L'enfant de la forêt

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  Les oiseaux chantaient.

  L'aube était toujours animée dans la forêt. Dès que les premiers rayons de soleil perçaient entre les arbres, les volatiles gazouillaient joyeusement. La forêt reprenait des couleurs au printemps, et l'air était frais mais agréable. La jeune fille ouvrit les yeux. Elle serrait Abby, sa peluche, tout contre elle en enfonçant son visage dans l'oreiller. Cela ne dura que quelques instants, jusqu'à ce qu'elle ne se rende compte que le soleil se levait.

  Elle se redressa promptement, se frotta un oeil, puis elle bondit hors de son lit en dégageant la couverture d'un grand geste de son petit bras. Cécilia venait tout juste de fêter ses dix ans. Sa chevelure était d'un roux éclatant, gracieusement ondulée, et quelques tâches de rousseur constellaient ses pommettes. Ses yeux noisettes observaient la forêt par la fenêtre de sa chambre. Elle avait hissé ses genoux sur la commode pour mieux voir, elle n'était pas très grande pour son âge. Elle ouvrit la fenêtre pour sentir l'air frais sur son visage, et mieux entendre les petits passeris chanter !

  Descendant rapidement du meuble, la jeune fille courut en pyjama pour rejoindre la sortie. Elle bifurqua avant d'atteindre la porte, pour courir vers sa mère dans la cuisine. Dès qu'elle eut ouvert la porte de sa chambre, les délicieuses odeurs du petit déjeuner avaient titillé les narines de la jeune fille.

— Bonjour, Maman !

— Bonjour, Cécilia. Tu as bien dormi ? demanda sa mère en se penchant vers elle pour l'embrasser.

— Oui ! C'est bientôt prêt, Maman ? J'ai faim !

  Amusée, sa mère gloussa en acquiesçant.

— Bientôt, bientôt ! Tu as le temps de t'habil-...

  Elle s'interrompit en voyant que sa fille était déjà repartie en courant et ouvrait la porte.

— Met au moins tes chaussons ! ajouta-t-elle en levant un peu la voix, avant de soupirer en secouant la tête, un sourire ornant toujours ses lèvres.

  Cécilia était déjà dehors. Elle dévalait les deux marches en bois et ralentit ensuite, ses petits pieds nus foulant l'herbe jusqu'à s'arrêter. La petite était du genre rêveuse. Le lever du soleil était son moment préféré en cette période de printemps. Elle aimait la brise matinale, la sensation de l'herbe froide et humide sous ses pieds, qui contrastait avec la légère chaleur du soleil qui lui caressait le visage. Mais plus que tout, elle adorait le Chœur de l'aube. Sa maison se situait dans une petite clairière, et la jeune fille s'imaginait être au centre d'un immense théâtre de la nature. Son regard allait d'un arbre à l'autre, elle cherchait les petits oiseaux joyeux. Riant de son éclat enfantin, elle se mit à fredonner tout bas, puis plus fort. Cécilia accompagnait les oiseaux. Elle faisait partie du Chœur.

  Elle chantait gaiement, tournoyait en faisant virevolter sa chevelure cuivrée, qui brillait aux rayons du soleil. Sa mère la rejoignit et s'installa sur une souche d'arbre, comme chaque matin. La femme avait les cheveux plus sombres que sa fille, attachés en un chignon sauvage, mais elle avait les mêmes yeux, le même regard. La dame n'avait même pas encore la trentaine, et était naturellement douce et attentionnée. Son visage inspirait la confiance et le bien-être. Elle était rarement en colère. Une longue mèche rousse, un peu foncée, tombait devant son visage alors qu'elle avait la tête baissée. Elle accordait son instrument. Un beau luth à manche court, décorés de quelques motifs abstraits qui faisaient quelques courbes agréables à l'oeil sur le bois clair.

  Elle gratta les cordes une première fois en lançant un coup d'oeil à sa fille, puis une seconde fois, avant d'entamer une mélodie à la fois douce et dansante. Cécilia était fascinée lorsqu'elle écoutait sa mère jouer du luth. Elle l'observait attentivement, regardait ses doigts gigoter le long des cordes. Elle voulait apprendre. Mais pas maintenant. Voyant sa mère hausser les sourcils en souriant, l'air insistante, elle comprit. Cécilia rit et se mit à chanter. Ensemble, elles accompagnaient le Chœur. Cécilia était douée. Elle avait un talent inné, sa voix était éclatante, claire, douce, chaleureuse, et joyeuse à la fois. Sa mère avait été artiste par le passé. Son talent l'avait amenée à être musicienne à la Cour d'Alanthe. Aujourd'hui, elle ne faisait plus de représentations, mais jouait pour le plaisir, et surtout celui de sa fille.

  Sur la dernière note de la musicienne, Cécilia termina sur un ton doux. Ensemble, elles rirent et la jeune fille se réfugia dans les bras de sa mère. Elle avait froid. Restant quelques instant enlacées, l'artiste caressa les joues de la petite et lui embrassa le front.

— Tu chantes merveilleusement bien, Trésor.

— Tu m'apprendras à jouer du luth, Maman ? demanda la jeune fille en rougissant face aux compliments.

— Bien sûr. Mais pour le moment... allons prendre le petit déjeuner, mh ?

  Cécilia hocha vivement la tête et courut se mettre au chaud. Sa mère la suivait d'un rythme plus tranquille, en s'amusant de voir son enfant toujours plein d'énergie.

                                                                       . . .

  La pluie ruisselait sur la fenêtre.

  Une nouvelle journée commençait. Pas de chants d'oiseaux ce matin. Seulement le son continu des gouttes pianotant sur le verre. La jeune fille ouvrit les yeux. Elle serrait Abby tout contre elle, et remonta la couverture pour disparaître en-dessous. Cécilia n'aimait pas la pluie, qui la faisait se sentir triste. Elle faillit se rendormir, la peluche étroitement calée entre ses bras, quand elle finit par se redresser mollement. Elle se frotta un oeil, et écarta la couverture pour se lever.

  Ses petits pieds se glissèrent dans ses chaussons, et elle traîna des pieds jusqu'à la porte de sa chambre. En l'ouvrant, elle ne sentit pas les bonnes odeurs habituelles du petit déjeuner. La maison était étrangement silencieuse, et le temps morose rendait la maison sombre. Cécilia n'aimait pas non plus l'obscurité, qui lui faisait peur.

— Maman ? appela-t-elle d'une petite voix. Maman..?

  Restant sans réponse, la jeune fille s'inquiéta. Elle restait à regarder dans l'entrebâillement de la porte, son regard cherchant sa mère dans l'obscurité du couloir. Finalement, elle trouva le courage d'ouvrir davantage la porte et de sortir, marchant le plus silencieusement possible dans le couloir ténébreux. Elle serrait Abby, la petite peluche, tout contre elle pour se réconforter. En arrivant dans la salle à manger, elle ne vit pas sa mère. Il n'y avait pas à manger sur le feu, et la salle avait un aspect bien sinistre. Comme sans vie. Sans la présence rassurante de sa mère.

— Maman ! appela-t-elle encore, plus fort.

  Son souffle s'accélérait, et elle tordait le petit corps d'Abby tant elle le serrait dans ses mains. Elle courut vers la chambre de sa mère, et entra en trombe. Elle la trouva couchée dans son lit, mais elle ne réagissait pas. La jeune fille hésita, mais se décida à approcher. Elle vint secouer sa mère doucement. Elle ne se réveillait pas. Elle la secoua à nouveau, lâchant Abby qui roula sur le lit et tomba au sol.

— Maman, réveille-toi ! Maman ! Maman..!

  Elle ne se réveillait pas.

  Face à l'absence de réactions, la petite rousse la secoua encore plus fort, et commençait à avoir les larmes aux yeux. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait, et sentit sa gorge se nouer si fort qu'elle avait l'impression de s'étrangler. Son coeur se mit à battre si fort qu'il menaçait d'exploser, et la jeune fille finit par enlacer sa mère, se blottissant contre elle en la serrant de toutes ses petites forces. Elle posa sa tête contre sa poitrine, et se mit à pleurer, pleurer si fort qu'elle toussa. Elle n'arrivait plus à articuler le moindre mot, et ne savait plus quoi dire.

  Sa mère était tout pour elle. Bien qu'elle ne comprenait pas la situation, son instinct, lui, savait. Toute sa vie venait de s'envoler. Il n'y aurait plus personne pour lui préparer le petit déjeuner. Personne pour la réconforter lorsqu'elle est triste. Personne pour lui apporter la douceur dont elle a besoin, personne pour la guérir quand elle est malade, pour lui apprendre les choses de la vie, la conseiller, la consoler, la protéger, lui jouer de la musique, la complimenter. Il n'y aurait plus personne pour l'aimer. Sa vie venait de s'effondrer. Elle restait longuement à serrer sa mère, si fort qu'elle en avait mal aux mains.

  Elle sentait une douleur immense dans la poitrine, son coeur se déchirait, volait en éclat, et la petite se mit à hurler à s'en tuer la voix. Elle avait besoin d'exprimer sa détresse, d'évacuer sa peine. L'on n'entendait plus que les sanglots interminables de la jeune fille, et sa voix crier... jusqu'à ce que le silence revint. Cécilia s'était endormie, épuisée par ses propres pleurs.

  Lorsqu'elle se réveilla, elle mit quelques instants à réaliser que ce n'était pas qu'un mauvais rêve. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était là, mais son ventre criait famine, et elle avait mal à la gorge. Elle eut l'impression d'étouffer, et se remit à pleurer, mais cela ne dura pas longtemps. Elle reniflait bruyamment, et lâcha sa mère à contre cœur. Elle l'observa longuement, une dernière fois, puis elle se traîna hors du lit. Son pied heurta Abby, qu'elle ramassa pour la serrer contre elle. Elle allait partir, mais se retourna avant de passer la porte. Elle vit le luth de sa mère trôner fièrement sur son socle.

  Cécilia décida de le prendre. Il y avait un sac adapté à la forme de l'instrument pour le transporter. Elle le rangea maladroitement dedans, ferma le sac et passant la lanière autour de don torse, emportant le luth qui balançait lourdement dans son dos. Elle approcha sa mère, et lui embrassa le front tout en lui faisant un dernier câlin. Elle se dirigea vers la sortie, et adressa un dernier regard à sa mère, avant d'attraper quelque chose à manger dans la cuisine, qu'elle commença à grignoter tout en sortant. Elle descendit mollement les deux marches devant la maison, observant la clairière. Elle était parfois prise de sanglots, pleurant continuellement. L'herbe était inondée et boueuse, la pluie n'avait pas cessé.

  Elle gémit plaintivement, et se mit à courir dans la forêt. Le souffle haletant, elle foulait les hautes herbes, évitait les ronces, contournait les buissons. Elle glissait parfois en se rattrapant maladroitement, mais elle ne s'arrêta pas. Elle courait aussi vite qu'elle le pouvait, perdit un chausson, et son pyjama était trempé. Ses cheveux avaient perdu leur éclat, ils étaient sombres, raides, dégoulinants d'humidité. La jeune fille ne ressentait plus rien. Ni l'eau, ni le froid, ni les écorchures. Plus rien, sauf de la douleur.

                                                                          . . .

  Ses cheveux volaient au vent. Seule, abattue, elle errait depuis une éternité sur les sentiers de campagne d'Alanthe. Depuis qu'elle était partie, elle n'arrivait plus à chanter, ni à émettre le moindre son. Il faisait pourtant beau ce jour-là, mais tout paraissait grisonnant. Elle ne mangeait pas à sa faim, et était sale, un peu grelottante, peut-être malade. Elle finit par s'asseoir sur l'herbe au bord du chemin, et replia ses jambes vers elle. La jeune fille regardait le sol, recroquevillée sur elle-même, et se mit à pleurer.

  Cécilia était ailleurs, noyée dans ses tourments, quand elle sentit soudain une présence non loin d'elle. En soubresautant, elle tourna la tête vers la silhouette... Il s'agissait d'un jeune chien, qui semblait lui aussi l'avoir remarqué. Les deux se toisèrent un moment, semblaient hésiter, puis le chien approcha. La jeune fille eut un mouvement de recul, et se cramponna à sa petite peluche Abby. L'animal avait la queue qui battait légèrement, il semblait curieux et à dire vrai, il avait plus ou moins la même mine qu'elle. Intriguée, la petite rousse se laissa renifler, puis alors que le chien commençait à lui tourner autour et à lui lécher l'avant-bras, elle approcha une main timidement pour le caresser.

  Elle n'était pas habituée aux animaux de ce genre. De plus, celui-ci avait déjà atteint sa taille adulte et était plutôt grand. Il léchait les plaies de la jeune fille, qui s'était fait plus d'une écorchure depuis qu'elle errait sur les routes. Pour la première fois depuis longtemps, elle ne se sentait plus seule. Elle s'accommoda à la présence du chien et se montrait même plutôt enthousiaste, le caressant avec un peu plus de franchise. Le chien vint lui lécher le visage, et cela lui arracha une grimace qui dissimulait un petit sourire. Finalement, l'animal commença à s'éloigner, mais il lui lançait parfois des regards, ou s'arrêtait pour l'attendre. Elle le suivit.

  Elle commença à marcher, les yeux plus ouverts, les sourcils légèrement haussés. Elle fit demi tour pour ramasser son sac qu'elle manqua de laisser là, puis se mit à courir après le chien. Le vent semblait souffler plus fort comme pour la porter dans sa course, les feuilles d'automne tourbillonnaient autour d'elle, les oiseaux chantaient et volaient autour d'elle. Alors qu'elle suivait le chien, les couleurs réapparaissaient. L'herbe verte qui ondulait, les fleurs des prairies, les arbres au loin, les papillons, le ciel orangé... Le monde reprenait vie.

  Le chien aboya, Cécilia le suivait aussi vite qu'elle le pouvait. Elle grimpait une colline, avec un arbre à son sommet. Elle s'amusait à voir la nature se mouvoir autour d'elle, et le chien l'appeler, si bien qu'elle en riait. En haut, elle découvrit un pommier, et une multitude de fruits éparpillés dans l'herbe. Elle en lâcha ses affaires et se jeta à terre pour attraper un fruit et le dévorer, puis un autre, et encore un, avant de jeter une pomme pour laisser le chien courir après. Cécilia jouait avec lui autour de l'arbre, puis elle noya ses yeux noisettes dans la beauté des couleurs du paysage. Un magnifique coucher de soleil se donnait des teintes de bleu, de violet et de orange au ciel, plus rosâtre aux nuages, et assombrissait la silhouette imposante et majestueuse d'une immense et mystérieuse cité au loin.

  Lorsque la nuit tomba, Cécilia décida d'attraper son luth, et essaya de reproduire quelques notes. Cela sonnait faux, mais elle s'amusait de voir la tête intriguée de son compagnon animal, alors elle recommença plusieurs fois et se mit à fredonner l'air que sa mère lui chantait. Elle avait retrouvé sa voix. Le chien posa sa tête sur ses pattes avant, allongé près d'elle, et l'écoutait chanter. Sa voix enfantine était douce, agréable, profonde et mélodieuse. Elle s'accompagnait du chant des criquets et des bruissements de l'arbre.

— Je vais t'appeler Pomme ! Ça te va bien, gloussa-t-elle quand elle se lassa de chanter.

  Elle s'allongea dans l'herbe aux côtés de Pomme, près du pommier, et posa sa tête sur ses mains. Elle observait le ciel étoilé, rêveuse. Elle était fascinée par les étoiles, qui semblaient parfois dessiner des formes. Peu à peu, elle sombrait dans le monde des rêves en serrant Abby tout contre elle.

  Elle ne se réveilla que le lendemain matin, à l'aube, et avait désormais une destination. Cécilia dévala la colline en gambadant parmi les fleurs et les hautes herbes, et partit en sautillant vers le château avec Pomme... Vers de nombreux voyages et de nouvelles rencontres.

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