5-Trahir? Ou être trahis ?

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Après cette rencontre furtive, Mael ne donna plus aucun signe de vie. Elle attendait que mon impatience ait raison de ma ténacité. Je ne souhaitais pas lui donner un quelconque espoir de pardon ou de je ne sais quoi d’autre. Au fil des semaines, avec les anges, nous avons relâché notre attention. Ils étaient convaincus qu’elle avait renoncé à ses plans. J'en doutais. Elle m'avait souvent prouvé qu'elle savait être patiente. Mael choisirait le moment où personne ne s'attendrait à sa présence. Malheureusement, cet instant arriva bien trop vite.

Ce jour-là, comme à nos habitudes, nous nous sommes levés, avons pris notre petit-déjeuner et Mona est allée s’habiller en premier. J’étais dans le salon quand Mael est, tout simplement, apparut dans l'entrebâillement de la porte de notre chambre. Ma gardienne voulait que je sache que c'était elle, et non un de ses djinns qui m'enlevait ma vie, qui me prenait Mona et mon enfant. Quand nos regards se sont croisés, elle a attendu que je réalise qu'elle n'était pas une illusion pour agir. Sa main balaya légèrement l’air. La porte se ferma dans un simple cliquetis sans violence, sans bruit lourd. Je me suis précité dessus. J'ai frappé de toutes mes forces pour faire céder cette maudite barrière. J'ai hurlé le nom de l'ange qui nous protégeait. Au bout d’interminables secondes, la porte s’ouvrit comme si elle n'avait jamais été fermée. La pièce était vide. Mona et Mael s’étaient évaporées. 

Nous contactâmes aussitôt Mickaël. Dès son arrivée, l’archange me mit à l'écart de toutes les discussions. La situation était d’une gravité sans précédent. Une réunion d'urgence avait lieu dans mon salon et j’étais prié de ne pas intervenir, de ne pas apporter mon point de vue. Malgré moi, je respectais ce choix tournant comme un lion en cage dans ma propre cuisine. Je ne cessais de les observer. Je fulminais. C'en était trop, je ne pouvais plus tenir, j'allais donner mon opinion quand l’archange Raphaël franchit le seuil de ma porte. Je me suis senti provoqué.

-Je ne veux pas de ce fou furieux chez moi, hurlais-je sans retenu.

Mickaël s'interrompit et s’interposa entre le pécheur et le repentant. Il chercha à me calmer en m'empêchant de soutenir le regard de l'archange. Notre chemin ne s’était croisé qu’une seule fois, la fois de trop. 

-Nous sommes obligés de lui demander son aide, m’expliqua le plus calmement possible Mickaël.

-C'est un malade. Si vous lui donnez l'autorisation de la chasser, il ira jusqu'au bout.

-La situation est plus grave que tu ne l'imagines.

-Je veux la vérité, ordonnais-je froidement.

-Calme toi, s'il te plaît.

-Pourquoi autant de précautions ?

-Tu le sauras en temps voulu.

Pourquoi ce silence ? Autrefois, j’avais été impliqué dans de nombreux sujets qui ne concernaient pas la vision étroite d’un humain. Mon point de vue était donc si inférieur aux leurs. Avaient-ils peur que mes sentiments brouillent ma vision ? La confiance n’était plus partagée. Je craquais en balançant ce que Hazel m’avait confié. Je ne réfléchissais plus avec mon cerveau mais avec mon cœur. 

-Cet enfant n'est pas de moi, c'est ça ? Depuis le début, Mael me dit la vérité et j'ai été assez naïf...

-Si tu parles ainsi c'est que tu oses t'élever contre le Tout Puissant, m'interrompit avec toute son arrogance et sa froideur habituelle l’archange Raphaël.

Après toutes ces années, son regard était toujours le même : odieux. Il m'avait toujours détesté pour avoir brisé la limite imposée aux mortels depuis des siècles. Il voyait en moi un hérétique qu'il fallait, sans condition, remettre dans le droit chemin. Si j'avais à décrire Raphaël, j'utiliserais les termes de « fou de Dieu sans âme ».

-Mes frères nous devons communier, ajouta-t-il sans me quitter des yeux.

Ils m'excluaient définitivement. Chez les anges, la communion est une forme de télépathie, de confinement. En m’écartant ainsi, il était clair que je n’avais plus de rôle à jouer. Je n’étais plus qu’un humain lambda à qui on effacerait bientôt la mémoire. Il en était hors de question. 

-Mickaël ? S'il te plaît, suppliais-je humblement sans desserrer la mâchoire. Je ne vous ai jamais trahi. J'ai le droit de savoir.

-Je suis désolé mon ami.

-Vous vous êtes servis de moi, m’emportais-je à nouveau.

-Je dois les rejoindre.

-Quelle est la prochaine étape ?

-Ne me pose plus de question.

Il s'éloigna n'osant plus me regarder. Raphaël cherchait toujours la faille pour me faire plier. Je la lui offris.

-Je vous interdis de m'exclure.

C'était la parole de trop, Raphaël en profita. Cette fois, c'est lui que Mickaël du retenir. Je ne baissais pas les yeux, ni ne reculais. Cette ordure avait encore l'audace de se montrer supérieur. La leçon de Hazel n'avait donc pas suffit. Quelle humiliation de plus attendait-il ? Les deux archanges communièrent. Je le compris facilement car Raphaël dévisagea Mickaël et parut reprendre le contrôle. Soudain, je me retrouvais plaqué contre un mur. Je reconnus les meubles de ma chambre puis entendis quelqu'un tenter de briser une porte. Raphaël m'étranglait avec l'avant de son bras pendant que l'autre s’enfonçait dans mes entrailles.

-Un jour, ce sera ton tour. Je te promets que je serais là pour que cela ne se reproduise pas comme elle l'a prédit.

-Qui a prédit quoi ? prononçais-je avec la plus grande des difficultés.

La porte céda et Raphaël me lâcha. Je m'écroulais cherchant désespérément, une nouvelle fois, ma respiration. Mickaël hurla après son frère d’armes qui resta muet. Je me relevais seul osant juger celui que je pensais être un ami. Il ne bougea pas et baissa les yeux sûrement par lâcheté. Il avait définitivement fait son choix.

Je ne supportais plus mon appartement. J'avais trop longtemps accepté ce manège. Au bout de quelques heures, je n’existais plus. Plus aucun regard bienveillant ne se tournait vers moi. Les anges apparaissaient et disparaissaient comme si mon appartement était devenu un hall de gare. J’étais le concierge qui voit tout mais ne peut rien dire. J'étais traité comme un simple mortel. Après tout ce que j'avais vu, vécu, appris, ils me reniaient. J'ai erré dans les rues de New York laissant mes pas décider de mon destin. Je ne voulais plus qu'une chose : jouer les égoïstes, mais c'était impossible. Ma rencontre avec Mona s'imposa. Je me souvins de la particularité de son parfum, de certains moments de notre vie commune... Je me rappelais qu'à plusieurs reprises, elle avait refusé de rentrer dans une église ou d'assister à un événement religieux prétextant qu'elle avait trop subi la religion de ses parents pour trouver un intérêt dans les édifices ou cérémonies. Un tel comportement ne pouvait être une preuve de l’existence d'un pacte démoniaque. Je devais chercher ailleurs la raison qui expliquait cet intérêt pour ma femme et notre enfant. Mael voulait peut-être en devenir la mère ? Jamais elle n'avait parlé d'une quelconque grossesse ou d'une envie d'enfant. Je divaguais.

-Enfin tu ouvres ton esprit.

Je ne connaissais pas cette voix, ni ne savais d'où elle provenait. Je cherchais autour de moi mais une autre voix sembla prendre le relais. Je compris rapidement que quelqu’un utilisait les mortels pour échanger discrètement avec moi. 

-Au lieu de chercher comme un idiot, écoute juste les voix.

Le visage d’un homme noir se plaqua juste devant le mien au moment où cette phrase fut prononcée. Je plongeais mon regard dans ses grands yeux marrons pour découvrir qui le manipulait. Rien dans son iris ne se reflétait. Un instant il me dévisagea puis fronça les sourcils. L’homme recula. Il n’était plus sous l’emprise de cette magie. Il continua son chemin l’air inquiet de ne pas se souvenir des dernières minutes de sa vie. Une seule personne était capable de me contacter de cette manière. Je pensais tout de suite à Mael. Elle agissait ainsi pour se protéger avant tout. Maintenant qu'elle avait Mona, ils n'allaient pas la lâcher et elle le savait. Je continuais à suivre les voix. Malgré mon instinct qui me hurlait de fuir, je la laissais m'amener là où elle le désirait.

-Où caches-tu Mona ? demandai-je directement. 

-Ne sois pas si direct ! Tu gâches tout le plaisir.

-Ils vont te traquer.

-J'ai l'habitude.

-Il faut que l'on se rencontre, proposais-je sous le ton d’un ordre.

-Pour que tu les amènes dans un piège bien saignant ? Quelle bonne idée !

-Personne ne me suit.

-Joues pas les naïfs. Ça ne te ressemble pas. Tu es mon seul lien avec ce monde et ils le savent.

-Les anges m'ont écarté.

-Pour mieux te manipuler.

Elle avait raison et pourtant je restais borné. Sans doute que mon envie de la trahir était plus forte que notre amitié. Inconsciemment, je voulais aussi prouver aux archanges que j’étais encore une personne de confiance. J’étais encore utile pour retrouver Mona. Je cherchais à prouver, faussement, que Mael n’était plus rien pour moi. Avant qu’elle ne tue Gabriel, je m'étais souvent juré de la remercier de m'avoir sorti de la morosité d'une vie humaine. A cet instant, je l'aurais vendu au Diable pour retrouver mon amour.

-Rend moi ma femme ! ordonnai-je.

-Elle est un danger.

-Non, je le saurais.

-Ils se sont servis de toi pour mieux contrôler cet enfant.

J'étais perdu. Je m'arrêtais. Je devais réfléchir à tout cela posément. Il le fallait. Je me suis alors rendu compte que, dans mon obstination, je ne cherchais pas où il fallait. Si Hazel m’avait parlé de paternité et que maintenant Mael me parlait du bébé, je ne pouvais plus douter de ma gardienne. Les anges n’avaient pas été aussi honnêtes avec moi. Ils gardaient secret la raison qui avait poussé Mael à revenir dans ma vie. Ils m’avaient seulement prévenu que ma femme était en danger sans m’expliquer les raisons de leurs inquiétudes. La jalousie ne pouvait en être le motif de la sorcière. Elle n’aurait pas attendu que je construise une famille pour la sortir de ma vie si un quelconque danger planait sur mon être. Avec toutes les fausses données qui brouillaient mon esprit, j’en oubliais de poser La question essentielle, celle qui tirait le voile de cette poudre de fées. 

-Qui serait le père de cet enfant ?

-Enfin, tu reviens vers moi, se rassura Mael.

-Cesses de jouer et réponds.

Entre deux passants, ma gardienne apparut juste à quelques centimètres de l'être perdu que je devenais. Elle prenait le risque d'une attaque pour m'avouer ce qu'ils me cachaient. Elle se voulait sincère. Le jeu était bel et bien finis. Personne d'autre qu'elle, aucune autre voix que la sienne, ne devait me l'apprendre.

-Dalkech.

Elle ne mentait pas. Son visage était marqué par une certaine tristesse. La peur de ne pas être cru, la rendait vulnérable. Je la connaissais trop bien pour croire qu’elle me mentait. Elle n’aurait pas cherché à me revoir si rien ne pouvait venir troubler ma vie. Elle me voulait heureux mais m’offrait le malheur d’une trahison. Je me figurais que Mona avait été manipulé par Dalkech, le frère de Riorg. Ce prince des enfers avait usé de ses charmes pour corrompre mon amour, pour aussi faire sortir Mael de son silence.

-Mona est une succube, ajouta ma gardienne. Je suis désolée. J’aurais aimé te protéger de cette réalité. 

Elle disparut juste après. 

Le manège ne reprit pas. J'étais seul en plein Central Park. La vie, en laquelle j'avais tant cru, ne devenait plus qu'un mensonge. Cette deuxième vie qu'elle devait m'offrir n'avait été que le jouet des anges.

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