Qui est X-Ray ?
Plusieurs souvenirs récents me préoccupent. Mes recherches de ces derniers jours ne cessent de nourrir mes doutes. La réalité semble fondée sur des mensonges. Et à mesure que je reprends des forces, j'envisage l'avenir avec une plus grande clairvoyance.
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En accédant aux données spécifiques de ma propre agence, je découvre le parcours personnel de tous les membres des services actions. Et en particulier celui de la directrice X-Ray. Cependant mon niveau d'habilitation limite mon champ d'investigation. À l'écran défile tout un panégyrique, de nombreuses photos, des articles de presse et des fiches internes.
J'apprends ainsi qu'elle serait d'origine sino-asiatique.
Sa famille réside sur le continent nord de l'Amérique dans l'ancien Canada. Très jeune, militante, elle devient membre du parti unique chinois. Formée au sein du Guoanbu, le ministère de la Sécurité d'état de la République de Chine, elle grimpe très vite dans les échelons et tient par la suite plusieurs postes d'attachée en ambassade. Ce qui revient à dire qu'elle agit en tant qu'espionne.
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La navigation informatique me plonge dans l'histoire récente de notre civilisation.
Après deux conflits mondiaux, une période dite de Guerre froide, la chute du mur de Berlin, une sorte de statu quo après l'écroulement d'un système communiste, une période de Guerre chaude voit le jour. Dépassant l'opposition traditionnelle des grands blocs. Un peu partout sur la planète, des pays s'affirment dans un leadership, écrivant au passage un nouveau narratif historique et revendiquant d'autres frontières.
Les démocraties s'inclinent devant un nouvel ordre mondial.
En coulisse se jouent des luttes d'influences, des pressions, des supplices, des emprisonnements, des échanges de prisonniers voire, des assassinats ou des exécutions sommaires, dont certaines en place publique.
Avec la disparition des états-nations au début des années 30, contraints et forcés suite au Grand Silence de 2028, une nouvelle organisation de la Terre vise à mutualiser toutes les énergies politiques et sociales. Et ce qui semblait depuis si longtemps impossible, finalement se produit avec une certaine singularité, ouvrant à la création d'une Agence de renseignement mondiale.
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Revenant sur mes recherches relatives à X-Ray, j'imagine qu'elle nourrit des ambitions personnelles : gouvernorat, poste de diplomate, supervision scientifique sur l'une de nos lunes ou bien la direction d'une des colonies de Mars. Il faut que je puisse en savoir davantage sur son passé récent.
Pour cela, je dois grimper dans la hiérarchie. Et l'alternative semble simple car la promotion prendra inévitablement du temps. Alors je dois saisir l'opportunité de me rapprocher d'un agent de grade plus élevé au sein-même de cette antenne. Bien qu'en apparence isolée du monde, elle si situe à quelques encablures du Détroit de Béring. Il doit être possible de sympathiser avec des leaders d'équipes, venant de tous les continents, et d'en apprendre davantage sur notre organisation.
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Je m'intéresse aussi à l'exécution présumée de ma famille.
Je m'aperçois que je ne fais pas le deuil de leur disparition. Je reste persuadé qu'on a liquidé ma femme et mes deux filles. Par des sicaires de l'Ombre. Et en même temps, je ressens l'espoir secret qu'elles soient toujours vivantes. Ne serait-ce que pour faire peser sur moi mon engagement initial. Par une sorte de chantage permanent.
J'accède aux fichiers de la mémoire flash que j'ai récupérée quand nous séjournions aux Maldives.
Je sens mes émotions monter et ma gorge se nouer alors que je commence à revisionner toute la scène sans interruption. Mon côté professionnel reprend mlgré tout le dessus et j'effectue des arrêts sur image et des captures d'écran.
Cela me permet de zoomer sur des détails relatifs à l'agencement des locaux dans lesquels se situaient la scène : des pièces compartimentées avec des cloisons transparentes, sans doute des pièces à usage de bureaux. Mais pas de mobilier, ni d'accessoires. Des blocs de prises électriques sortant d'un plancher technique. Des fenêtres obscurcies par des stores. Un immeuble en ville.
Des locaux professionnelles à louer.
Je revois aussi leurs visages, remplis de larmes et je lis leur inquiétude et même leur effroi. Leurs cheveux paraissent filasse et plusieurs parties de leur corps se constellent de trainées sombres et d'ecchymoses. Elles portent curieusement toutes les trois des lunettes.
Alors Je découvre l'impensable.
En zoomant, je distingue dans les verres pourtant rayés et sales, le reflet de l'objectif d'une caméra qui filme la scène, posée sur un trépied. Et plusieurs individus en arrière-plan qui assistent à la scène. Un drapé poussiéreux et ondulant émane d'un puits de lumière qui éclaire en partie les visages.
Charlie maîtrise davantage que moi la vidéo.
Obnubulé par ce que je découvre, je fais appel à mon collègue en lui demandant de me rejoindre avec son portable dans ma chambre.
- Salut.
- Salut. Désolé de te déranger. Mais je n'arrive pas à me détendre. Il faut que j'en ai le cœur net. Tu veux bien télécharger ces images sur ton propre PC.
- Passe-moi ta mémoire flash.
- Attends, je fais d'abord une copie. On en sait jamais. Ok, c'est fait. Tiens !
Très vite, elle tente d'améliorer la luminosité et le contraste sur les visages à l'aide d'outils de traitement d'images. Et bien que le zoom pixelise la qualité, les quelques aménagements nous permettent très vite d'identifier en partie les individus qui semblent être les commanditaires de cette mise en scène.
Je distingue alors de façon assez précise X-Ray, ce qui ne me surprend qu'à peine. Pourtant cela me produit un violent coup au cœur et une boule dans l'estomac. Même Charlie n'en revient pas. Avec la directrice, on distingue deux autres personnes, un individu à la mine plutôt patibulaire et plutôt corpulent et à leurs côtés, il semble que ce soit l'opérateur, bien frêle et sans grande envergure. Je ne connais pas l'identité de ces deux individus.
Mais je ne vais pas les oublier de sitôt.
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Une fois seul à nouveau, et suite à cette découverte, je me sens bouleversé.
Alors je prends la décision de réunir toute l'équipe et de leur exposer les derniers évènements suite à notre mission en Islande. Ils doivent savoir ce que je traverse. Et peut-être en apprendrai-je davantage les concernant.
L'air plutôt clément augure d'une belle journée lumineuse. Le ciel offre un écrin azuré à toute la région au-dessus de la forêt de résineux. Un temps idéal pour sortir. Je leur propose une randonnée en traineau vers un lac glacé des environs. Mon idée consiste à nous isoler pour pouvoir échanger entre nous à l'abri des regards et des écoutes éventuelles.
Au milieu des résineux géants, dans un décor extraordinaire, on dresse un bivouac de fortune pour passer qqs heures. Les chiens à peine fatigués par le trajet, formidables compagnons de voyage, se creusent un gîte dans la neige et se mettent en boule à l'intérieur. Une plainte, des oreilles qui bougent, un changement de position, un regard perçant. Bien qu'assoupis, ils se montrent toujours vigilants.
En quelques mots je résume la situation me concernant depuis toutes ces années et surtout ces derniers mois. Je n'élude aucun secret personnel et je lis dans les regards, l'intérêt qu'ils me portent. Enfin je finis par exposer mes certitudes bien qu'elles ne reposent que sur des apparences.
- Je ne sais pas qui est l'Ombre. Mais lui me connaît.
- Sans déc', réagissent-ils d'une seule voix.
- Il connaît l'agence, la directrice et détient des images d'une mise en scène de prise d'otages.
- De qui s'agit-il demande Bravo.
- Ma femme et mes deux filles, dis-je avec une profonde émotion que j'ai du mal à dissimuler. Sans doute veut-on faire pression sur moi avant une prochaine exécution. À moins que ce ne soit déjà le cas.
- On en est tous là ! rebondissent alors Echo et Delta.
Je reçois leurs réactions spontanées et de concert comme un coup de poing.
Les membres de mon groupe traverseraient aussi des évènements violents et intenses, peut-être similaires à ceux que j'éprouve depuis plusieurs années. En dehors de l'aspect tactique et opérationnel, je réalise que je ne sais que bien peu de chose sur leur compte respectif.
- Ma nouvelle identité est à présent une illusion, dis-je en montrant sur mon portable les images extraites de la vidéo. Grâce à Charlie, je sais que la patronne est dans le coup. En tout cas, elle est présente sur les images.
- Difficile de savoir si c'est de son plein gré et si c'est elle qui en est l'instigatrice, ajoute Charlie comme pour relativiser les choses.
Je la dévisage puis je balaie de mon regard notre cercle autour du feu.
- Et alors que je cherche désespérément à payer ma dette envers la société et surtout l'institution judiciaire, elle tramerait des choses dans mon dos. Mais je ne suis sûr de rien.
Je lis de l'assentiment et de la compassion sur leurs visages animés par les flammes.
- Et je ne vois pas l'intérêt pour l'Ombre de tenter de me recruter. Je me dis que c'est un stratagème. Une sorte de test tordu pour me déstabiliser. Le genre de truc pour vérifier ma fiabilité et ma loyauté envers l'agence !
Un silence profond suit mes propos alors que chaque esprit se perd dans les lueurs dansantes du braséro à hydrogène.
- Alors je me dis qu'on pourrait être cash, les uns envers les autres.
Ils semblent tous convaincus de la chose.
- Alors, vous en pensez quoi de tout ça ?
Alors que le soir tombe sur la forêt et le lac gelé, nous décidons d'établir un campement pour la nuit. Une fois bien installé et après un repas agréable et les chiens nourris, je propose que chacun, à tour de rôle, évoque alors son passé et se dévoile en quelque sorte, juste sous les étoiles bienveillantes dans un ciel d'encre.
=O=
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