le laisser faire sa procédure, de piqûre en couture. Pour supporter les sensations, elle s’enferma dans sa couverture. Une fois terminé, impossible de le persuader de la libérer. Il l’obligea à rester sur sa couchette. Que ce soit assise ou couchée, pour son bien, ordre de se reposer, et dans la foulée, feu vert au camion-infirmerie pour démarrer.

— Mais Bernard va me chercher !

— Te cherche pas des faux arguments, ils l’ont forcément mis au courant. Profite, des fois ça fait du bien de se faire chouchouter, lui dit Mathilde en riant, alors qu’elle la découvrait sur la couchette en face de la sienne, une fois son soignant éloigné.

Elle aussi, et comme les autres autour d’elle, présentait nombres d’hématomes, d’écorchures et autres blessures, certaines sérieusement profondes. Mais tous ceux dont la chaire avait été heurté n’étaient pas présents…

— Et oui. Comme tu vois, moi aussi. Je crois que je vais demander la même chose à Marc, ajouta-t-elle, sortant Tara du souvenir d’un craquement sinistre, désignant la protection de son bras droit, pour le moment abandonnée avec sa ceinture sur un chevet improvisé.

Le voyage, les chaos de la route, les virages, ne furent pas de tout repos. Mathilde ne le loupa pas, malgré le silence serré de Tara. Quand la nausée arriva, elle était déjà là, à ses côtés, armée du nécessaire, lui soutenant les épaules et les cheveux. La crise passée, faisant signe aux médics inquiets venus voir son œil humain de près qu’elle s’en occupait, elle la persuada de s’allonger.

— Quand je parlais de chouchouter, teste comme c’est doux, tu comprendras, lui dit-elle en l’invitant à se caresser la joue avec la couverture.

Elle ne put le nier, brusquement coupée de toute volonté, juste prise d’une irrésistible de se coller la tête en dessous et de dormir.

— Je vais te surnommer maman… dit-elle doucement à Mathilde.

— C’est cela, oui ! Tu vas pas t’y mettre, toi aussi !

Mathilde retourna s’installer sur sa propre couchette, restant d’abord les yeux rivés sur Tara, pleine d’attention, puis partant dans le vague un long moment, sur un ailleurs qui n’appartenait qu’à elle.

— Pourtant, tu… allait rétorquer Tara, avide de lui expliquer la sincérité du sens qu’elle appliquait, pour une fois symbole de beauté bienveillante, mais sans savoir pourquoi, elle préféra s’abstenir. Non, rien… Laisse tomber.

Elle somnola tout le long du voyage, le museau sous la couverture, atterrit à la communauté hôpital, resta sous surveillance, après quelques examens pour confirmer la gravité de ses blessures, retrouvant sa chambre des premiers temps, coincée dans un silence feutré, contraste soudain avec les derniers jours. Excepté les soignants ou entre soignés, il y eut peu de visites extérieures durant ces trois jours, ce qui ne l’étonna pas, et ne la gêna pas, vaincue par le sommeil impérieux et implacable inondant ses nuits et ses jours. Et quand Barbe grise fut annoncé, quand il se montra, elle était déjà prête. Plus agréable de profiter du village et de la forêt pour terminer sa convalescence.

Ce quartier resta fermé sur lui-même. Ayant leur propre réservoir d’eau, sûrs de leur fait, probablement par fierté aussi, ses habitants étaient persuadés de pouvoir tenir seuls. Et au début, cela marcha. Mais la sécheresse se mit de la partie. Sans qu’ils le veuillent, sans même qu’on ait à demander leur avis, ils reçurent de l’aide. Le réseau d’eau de la ville fut en grande partie réparé, et les stocks de la communauté se formant dans le quartier voisin, étrangement, toujours surestimés. Au fur et à mesure, désertions et rébellions s’enchaînèrent, celles de femmes excédées, de jeunes outrés, dévorés de jalousie, alors qu’ils découvraient le paradis juste à côté. Derrière les clôtures et les barricades les isolant du monde, ils découvraient des toits et des rues remplies de jardins foisonnants, verdoyants, d’enfants courant de joie, de gens respirant l’espoir et la prospérité, promesses de richesses qu’on leur avait toujours dit interdit, qu’ils croyaient devoir gagner par la force, en se révoltant ou en fuyant les leurs, en agressant et menaçant ces voisins qui leur avaient tout volé, les entretenait dans la misère. Quelle ne fut pas leur surprise quand la réaction aux armes tirées furent des tables ouvertes, des caisses et des réservoirs offerts, n’attendant qu’eux depuis des lustres.

— Mais nous n’avons pas d’argent ?

— Pas besoin d’argent. La Terre n’appartient à personne, donc à tout le monde. Tout ce qu’elle nous offre est autant à vous qu’à nous.

La vérité dévoila les mensonges, et un paradis qui leur tendait la main, sans à-priori, et sans rien attendre en retour. Certains firent le choix de revenir pour répandre cette vérité et transmettre aux autres la réalité qui les entouraient. Malgré tout, il fallut du temps, beaucoup de temps, avant que ces gens se décident à s’ouvrir au monde, et qu’une once de confiance puisse émerger entre les gens qui ont voulu y rester et le réseau initié par Mahdi et les siens. Ils retrouvèrent une communauté exsangue, au bord de la ruine et de la faillite. Au bord de la chute.

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