Fin de partie.

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J'ai besoin de deux heures pour me remettre d'aplomb, réparer les outrages sur mon corps. Je me laisse tremper un long moment dans l'eau chaude avec des huiles apaisantes, puis masse mes fesses, mes cuisses rougies, avec toutes les crèmes que je peux trouver. Je m'enroule dans un nouveau peignoir, reviens dans la chambre. Mat est parti. En évidence sur un guéridon, la carte de la voiture et un mot laissé sur le papier à lettres de l'hôtel.

C'était merveilleux. Mat.

Le laconisme et l'absence de sentiments sont typiquement masculins, mais je souris, satisfaite.

L'heure suivante est consacrée à un brushing rapide, maquillage, habillage avec les vêtements que j'avais mis sur cintres hier, après les avoir défroissés en les suspendant au-dessus de la baignoire remplie d'eau chaude. Ce n'est pas impeccable, mais je ne donne pas l'impression d'avoir dormi avec ma jupe, c'est déjà ça.

Il est presque midi quand je sors de ma chambre, trainant mes deux lourdes valises sur leurs roulettes. L'ascenseur me dépose directement au parking situé derrière l'hôtel. J'en profite pour changer de chaussures, choisissant de belles sandales à talons hauts, avec une bride sur la cheville. À travers le nylon transparent de mes bas, mes ongles fraîchement vernis de rouge se laissent deviner bordé du cuir noir du soulier. J'adore, tout cela m'a manqué !

Une dernière retouche sur lèvres, contrôlée dans le rétro intérieur, une paire de Gucci aux verres fumés sur le bout de mon nez, je quitte ma voiture. Un porte-documents de cuir mauve, tenu serré contre ma poitrine, me donne une contenance. Sous ma tenue classique jupe, blazer gris et chemisier blanc, je porte un body sculptant très gainant, qui affine ma taille. Je n'aime pas vraiment porter des prothèses en silicone, mais il fallait bien remplir les satanés bonnets B du body !

Arrivée dans le hall, je contrôle ma silhouette. Les nombreux miroirs qui tapissent les murs me renvoient l'image de cette jeune femme chic, l'air très occupé, qui se dirige d'un pas sûr vers l'accueil.

Éléonore est en poste à cette heure, son visage incliné vers l'écran de l'ordinateur qu'elle consulte. À mon arrivée, elle relève la tête, alertée sans doute par mes talons qui claquent légèrement au sol.

— Bonjour, Madame, que puis-je pour vous ?

Elle est si belle et souriante que mon coeur s'affole un instant. Elle ne m'a pas encore identifiée, mon regard derrière des verres fumés, ma coiffure, mes boucles d'oreilles et mes lèvres brillantes...

— Bonjour. Vendez-vous des confiseries ? Sucettes ? Chupa-Chups ?

Son regard s'éclaire et sa bouche s'arrondit.

— Oh ! Léopol... Léopoldine, ma chérie ! Excuse-moi, je ne t'avais pas reconnue avec ces lunettes !

Elle se contrôle avec maestria, contourne le comptoir et me prend dans ses bras, embrassant mes joues. Elle s'empare de mes mains, me tirant vers une porte proche.

— Si longtemps que nous ne nous sommes pas vus, dit-elle d'une voix destinée à être entendue. Quelle surprise ! Viens avec moi dans le petit salon, parle-moi de toi.

Nous nous enfermons dans la salle réservée au personnel, une pièce presque vide, sinon un petit canapé et une table basse. Elle colle sa bouche à la mienne, nous échangeons un long baiser.

Elle respire vite, prend une longue inspiration.

— J'ai eu envie de toi toute la matinée, je ne pouvais pas penser à autre chose, me dit-elle. J'avais envie de tes caresses.

Elle baisse les yeux, faussement pudique.

— Tellement, que j'ai dû aller me caresser dans les toilettes, tout à l'heure !

Elle glisse deux de ses doigts entre mes lèvres, je reconnais leur parfum.

— Éléonore, nous n'avons plus le temps... Nous reverrons-nous ? À la rentrée ? Je sais que ta fac est en province, mais je peux me déplacer comme je veux, je peux travailler à distance.

Elle a l'air soulagée, peut-être avait-elle peur que je l'oublie ? Si elle savait...

— Oh oui, je suis bloquée ici tout l'été, mais dès septembre, au lieu de retourner chez mes parents en attendant le début des cours, je peux rejoindre mon studio. Ce n'est pas grand, mais c'est très cosy, tu verras !

Nous échangeons fébrilement nos coordonnées. Elle glisse sa main sous ma jupe, remontant le long de mes cuisses jusqu'à mon sexe bien évidemment contraint. Elle me caresse à travers le tissu serré du body.

— Je te promets de te la faire oublier, cette Nathalie.

Nous rejoignons le hall, je règle mon séjour. Éléonore a les yeux brillants, je ne veux pas me mettre à pleurer aussi, je dépose un baiser sur sa joue et pars avec un petit signe amical, comme deux amies qui se séparent pour une courte durée.

...

Je sors par l'entrée principale et j'aperçois Claire et Mat, installés à une table à la terrasse de l'hôtel. Ils doivent m'attendre. Elle déguste à la paille un cocktail, Mat semble s'agripper à son verre de whisky. Ils ne se parlent pas. J'emprunte une chaise à proximité et m'assois en croisant les jambes, découvrant une bande de peau nue à la lisière des bas. Avant qu'ils n'aient eu le temps de réagir, j'ôte mes lunettes et souris.

— Ne me dites pas que vous m'avez déjà oubliée, petits ingrats !

Claire a un moment de latence, puis éclate de rire. Mat reste pétrifié, la bouche ouverte.

— Eh bien, Mat ? Ma présence ne te fait pas plaisir ?

Je déboutonne légèrement mon chemisier, passe la main dans mes cheveux, mon index évolue lentement sur ma joue pour terminer sa course entre mes lèvres. Je souris à Claire, cligne de l'œil en direction de Mat

— Ne tournons pas autour du pot. Sans rentrer dans les détails, je vous laisse le soin de le faire entre vous, vous savez désormais qui je suis. J'aime diverses... combinaisons avec les hommes et les femmes qui aiment aussi mélanger les genres. J'ai à présent la preuve que c'est probablement votre cas. Peut-on se revoir ? Je ne sais pas. Mais, le cas échéant, mes conditions sont simples. C'est tous les trois, ensemble. Peu importe mon rôle, peu importe la manière dont vous userez ou voudrez abuser de moi, je veux être au milieu, soumise à vos désirs. En contrepartie, j'estime avoir le droit d'être satisfaite par vous, concernant mes... pulsions. Ce ne sera pas simple. Mais je peux vous aider à vous retrouver, donc nous jouons tous gagnants.

Silence et regards fuyants. Ils n'avaient pas prévu ce scénario.

— Donnez-moi votre carte si vous pensez vouloir tenter l'expérience, je vous contacterais peut-être, si je n'ai pas changé d'avis entre temps. Le sexe, c'est compliqué de faire simple, n'est-ce pas ?

Je prends le verre dans les mains de Mat, qui n'oppose pas de résistance, y trempe mes lèvres, laissant une marque.

Claire ouvre son sac à main, en sort une feuille, quelle griffonne puis me tend.

— Je crois que Mat ne se remettra jamais de sa matinée avec toi. Il ne nous reste plus que cette solution.

Je les embrasse tous deux sur la bouche, pars sans me retourner.

...

Assise dans la voiture, je reste cinq bonnes minutes, les mains sur le volant, à ne rien faire. Cet ridicule succès m'apparait désormais comme un échec. Cet absurde fantasme avec Claire et Mat ! Un projet stupide, destiné à se briser rapidement sur la réalité : ma soumission toujours active à Nathalie.

Je tamponne légèrement mes yeux qui s'embuent. Il y a une autre réalité qui se nomme ... Éléonore. Bien sûr, je pourrais rester avec elle, mais cela ne serait que reculer l'échéance. Je dois officialiser la rupture, tirer un trait sur ma vie passée. Rien ne sera possible avant.

En Drive, la voiture s'arrache lentement du parking, je roule au hasard, je ne regarde pas les panneaux routiers, espérant sans doute trouver l'autoroute par accident. Deux fois que je passe devant cette station-service, je tourne en rond. Clignotant, je décide de faire le plein et de laver cette voiture poussiéreuse, au pare-brise constellé de moustiques. Lavons, oublions tout.

Je me gare devant le portique de l'automate à rouleaux, lis les instructions sur la pancarte décolorée par le soleil. Zut, besoin de jetons, en vente à la station.

— Ah, ma p'tite dame, il faut mettre un jeton dans l'appareil, sinon, ça va pas l'faire. Bien belle voiture que vous avez. C'est une essence ? J'suis bête, c'est marqué dessus. Combien de chevaux, vous n'savez pas, hein ?

Je fais la gourde.

— Des chevaux, où ça ? Moi, je ne sais pas, mais ce que je dis toujours, c'est que quatre portes, c'est pas pratique avec des enfants, un hayon c'est mieux. Sinon, les jetons, vous en avez ?

— Suivez-moi. Je vous en donne si vous êtes gentille. lance-t-il avec un sourire de dragueur de bal-musette.

Il a à peine quarante ans, encore pas mal de sa personne, si l'on aime le genre macho agricole. Nous rentrons dans son local, un fouillis d'étagères pleines de bidons d'huile et de présentoirs de désodorisants en forme de sapins. Ambiance olfactive de sueur et de graisse rance, avec un soupçon de tabac froid. Il passe derrière le comptoir, je le suis de près, je le pousse dans un recoin sans fenêtre, où sont stockés des pneus neufs, une belle odeur de latex frais.

— Je peux être très, très gentille. Et pour un simple petit jeton. Baisse ton pantalon.

Je m'accroupis et il s'exécute, rassuré sans doute de ne pas être devant une psychopathe, venue pour lui faire les poches et le transformer en steak tartare.

Je prends son sexe mou en bouche, dans un va-et-vient que je souhaite démonstratif. Je fais des bruits de gorge et me pâme longuement devant la taille de son engin, qui durcit rapidement. Le pauvre est un peu perdu, ne sait pas quoi faire de ses mains, alors il caresse machinalement un pneu dans la pile d'à côté. Je le suce avec hargne, en lui pétrissant les boules, j'aspire de toutes mes forces en creusant mes joues, lui mordille le gland. Il annonce bruyamment sa jouissance, et je dévie sa queue, pour qu'il balance enfin d’interminables jets de foutre sur ses pneumatiques adorés.

— C'est vraiment Michelin, mon amour, pour toi.

Je me relève, lisse ma jupe, retroussée sur mes jambes, fais demi-tour, puis me retourne une dernière fois.

— Et si tu veux absolument tout savoir, c'est six cylindres, 218 chevaux et un couple à te clouer les couilles aux sièges.

...

Dix minutes plus tard, il frappe doucement à la vitre de la BM. Je lève la tête, les yeux noyés. J'ai tellement pleuré que mon maquillage a raviné mes joues de longues coulées noires, qui coagulent en larges flaques sur mon chemisier. Mon rouge à lèvres ne dessine plus qu'un rictus de clown triste, je renifle si fort que des bulles se forment sous mon nez.

Je baisse la vitre.

— Ça n'a pas l'air d'aller fort, madame. Vous voulez une bière ?

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