Épilogue : Une autre vie.

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Aujourd'hui, quinze ans plus tard, je peine à me souvenir du trajet retour, à 180 km/h sur cette autoroute. À quoi pensais-je ? Black-out total ! J'ai bien dû m'arrêter dans une station, me brosser les dents, retoucher mon maquillage et changer mon chemisier, souillé de mes larmes. J'ai roulé d'une traite jusqu'au bureau de Nathalie. Au rez-de-chaussé, la réceptionniste m'apprend que mon ex-supérieure ne travaille plus dans cette filiale : elle a demandé à être mutée pour une mission de trois ans aux États-Unis.

Elle me laisse pétrifiée, dans ce statut de soumise non révoquée. Une vengeance pour elle, qui n'a jamais réussi à se libérer de l'emprise de Francesca, sa belle maîtresse dominante ?

Je suis sans rien, ma tentative de tout oublier, de me réinventer a lamentablement échoué. Comment ai-je pu imaginer que séduire Claire et Mat et former un improbable trio, allait me guérir de la perte de Monsieur Paul et de l'échec de ma relation avec Madame Nathalie ?

Je téléphone à Claire, un mois plus tard, pour m'excuser d'avoir été à ce point imbécile, d'avoir mis leur couple en péril. Elle rit, elle a déjà mis Mathieu à la porte et envisage de s'installer avec une amie. Elle me remercie de lui avoir ouvert les yeux.

Avec la belle Éléonore, notre relation est vouée à l'échec. Elle jouera toujours un rôle, pour me faire plaisir et par curiosité, mais n'aura jamais la personnalité dominante que je cherche alors. Quant à moi, je peux faire illusion, mais je ne serai jamais le boyfriend sur lequel elle pourra s'appuyer.

Pourtant, elle à Lyon et moi à Paris, nous passons des heures au téléphone ou par messagerie, pour organiser des week-ends communs. Merveilleux souvenirs. Elle réussit à me convaincre que je ne suis aucunement attaché à Nathalie, que je suis libre de mes mouvements, que ma maîtresse m'a gaslighté, m'enfermant dans une spirale destructrice, une prison mentale où je n'existe plus que dans la culpabilité de ne pas être digne de la servir.

Je vends rapidement la BMW, à un bon prix. Je trouve dans le dossier d'assurance – le véhicule est assuré par la compagnie qui m'emploie – un relevé d'identité bancaire de Nathalie, je lui verse l'intégralité de la somme. C'est symbolique, mais c'est une attache en moins, un lien qui se dénoue.

Ses études d'orthophoniste terminées, Éléonore quitte la France pour un tour du monde, prévu de longue date. Je lui souhaite bon voyage avec le sourire, puis va pleurer longuement, assis sur les toilettes des WC de l'aéroport. Elle rencontrera un homme, un Canadien, et n'est jamais revenu en France. Nous restons toujours en contact, c'est une femme exceptionnelle.

Je plonge par la suite dans une nouvelle période, totalement accro à des sites de rencontre. Mes chances de rencontrer l'âme sœur en allant acheter le pain étant proche de zéro, alors pourquoi pas ? Trente ans, seul, mais mon profil atypique n'intéresse que des dominatrices professionnelles louches et des hommes mariés qui veulent s'encanailler, réaliser leurs fantasmes sans se payer un aller-retour en Thaïlande.

Corinne, mon ex, rencontrée à l'agence il y a quelques années, se présente à ma porte un soir. Elle est au plus bas, sa copine l'a quittée pour une plus jeune, l'éjectant de l'appartement en colocation. Elle dort à l'hôtel depuis un mois, n'a plus d'argent, le nouveau chef d'agence veut la virer parce que les clients, "ben, ils n'ont pas envie d'entendre une vieille gouine chialer au téléphone, hein ?".

Elle prend ma chambre, et moi le canapé convertible.

...

Il y a six mois, nous nous sommes enfin pacsés.

Ce n'est pas la passion torride, mais sexuellement, ça marche plutôt pas mal. Je suis, d'après elle, le seul être humain avec une bite qui peut la baiser, et elle joue à merveille cet idéal féminin que j'aime adorer. Je ferme les yeux, avec plaisir, sur ses écarts, si je la surprends entre les bras d'une petite brune ou d'une grande blonde. Elle ne s'offusque pas quand je déambule en nuisette de satin rose dans la cuisine. J'ai coupé mes cheveux depuis longtemps, mais une jolie perruque blonde me ramène quelques années en arrière.

J'ai vendu l'appartement parisien, une dure décision pour moi. Mais je sais que Paul aurait approuvé, il ne voulait que mon bonheur. Corinne et moi avons acheté une belle maison dans une ville à cinquante kilomètres de Paris,

Nous y sommes installés comme courtiers en assurance, associés, j'ai acheté un fonds de commerce qui végétait. Corinne est plutôt pointue pour les clients professionnels, je connais bien les particuliers. Nos clients nous adore, Léopold et Corinne sont désormais des notables dans cette ville. S'ils savaient...

Nous avons attendu le printemps pour lancer des invitations et fêter notre union, excuse pour revoir de vieux amis. Corinne a rameuté quelque copines, qui ont toutes répondu à l'appel. J'ai invité de mon côté celles et ceux que j'aimais. Éléonore n'a pas pu venir, elle attend son deuxième enfant, mais ses vœux nous accompagnent.

Ma mère est venue, ainsi qu'Estelle, ma sœur, réconciliée avec la famille depuis peu. J'ai pleuré en les prenant dans mes bras. Elles ne me comprennent toujours pas, mais peu importe !

Patrick est venu seul, Francesca avait quelques soumis en cage dont elle devait s'occuper, me dit-il en riant. Il me prend dans ses bras, me serre fortement contre lui, certains souvenirs sont éternels.

Hélène a quitté sa villa à Menton, pour me voir. Elle me couvre de baisers, elle est venue accompagnée de David, qui vient de se marier avec son compagnon, un bel homme, un peu plus âgé que lui. Je suis tellement heureux de les voir que je ne cesse de sourire bêtement en les touchant, enfin réels.

J'ai invité Nathalie.

Un chauffeur vient de garer une BMW grise, sellerie de cuir fauve devant la maison.

Elle n'est pas venue, mais une carte accompagne le présent qu'elle nous fait :

Tu es si belle quand tu pilotes ces bolides. Viens me voir.

Léopold, mai 2023.

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