‘Passante’

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  ‘Passante’ est entrée dans la seule auberge du village. Parfois j’y fais de rapides visites pour prendre une tasse de thé ou de café. La porte tourne en grinçant. Quelques feuilles poussées par une soudaine bourrasque franchissent le seuil. ‘Passante’ s’est assise à une table. Elle boit délicatement un thé à la bergamote dont l’odeur se diffuse tout autour d’elle, la nimbant d’une plaisante fragrance. Je choisis une table guère éloignée de la sienne. Visiblement elle ne prête nulle attention à ma présence. Sur la table, elle a posé un livre dont je peux apercevoir le titre ‘Élégies de Duino’ de Rainer Maria Rilke. Une phrase me revient en mémoire. Serait-elle prémonitoire d’événements à venir dont ni ‘Passante’, ni moi, ne pourrions halluciner la forme ? Les choses sont si fuyantes, ici, sous cet horizon si bas, sous cette lumière d’opale ! :

« Il nous reste la rue d'hier

et la fidélité d'une habitude

qui s'étant plu chez nous,

n'en est plus repartie. »

   Mais de quelle ‘habitude’ sommes-nous investis ? Mon ‘habitude’ est bien réelle, ancrée à la lisière des dunes, avec pour finalité cette image d’Elle qui grésille sur l’écran flou de mes songes. Mais Elle, quelle ‘habitude’ sinon de marcher le long de la côte, de respirer les embruns venus du large, peut-être de méditer sur les malheurs du monde ? Pour elle j’ai autant de présence qu’un phalène succombant à sa propre curiosité sur la vitre d’une lampe. La ‘fidélité’ ne peut jamais se montrer qu’entre deux êtres qui décident d’unir leur sort, de faire route commune. Des destins qui convergent. Les nôtres, par la force des choses, ne peuvent que diverger.

   Je souhaiterais tellement que ‘Passante’, par l’effet de quelque curieuse transmission de pensée, puisse capter le rayonnement de mon désir. Non de la désirer, Elle, en son corps de chair, non. La désirer en tant que personnage de fiction, cette manière d’éternité dont se parent tous les rôles dont le roman est le support. Vous le dirais-je enfin, au risque de vous paraître bien éloigné du monde, de ses préoccupations, mes personnages de papier ont bien plus d’importance que ceux des Anonymes dont je croise le chemin, jamais je ne connaîtrai leur vie, leurs secrets, le suc le plus précieux qui les détermine. C’est ainsi, nous frôlons continûment des êtres sans nous y attacher, sans même percevoir ce qui en fait le rare, l’inestimable parmi tous les tourments de l’univers.

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