Chapitre 27 : Séréna
Lorsque Séréna et Armand retrouvèrent Charlie dans le hall des Magiciens, le sourire qui ornait les lèvres de la Tisseuse de Rêves n’était pas feint. Ces instants passés dans les jardins avec Armand avaient été très agréables.
- Alors, prête ? demanda Charlie.
- Autant que possible, répondit Séréna. Tu me donnes juste cinq minutes s’il-te-plaît ?
- Pas davantage, prévint la Guetteuse. La Rectrice sera mécontente si l’on arrive en retard.
Séréna acquiesça avant de se tourner vers le Prince. Leurs regards se verrouillèrent et Charlie fit mine de s’intéresser aux fresques animées par la magie qui ornaient les murs.
La Tisseuse de Rêves se perdit dans les yeux bleu acier d’Armand, puis détailla ses pommettes hautes ainsi que sa bouche qu’elle trouva soudainement très sensuelle. Il se rapprocha d’elle et l’espace d’un instant, elle s’imagina se jucher sur la pointe des pieds pour plaquer ses lèvres contre les siennes. Elle glisserait une de ses mains dans ses cheveux, et poserait l’autre contre sa poitrine pour sentir son cœur battre aussi fort que le sien. Il répondrait à son baiser, et alors...
Elle se força à ce moment-là à reculer d’un pas et à respirer plus lentement. Terrain miné ma vieille... C’est une très mauvaise idée, surtout avec ce que tu t’apprêtes à faire...
Le Prince avait, lui aussi, fait marche arrière et l’atmosphère électrique qui régnait entre eux une minute auparavant se dissipa.
- Je suppose que c’est l’heure des adieux, reprit-elle maladroitement.
- Pas un adieu, rétorqua-t-il. Seulement un au-revoir, du moins, je l’espère.
- J’aurais donc droit aux visites dans mon donjon ? demanda-t-elle pince-sans-rire. Enfin, je veux dire à l’Académie ?
- Vous n’avez plus que douze jours devant vous pour préparer le Rite, répliqua Armand. Je ne voudrais pas perturber votre entraînement accéléré, je pense que la Rectrice m’écorcherait vif, mais si c’est votre souhait, j’essaierai de venir vous voir.
- Alors dans ce cas, à bientôt, dit-elle, la gorge serrée. Je suis très heureuse de vous avoir rencontré Armand, merci... pour tout.
- L’honneur est pour moi Séréna, répondit-il en lui tendant la main.
Elle la saisit tout en s’invectivant mentalement. Ne le regarde pas dans les yeux... Ne le fais surtout pas, sinon tu vas craquer. Et puis merde...
Alors, elle posa son autre main sur son épaule et l’embrassa sur la joue. Elle ignorait totalement si cette coutume se faisait chez les Centraliens et espéra qu’elle n’allait pas se ridiculiser. Le Prince parut surpris, mais pas choqué et Séréna remercia silencieusement l’instance supérieure qui régissait ce monde. Quelle qu’elle soit.
Puis, elle se tourna promptement vers Charlie, qui semblait toujours absorbé dans l’observation d’une fresque en leur tournant ostensiblement le dos.
- Nous pouvons y aller Charlie, je suis prête. Et non, je ne suis absolument pas en train de m’enfuir,essaya-t-elle de se convaincre.
La Guetteuse s’inclina respectueusement devant le Prince. Puis, elle prit la main de Séréna pour les proclipser vers l’Académie de magie. La Tisseuse de Rêve brûlait d’envie de découvrir Centralia de plus près, mais elle comprenait que le temps était compté et sa présence confidentielle. La visite de la ville serait donc pour une autre fois.
Sa peau se mit à la picoter désagréablement et un goût de fumée lui emplit la bouche. Sur un dernier regard au Prince, les deux femmes disparurent. La distance à parcourir était courte et en l’espace d’un battement de cœur, Séréna et Charlie se matérialisèrent dans le bureau de la Rectrice de l’Académie, Isolde Sylbaria. Cette dernière se tenait très droite, sa coiffure toujours impeccable et semblait les attendre.
- Dame Kellerwick, soyez la bienvenue à l’Académie de Magie de Centralia. Elle se tourna vers Charlie. Dame Lamoril, c’est un plaisir de revoir une de nos plus brillantes élèves entre ces murs.
Séréna et Charlie s’inclinèrent respectueusement.
- Je vous remercie infiniment pour votre accueil, Madame la Rectrice, dit la Tisseuse de Rêve. J’espère me montrer à la hauteur des espoirs placés en moi.
– Nous en jugerons bientôt, répondit Sylbaria, son expression indéchiffrable.
Son ton était demeuré neutre, comme si elle attendait d’avoir pleinement découvert le potentiel de Séréna pour porter un jugement sur elle. Cela impressionna favorablement la Rêveuse, c’était pour elle la marque d’un bon pédagogue.
- Comme vous le savez, reprit la Rectrice, votre présence ici est confidentielle. Or, nous sommes dans une école, et les rumeurs s’y répandent comme une traînée de poudre. Je vais donc vous demander de respecter un certain nombre de consignes, pour votre sécurité et celle de nos étudiants. Une chambre vous a été préparée dans l’aile des professeurs. Nous souhaitons minimiser le plus possible vos contacts avec les élèves. Ainsi, vous prendrez vos repas dans votre chambre ou dans la salle des professeurs, à votre convenance. Cependant, vous aurez accès au parc pendant les heures de cours et vous devrez vous y montrer discrète.
Séréna fronça les sourcils devant cette avalanche de règles, mais n’osa pas protester.
- Si vous souhaitez consulter des ouvrages de notre bibliothèque, poursuivit Sylbaria, adressez-vous à moi ou à un autre professeur, nous vous les enverrons. J’ai déjà laissé dans votre chambre une multitude de livres traitant des bases de la magie et qui vous seront, à mon sens, très utiles. Avez-vous des questions ?
- Eh bien... non, je vous remercie tout est très clair, répondit Séréna qui se sentait rajeunir devant autant de cadres et d’interdits.
- Excellent, se réjouit la Rectrice, sans se départir de son expression sévère. Nous allons profiter de ce que les élèves déjeunent pour vous faire gagner vos quartiers. Charlie, j’imagine que vous saurez guider notre hôte jusqu’à l’aile des professeurs ? La chambre de Dame Kellerwick est la troisième porte sur la gauche.
– Bien entendu Rectrice, acquiesça la Guetteuse. Je n’ai pas oublié la disposition des lieux.
– Je vais vous faire porter une collation, continua Sylbaria. Vous disposerez ensuite d’un peu de temps pour vous installer et vous rafraîchir, puis je vous retrouverai à quatorze heures trente précises dans la salle des professeurs. Je compte sur votre ponctualité.
– Bien entendu, vous pouvez compter sur moi, répondit Séréna en se mordant la lèvre pour ne pas rire.Elle croit que j’ai quinze ans ou bien ?Il va falloir que je lui fasse gentiment comprendre que je suis majeure, vaccinée et diplômée.
Charlie mena la Tisseuse de Rêve à travers un dédale de couloirs, le long desquels Séréna observa, impressionnée les tableaux et surtout les fresques animées par la Magie qui couvraient les murs, à l’image du Hall des magiciens du palais. Elle avait aperçu de loin l’édifice dans lequel elle se trouvait actuellement, lorsqu’elle avait découvert Centralia depuis les jardins du Château. C’était un immense manoir qui formait un U, en son centre se trouvait un grand parc très arboré.Un endroit idéal pour étudier... Ou entamer une amourette secrète,songea-t-elle, en repensant à l’époque, pas si lointaine, où elle était encore étudiante.
Sa chambre était vaste, avec une salle de bain attenante. Le lit était loin d’être aussi grand que celui dans lequel elle avait dormi au palais, mais il était d’une taille amplement suffisante. Les grandes fenêtres donnaient sur le parc et non sur la cité, sans doute pour plus de discrétion. Les quelques affaires qu’elle possédait ainsi que les fioles de potion que Zélie lui avait remises avant son départ y avaient été transportées par magie. Un repas froid composé de pain, de viande et de fruits l’attendait sur une petite table.
- Charlie, demanda Séréna tout en grignotant un éclador, Sylbaria a dit que tu étais une de ses plus brillantes élèves, c’est vrai ?
– Oui, répondit la Guetteuse avec fierté. À vrai dire, je suis même sortie majeure de ma promo. J’ai pris part au Rite de la grotte des Enchanteurs quand j’avais vingt-deux ans. Je n’avais que l’embarras du choix en matière de carrière une fois mon diplôme obtenu. J’ai choisi de devenir Guetteuse, car j’ai toujours été fascinée par vous, les Tisseurs de Rêves. Je crois que la Rectrice en a été déçue, non pas que travailler pour l’Ordre des Guetteurs soit déshonorant, mais j’aurais pu sans peine devenir une Mage reconnue de la Tour et travailler avec l’Archimage Maldrex.
Séréna l’écoutait avec attention. Elle comprenait Charlie, la perspective de travailler avec le vieil Archimage ne lui paraissait pas très engageante.
- Sylbaria pense que je gâche mes talents, poursuivit la Guetteuse. Mais, je n’ai aucun regret. Être la Guetteuse d’une Tisseuse de Rêves aussi exceptionnelle que Tamara, c’est un honneur. Je pense que c’est pour cette raison également qu’ils ne vont pas me renvoyer même si Lénaïc va officiellement redevenir ton Guetteur. Lui n’a jamais passé l’épreuve de la nuit des célébrations des Lueurs Sélénites. Je pense aussi que nous ne serons pas trop de deux, compte tenu de l’étendue de tes pouvoirs. Les professeurs de l’Académie vont s’occuper du volet magie Arcanique et Lénaïc et moi t’aideront à contenir ta Magie des Rêves pour qu’elle n’attire pas trop l’attention. Maintenant, tu devrais manger et te reposer un peu. L’après-midi risque d’être mouvementée. Les professeurs d’ici vont tenter de te pousser dans tes derniers retranchements pour découvrir de quoi tu es capable.
- Crois-moi, ils ne vont pas être déçus, lui assura la Tisseuse de Rêves.
Un moment plus tard, Charlie s’était retirée pour la laisser finir de s’installer et Séréna achevait son repas, en observant le parc par les fenêtres de sa chambre.
Les élèves qui avaient terminé de manger avaient gagné la fraîcheur des arbres, et étudiaient, discutaient ou se bécotaient comme elle l’avait si bien imaginé.
On lui avait expliqué que l’Académie était ouverte aux jeunes avec des pouvoirs magiques considérables à l’issue de leurs études secondaires. L’équivalent d’une université là d’où elle venait.
Dans les écoles qui s’apparentaient à des collèges et des lycées Terranéens, la magie était enseignée sous forme de tronc commun aux jeunes Centraliens, puis une fois à l’Académie, ils étaient libres de choisir les aspects de leurs pouvoirs avec lesquels ils avaient le plus d’affinités.
Les douze prochains jours qu’elle allait passer ici promettaient d’être intenses. Il a fallu que j’attende d’avoir vingt-cinq ans, mais j’ai enfin été admise à Poudlard ! Songea-t-elle amusée.
Elle essayait surtout de ne pas trop penser à tout ce qu’elle avait appris ces derniers jours. Du sang Centralien et Terranéen dans les veines...Manquait plus que ça... Mais, je n’ai aucune prise là-dessus pour l’instant, alors mieux vaut le laisser de côté, et espérer que le Rite pourra m’apporter des réponses... Des réponses qui conviendront aux Centraliens, car dans le cas contraire, je ne serai peut-être plus autant la bienvenue chez eux...
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