Un prénom
Il restait subsistait dans les murailles de la Citadelle Harmonique peu de citoyens capables de se remémorer l'époque antérieure au Décret. À vrai dire, il était même incertain qu'une telle ère ait réellement existé. Le flux implacable du temps avait le don de métamorphoser les hommes et les événements en récits légendaires. Comme le récit d'un itinéraire périlleux menant à un trésor insaisissable, les membres de la génération Harmonique se transmettaient ces contes énigmatiques, des histoires chuchotées dans les replis secrets des murmures clandestins.
Ces récits narraient l'existence d'un monde radicalement différent, bien avant que le décret d'imposition des noms communs ne soit promulgué par le Guide Suprême du Parti Éclairé. Les murmures se faisaient l'écho de temps où les prénoms résonnaient de leur propre musicalité, où l'identité était une symphonie personnelle plutôt qu'une cacophonie homogène dictée par des étiquettes uniformes.
Autrefois, le prénom racontait une histoire, d'abord celle des géniteurs, porteurs du lourd fardeau de choisir le marqueur identitaire qui accompagnerait leur enfant tout au long de sa vie. Le choix du prénom, première décision en tant que parent, racontait souvent une origine géographique, sociale, voire les fondements des croyances religieuses. Ces noms étaient des témoins de leur époque, parfois prisonniers des caprices d'une mode éphémère.
On se remémorait une ère où ce choix si crucial des parents pouvait influencer le cours de l'existence. Les prénoms aux consonances trop exotiques, évoquant la classe laborieuse, se voyaient parfois barricadés face à des portes d'opportunités fermées. Un prénom devenait une essence, un pouvoir qui pouvait être à la fois une faiblesse et une force colossale. Il suffisait de manier cet attribut avec une précaution extrême, car il était devenu bien plus qu'un simple mot, il était le reflet de l'individualité dans une société qui courrait vers son uniformisation.
Aujourd'hui, dans sa grande mansuétude, le Parti Eclairé permettait aux parents de ne déclarer le prénom définitif de leur enfant que dans sa troisième année de vie.
Un employé zélé du Bureau de Recherche Psychosociale avait un jour remplit un formulaire où était indiqué que l'enfant développait les premiers traits de sa personnalité propre à l'âge de trois ans. Quelqu'un de plus haut gradé avait reçu ce formulaire, l'avait probablement trouvé fort à propos et l'avait transmis au Bureau de Convergence Identitaire. Un illustre inconnu dont le grade dépassait certainement les plus hautes sphères de l'imagination humaine avait été quérir l'aval d'une personne à la sagesse et à la puissance inégalée pour prumulguer l'Amendement N° 4521-SC : Reconnaissance de l'Individualité Enfantile.
Amendement N° 4521-SC : Reconnaissance de l'Individualité Enfantile
Par la volonté du Parti Éclairé et en vue de perfectionner l'identification des citoyens au sein de la Citadelle Harmonique, un amendement au Décret d'Imposition des Noms Communs est émis, stipulant ce qui suit :
Article 1 : Reconnaissance de l'Individualité Enfantile
1.1 Le Parti Éclairé, à la suite d'investigations approfondies menées par le Bureau de Recherche Psychosociale, reconnaît officiellement que chaque enfant commence à développer une personnalité distincte à partir de l'âge de trois ans.
1.2 Cette reconnaissance s'aligne sur les principes fondamentaux du Parti Éclairé qui célèbrent l'individualité et cherchent à harmoniser les lois avec les découvertes scientifiques relatives au développement humain.
Article 2 : Report de la Déclaration Officielle du Nom Commun
2.1 Désormais, conformément à la reconnaissance susmentionnée, la déclaration officielle du Nom Commun de tout citoyen ne sera pas requise avant l'âge de trois ans.
2.2 Les parents ou tuteurs légaux auront la possibilité de choisir et déclarer le Nom Commun de l'enfant à partir de son troisième anniversaire. Jusqu'à cet âge, l'enfant sera identifié temporairement par un numéro d'enregistrement délivré par le Bureau de Convergence Identitaire (BCI).
Article 3 : Mise en Œuvre
3.1 Les autorités compétentes, en particulier le BCI, devront mettre en place les procédures nécessaires pour la gestion temporaire de l'identification des enfants avant l'âge de trois ans, incluant le suivi des numéros d'enregistrement.
3.2 Les parents ou tuteurs légaux seront informés de ce changement via des communications officielles émanant du Parti Éclairé, accompagnées des directives spécifiques pour la déclaration officielle du Nom Commun à l'âge de trois ans.
Article 4 : Entrée en Vigueur
4.1 Le présent amendement entre en vigueur immédiatement à la date de sa publication officielle.
Fait à Citadelle Harmonique, sous le sceau du Parti Éclairé, ce jour [Date], en accord avec la volonté du Peuple et l'éclatante prospérité de la Société Parfaite.
C'est ainsi que jeune citoyen 1-CH-00087654B devint Ciel lors de son troisième anniversaire.
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