Dix-huit.

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Ma mère souhaite absolument célébrer mes dix-huit ans, avec repas spécial, gâteau et bougies. Nous fêtons habituellement peu ces moments-là et elle a bien dû en oublier deux ou trois depuis ma naissance, les autres étant en général l'occasion de recevoir un cadeau choisi au dernier moment, destiné à finir dans un tiroir.
— Hors de question de fêter mon anniversaire chez vous, avec ton amant. Ses blagues de macho, je ne supporte plus. De toute façon, je ne suis pas libre samedi soir, je sors avec des amis.

Je mens bien sûr avec aplomb. Lola, ma seule amie est absente ce week-end, je n'ai rien de prévu. Mais, au téléphone avec ma mère, c'est facile de louvoyer.

— Mais non mon chéri, je ne pensais pas à ça ! Juste toi et moi, nous pourrions aller au restaurant.

Son enthousiasme est artificiel. L'idée de passer deux heures en tête-à-tête avec elle à subir ses questions en inventant des réponses acceptables me donne la nausée.

—Écoute, si tu le veux, viens à l'appart vendredi soir. Nous boirons un verre en grignotant des trucs. Mais je dois me coucher tôt, j'ai cours samedi matin, tu sais.

Elle finit par approuver. Au fond, elle semble ravie de cette proposition.

— D'accord, mais je m'occupe de tout : champagne et petits fours.

Comme si des bulles et des sucreries pouvaient effacer le fossé qui s'est ouvert entre nous ces dernières années, ranimer un faux-semblant de communication, un peu d'amour même... Je n'y crois pas, mais je fais comme si. Je lui donne rendez-vous à dix-neuf heures, lui assurant que je serai là. Bises et rebises, façon carte postale.

Le vendredi après-midi, je range soigneusement l'appartement, traquant les éléments de lingerie qui auraient pu être oubliés, passe un coup d'aspirateur. Je mets en lieu sûr mes vêtements dans des cartons que je glisse sous mon lit.

À l'heure dite, elle sonne à la porte, même si elle a ses clés, je trouve ça délicat. Elle a bonne mine, habillée avec goût, sa récente condition de bourgeoise lui profite. J'en suis étrangement satisfait. Pendant qu'elle me parle – elle me raconte une anecdote sur la circulation qui est in-fer-na-le, j'admets qu'elle n'a pas eu une vie facile non plus. Abandonnée, obligée certainement de céder à des avances d'hommes qu'elle méprise pour des promotions-canapé misérables. Mon égoïsme, moi qui suis autocentré sur mes petits problèmes depuis des années, me dégoute subitement.

Je la prends dans mes bras dans un câlin spontané qui la surprend autant que moi. Nous sommes légèrement embarrassés tous deux quand nous nous séparons, ni elle, ni moi, n'osant rompre le silence. Elle fait diversion en sortant une bouteille de son sac et la pose sur la table. Une boîte de gâteaux suit bientôt, qu'elle garde en main.

— Je t'ai fait un cadeau, aussi.

— Des petits fours ? Quelle bonne idée !

Mon persiflage inutile semble la peiner. Je le regrette aussitôt.

— Je suis sérieuse, j'ai une surprise pour toi. Mais je me demande si...

J'ai l'habitude des déceptions, mais je me retiens de le lui dire. D'un sac laissé près de la porte d'entrée, elle sort une boîte blanche fermée par un couvercle rose, maintenu par un gros nœud de satin de la même couleur. Dans cette cuisine minable, c'est carrément déplacé.

— Bon anniversaire, mon chéri, sa voix se brise un peu, elle a les yeux brillants et les joues écarlates.

Je défais sans plaisir la boucle et regarde le contenu du carton. Je dois m'asseoir, je pose son cadeau sur la table, m'approche d'une chaise, les jambes soudainement faibles.

— Tu comprends, je sais tout, je viens souvent ici en ton absence. Oh, pas pour te surveiller, juste pour m'assurer que tout va bien et que tu ne manques de rien.

Elle parle très vite, elle est contre moi, sa main sur mon épaule, avec une tendresse pourtant tarie depuis longtemps.

— Un jour, j'ai vu toute cette lingerie, le maquillage... j'ai compris. Je m'en doutais, mais je n'ai jamais voulu ouvrir les yeux, échanger avec toi. Peur de te blesser, ne pas avoir les mots. Pire, me tromper et te faire plus mal encore. Je ne pouvais plus parler, plus te parler... si tu savais comme je regrette. C'est ma faute, c'est moi...

Elle fond en larmes, je regarde de nouveau au fond de la boîte le cadeau qu'elle m'a fait : une jolie paire d'escarpins rouge vernis avec des talons hauts.

Je reprends mon souffle alors qu'elle passe son bras autour de ma poitrine, sa joue humide sur mon cou.

— Rien n'est ta faute, maman. Je suis ainsi, tout va bien. Je ne sais pas trop où je vais ni comment m'y rendre, mais je me sens bien comme ça. Tu n'y es pour rien.

J'ajoute, parce que son revirement soudain est quand même dur à avaler :

— Mais tu aurais pu ... me soutenir plus tôt, au lieu de faire l'autruche.

Je me lève brusquement, la laissant interdite. Je retire l'élastique qui tient mes cheveux en arrière, en les ébouriffant un peu, j’enlève mon sweat. Torse nu, je dégrafe mon pantalon pour découvrir l'ourlet d'une culotte tanga de microfibre noire satinée, ourlée de dentelle.

— Tu croyais vraiment que j'étais un type viril, pendant toutes ces années ?

Je me rassois et à mon tour, éclate en sanglots. Elle tombe à genoux, m'enlace la taille, nous pleurons ensemble, douleur sans paroles.

— Si tu savais comme je t'aime, mon petit Léopold.

— Dine..., maman. Léopoldine. Tu peux le dire de nouveau. Estelle m'a tout raconté, la période où j'étais si belle ; les passants me prenaient pour une petite fille. Tu ne les détrompais pas alors.

— Ma chérie... Je ne sais plus qui tu es... souffle-t-elle.

— Mais moi non plus, je ne sais pas ! J'aime les femmes, mais j'ai l'impression de les duper, de ne pas pouvoir être... Je déteste les hommes, je les trouve trop sûrs d'eux, alors que ce sont des petits garçons gâtés... mais j’apprécie découvrir du désir dans leurs yeux. Je suis faible et forte aussi quand je me sens fille. J'ai honte et suis fier à la fois. Je ne peux pas choisir, pas maintenant.

Ma mère s'est redressée.

— Tu as toujours été ainsi. J'ai essayé de te protéger, discrètement, je ne souhaitais pas t'orienter. Tu étais un enfant hypersensible. Tu tiens tellement de ton père... L'histoire des culottes de ta sœur que tu portais parfois, si tu savais comme je m'en suis voulu... Pardonne-moi.

Nous restons un moment sans parler. J'ai l'impression que tout est dit, et que cela efface toutes ces années gâchées, tous ces silences qui ont gangrené nos vies.

— Elles sont très belles.

— Comment ?

— Les chaussures. Elles me plaisent beaucoup.

Elle se met à rire, alors je ris aussi, carrément nerveusement.

— Tu ne veux pas les essayer ?

Je me lève, sors les escarpins de leur boite et les enfile rapidement. Je prends dix centimètres d'un coup.

— Avec ton pantalon, on ne voit rien. Retire-le, enfin !

Je dois avoir un air gêné, elle s'excuse presque.

— Tu sais, je t'ai déjà observé tout nu. Et depuis longtemps.

Je quitte la pièce pour rejoindre ma chambre. Je suis de retour quelques minutes plus tard. J'ai enfilé une paire de bas noirs, les escarpins rouges sont mis en valeur par le contraste. C'est joli. La culotte plaque mon petit sexe contre mon pubis.

Elle pose sa main sur mes fesses avec tendresse.

— Tu es superbe, ma chérie.


Extrait de : De : Léopoldine. Objet : Votre soumise, chap.3

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