Chap. 3

9 minutes de lecture

Claire

Mardi 08 mars, 00h23, Hôpital CHU de Bordeaux

La lumière crue du plafonnier l’empêche d’ouvrir totalement les yeux. Et toujours ce mal de tête qui enserre son crâne comme un étau.

Autour d’elle, comme dans un rêve brumeux, elle sent des présences, de l’agitation. L’odeur inégalable d’un hôpital.

- Madame Delorme…

Une voix masculine. Puis ce bruit … de plastique…sur ma gauche… Qu’est-ce que c’est ?

Elle tourne la tête difficilement, distingue un homme flou en blouse blanche.

- Je suis où ?

- A l’hôpital de Bordeaux, je suis le docteur Figier. Vous êtes arrivée en ambulance après un coup porté sur la tête.

A gauche du médecin, une femme qu’elle voit floue également, parle à voix basse à celui-ci :

- J’ai tout ce qu’il me faut… Indique-t-elle tandis qu’elle termine d’emballer les vêtements et chaussures de Madame Delorme dans des sacs plastiques scellés pour analyses.

- Prévenez l’inspecteur Roche quand elle ira mieux, ordonne le médecin.

Prévenir qui ?

L’agent de la scientifique part rapidement, la porte de la chambre se ferme lentement.

- J’ai mal… Balbutie la patiente en portant sa main à son front.

Avec une voix aussi douce qu’une berceuse, le docteur Figier explique brièvement :

- C’est normal, vous avez un traumatisme crânien et vous devez vous reposer.

Ne vous en faites pas, avec le traitement que je vous ai donné, la douleur va s’estomper et vous pourrez dormir.

Pourquoi suis-je ici ? Que s’est-il passé ?

Claire veut des réponses à ses questions mais un violent mal de tête l’en empêche.

- Ne vous inquiétez pas Madame Delorme, déclare le docteur devinant l’inquiétude de sa patiente, tout ira mieux demain.

07 h 38

Le plateau du petit-déjeuner posé violemment sur la table de lit la réveille en sursaut, elle a tout juste le temps de voir une ombre rose disparaitre par la porte. Claire se souvient qu’un médecin lui a dit cette nuit qu’elle était à l’hôpital…. Et que son mal de tête allait passer. Mais il est encore là, moins virulent, mais toujours présent.

Elle tente de s’asseoir, mais se trouve trop lourde et fatiguée pour réussir seule. A son majeur droit, un tensiomètre relié à un moniteur. Elle sent aussi des électrodes sur sa tête et en fait le tour lentement à tâtons.

A quoi servent ces trucs ? Je dois les garder combien de temps ?

Puis elle touche son visage afin de vérifier si elle est blessée. Une douleur réveille ses pores abimés.

Mon dieu mais que m’est-il arrivé pour que ma peau soit si sensible ?

Soudain la porte de la chambre s’ouvre et un médecin en blouse blanche entre en souriant.

- Ah ! Madame Delorme, vous avez pu dormir ?

- Oui… Je crois.

- Je suis le docteur Figier, on s’est vu cette nuit. Comment vous sentez-vous ?

Assez grand, et doté d’épaisses lunettes noires, l’homme lui sourit gentiment.

Comment je me sens ? Je ne me souviens plus de rien, ni de pourquoi je suis là… J’ai la tête comme un compteur à gaz… comment devrais-je me sentir ?

Ce à quoi elle répond sobrement :

- Lourde et vaseuse.

- Tout à fait normal. Ajoute-t-il en commençant son examen par la lecture des moniteurs lui indiquant que la tension est bonne, et que l’activité cérébrale est satisfaisante.

- Qu’est-ce qui m’est arrivé ?

Le docteur commence sa consultation faisant face à Claire, lui demandant de suivre son index du regard.

- Vous ne vous en souvenez pas ? questionne-t-il l’air nonchalant.

- Non.

Toujours souriant pour la rassurer, le docteur Figier n’ose pas encore répondre. Il pose des questions qui lui semblent banales tout en examinant doucement la plaie sous le pansement de son front :

- Quel jour sommes-nous ?

Euh… Mardi… 08 ou 09 mars ?

Puis en examinant les bleus sur le visage de sa patiente :

- Ces affreux bleus disparaitront bien vite. Quel est votre nom ?

Des bleus ? J’ai dû me cogner sacrément fort pour me faire des bleus !

- Claire Delorme. Je me suis touché le visage tout à l’heure, je ne comprenais pas d’où venait la douleur…

Ignorant cette remarque il s’empare de son stéthoscope et écoute le cœur de la patiente sage et docile. Après quelques secondes, il demande encore :

- Quelle est la dernière chose dont vous vous souvenez ?

- J’étais à pied. Je sortais de mon domicile. J’avais un rendez-vous.

Replaçant son instrument acoustique autour de son cou, le docteur Figier laisse le temps à Claire de répondre. Mais il voit surtout que ses yeux se déplacent de droite à gauche, comme pour tenter de trouver une réponse écrite sur le lit ou sur le lino de la chambre.

- Oui ? C’est tout ?

Je ne sais plus… Mon dieu mais que se passe-t-il ?

Claire reste sans voix, elle tente de trouver dans sa mémoire les évènements qui lui font défaut mais rien ne vint. Le médecin, aux yeux marrons doux et attentionnés, s’assoit devant elle et explique avec tact :

- Voilà ce que je sais : les ambulanciers qui vous ont amenés m’ont dit que vous étiez sur une scène de crime et que…

- Quoi ! Une scène de crime ? Panique Claire en se redressant d’un coup. Mais… Qui ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Je n’en sais pas plus, l’informe-t-il en restant calme pour l’inciter à faire de même.

D’après les ambulanciers vous étiez inconsciente quand ils sont arrivés et pendant le trajet. On vous a fait un scanner. Vous avez un traumatisme crânien qui va guérir rapidement avec du repos et des médicaments. Votre perte de mémoire est normale. Avec du temps et du repos tout rentrera dans l’ordre.

Physiquement plus stable mais intérieurement anxieuse, Claire souffle bruyamment comme pour évacuer ses soucis.

- Je dois également vous dire qu’un lieutenant va venir vous interroger ce matin, il vous en dira plus.

Un lieutenant ? Pourquoi faire ? Il me croit responsable c’est ça ?! Mais je ne suis au courant de rien… Qu’on me foute la paix ! Je veux juste qu’on me foute la paix… J’ai tellement mal à la tête…

- Mais je n’ai rien à lui dire ! répond-elle paniqué. Je ne sais même plus ce que j’ai fait hier soir !

- Cela vous reviendra, prenez le temps de vous reposer.

- Me reposer ? Comment voulez-vous que je me repose ? La police veut m’interroger et je suis amnésique !

Elle serre les dents en se prenant la tête entre les mains.

- Madame Delorme, Claire… Ajoute le médecin en appuyant sur le bouton d’appel destiné aux infirmières. Restez calme et détendez-vous, c’est le seul moyen de retrouver les heures qui vous manque. Je sais que votre situation est très stressante, mais vous n’êtes pas seule.

Quelques minutes plus tard avec beaucoup de douceur et de patience, le docteur Figier parvient à apaiser la patiente afin qu’elle puisse manger et se reposer avant l’arrivée du lieutenant de police.

09h33

Claire a réussi à se rendormir après l’injection médicamenteuse de l’infirmière, et à présent ce sont deux voix d’hommes près de la porte qui la réveillent, en plus des bruits de couloirs ou de beuglements de patients. Un hôpital n’est vraiment pas un bon endroit pour se reposer. Elle a hâte de rentrer chez elle, au moins elle aura du silence ou pourra mettre une musique relaxante.

Elle ne distingue pas ce qu’ils se racontent mais reconnait la voix du docteur Figier. Logiquement il discute avec l’inspecteur chargé de venir l’interroger. Sans s’en rendre compte, ses ongles pianotent sur la table de lit, l’éventualité d’échouer aux questions lors de l’interrogatoire la stresse.

Je me demande ce que le docteur peut dire à cet inspecteur…

En effet, devant la porte, le médecin de Claire parle à voix basse avec l’inspecteur Roche. Grand et athlétique sous sa veste de costume, il a eu le temps de commander un café à la machine de l’étage et de le boire entièrement. A présent c’est la touillette qu’il grignote tout en écoutant les recommandations.

- Ne la brusquez pas Inspecteur Roche… Elle est fragile psychologiquement à cause de sa perte de mémoire, elle se sent amoindrie vous comprenez.

- Je comprends. Elle retrouvera la mémoire ?

- Oui, avec du temps et du repos. Vous la soupçonner de meurtre ?

- L’enquête est en cours, je ne peux pas répondre à cette question. Combien de temps…pour la mémoire ?

- Ça dépend des patients… Certains retrouvent la mémoire après un traumatisme similaire au bout de deux ou trois jours, d’autres au bout d’une semaine.

- Merci docteur.

Quand il entre dans la chambre, Claire est parvenue à s’asseoir sur son lit et à se recoiffer rapidement, machinalement. La lumière du jour entrant par la fenêtre la gêne encore, sans doute à cause du traumatisme, mais elle tente de ne pas grimacer, de rester présentable.

L’homme avance lentement en se présentant d’une voix sévère :

- Madame Delorme ? Bonjour, je suis l’inspecteur Roche. Je viens vous interroger au sujet de M. Michelet.

La veste qu’il porte ne parvient pas à dissimuler sa carrure athlétique. Il grignote une touillette tout en prenant des notes sur un calepin en cuir noir.

- Vincent Michelet ? De l’entreprise de transport Michelet ? Se renseigne Claire.

- Oui. Vous vous souvenez de lui ?

- Oui, on avait rendez-vous hier mais j’étais en retard. C’est lui qui est mort ?

L’inspecteur leve un œil sur Madame Delorme pour observer sa réaction à l’annonce qu’il lui fait sans ménagement :

- Oui et vous étiez dans son bureau au moment de sa mort. Lorsque les ambulanciers sont arrivés sur place, ils vous ont retrouvé inconsciente à côté du cadavre de la victime.

Le cœur de Claire stoppe sa course pendant une seconde, voire deux.

- Oh mon dieu ! s’exclame-t-elle en portant les mains à sa bouche. C’est impossible ! Je ne me souviens pas l’avoir vu…

- Quelle était la nature de votre rendez-vous ? Enchaine-t-il aussitôt en reposant les yeux sur sa page et son stylo.

- Pouvez-vous m’apporter un peu d’eau s’il vous plait ? La carafe est juste derrière vous.

Le lieutenant se retourne, se dirige vers la table du petit déjeuner.

- Tenez, dit-il en tendant le verre déjà remplit.

- Merci beaucoup.

Claire prend quelques secondes de repos pour boire son verre d’eau avant de continuer.

- Monsieur Michelet est un de mes clients. Je suis commerciale dans une entreprise de cosmétique… Explique-t-elle en laissant inconsciemment ses doigts taper sur la table de lit. Hier soir je devais lui montrer toutes nos nouveautés en matière de produit. Il choisit et à chaque fin d’année, ses salariés bénéficient de nos gammes à prix réduits.

- C’est une heure tardive pour un entretien…

Non mais pour qui il se prend celui-là !

Cette remarque pique Claire au vif. Elle rétorque sèchement pendant que ses doigts stagnent un instant :

- Qu’insinuez-vous inspecteur ? Que j’avais une relation intime avec Monsieur Michelet entre deux catalogues, c’est ça ?

Celui-ci feint de réagir et continue son interrogatoire.

- Quelle est la dernière chose dont vous vous souvenez ?

- J’étais à pied. Je pressais le pas. Dans l’après-midi j’ai mis à jour mes fichiers clients.

Je n’ai pas vu l’heure passée, je suis partie en retard de chez moi.

- Vers quelle heure ?

A nouveau ses doigts pianotent.

- C’est vague… Après dix-huit heures je crois puisque je finis généralement à cette heure-ci.

- Pourquoi vous êtes-vous disputés ?

- Nous ne nous sommes pas disputés. Enfin je ne crois pas… Je ne sais pas.

Voyant qu’elle va droit dans le mur, Claire essaie de reprendre les choses en main :

- Que s’est-il passé avec Monsieur Michelet ? questionne-t-elle, déterminée.

S’il a des preuves contre moi, je dois le savoir.

Voyant qu’avec ce genre de réponse il ne risque pas d’avancer, l’inspecteur Roche range son calepin, visiblement agacé.

- Ce qu’il s’est passé… C’est à vous de me le dire mais je crains que ce ne soit pas pour aujourd’hui. J’attends encore les résultats des agents scientifiques. Vous avez vu l’agent Martin hier soir ? Elle était chargée de récupérer vos effets personnels et de faire quelques prélèvements.

Claire le dévisage tout en enregistrant ses mouvements dans sa mémoire.

Il est charmant avec ses cheveux bruns courts et son bouc blanc naissant.

- Je crois que je l’ai aperçu, oui…

Le lieutenant se rapproche et désigne le pansement d’un signe de tête :

- Comment vous êtes-vous blessée au front ?

- Je ne sais pas ! S’exclame-t-elle le regard dur. Jusqu’à ce matin j’ignorais tout de ces bleus.

Pour Tom Roche, ça sonne la fin du premier interrogatoire. Il retire la touillette de sa bouche et la jette dans la poubelle proche de la table de nuit.

- D’accord…. Les indices seront plus bavards que vous… Je vous donne ma carte. Si la mémoire vous revient, appelez-moi on pourra s’aider mutuellement.

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