Dans les tuyaux

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Dans la vie, il nous passe parfois des idées saugrenues entre les oreilles. Je suppose que ma première profession résulte de ce télescopage de neutrons dans les synapses. Lorsque l'on me demande pourquoi j'ai changé de métier, et pourquoi je suis devenu asocial, il arrive parfois que j'en livre la raison essentielle. Tout cela tient au rapport entre humains et canalisations.

Dans une autre vie, j'étais plombier.

C'est un métier difficile. Pas seulement parce que l'on se tord comme un ver en exposant en partie la naissance de ses fesses pour aller voir dans des endroits incertains, image largement répandue dans l'imaginaire collectif et accréditée, d'ailleurs, par mes anciens collègues dont je me souviens davantage de la raie culière que du visage. Et franchement, dans l'équipe, on avait deux ou trois "faciès" à frémir d'horreur. Il me reste en mémoire plusieurs systèmes pileux expansifs et plusieurs furoncles mal placés sur le cul de mes coéquipiers que je ne suis pas près d'oublier. Cette viande pâle qui débordait des salopettes était parfois accompagnée de relents fétides que le temps n'a pas effacés de ma mémoire, car lorsque certains se penchaient, ils lâchaient un vent dans l'effort avec un "Scusez-moi" susurré du bout des lèvres. Tout le menu de la veille s'épandait sous forme de miasmes dans la salle de bain ou la cuisine dans laquelle s'accrochaient encore des odeurs de nourriture.

Le plus dur n'est pas non plus le fait qu'il s'agit d'un métier de force. L'horreur absolue est plus sournoise : elle se tapit sous les éviers, les lavabos, là où l'humain, bien malgré lui, laisse à voir ce qui relève du corps, de l'intime, ce que seul le médecin de famille sait parfois.

Rapidement, j'ai compris. On fouille dans cette crasse, dans ces recoins jamais nettoyés, on débouche des éviers, on en sort des paquets de poils, de cheveux agglomérés entre eux par une boue noire et fétide, tandis qu'un dépôt gluant reste là sous votre nez, accroché avec une sorte d'entêtement farouche au siphon ouvert, avant de s'écraser par-terre dans un bruit de diarrhée qui macule la cuvette. Et quand ce ne sont pas les éviers, ce sont les WC qui refoulent, les étrons qui surnagent dans la salle de bain ou dérapent sur le carrelage.

Le corps humain, dans ses boues, ses humeurs, ses sécrétions, se disperse dans les canalisations. Pourquoi les enquêteurs de la police finissent-ils toujours par fouiller là-dedans après un meurtre ou une disparition ? Parce que le sperme, le sang et la merde s'y côtoient.

Au bout de quelques années, l'assimilation entre le corps humain et la tuyauterie de la maison est devenu traumatisant. Un jour, j'ai craqué. J'ai vomi tout ce que je pouvais, et même ce que je ne pouvais pas. Il y en avait partout. L'idée que j'étais devenu une sorte de boucher-proctologue qui fouille dans les viscères au cours de colonoscopies symboliques et pourtant immondes m'a fait considérer la reconversion professionnelle comme une question vitale. J'ai donné ma démission dans la journée et je n'ai plus jamais touché à un siphon.

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