Chapitre 33 : Séréna
La nuit et la journée qui suivirent sa mésaventure furent terribles pour Serena. Un sentiment de culpabilité lui enserrait la poitrine et ne la quittait plus. D’abord sous le choc suite à son échec face à Damien, elle avait eu besoin d’un peu de temps pour reprendre pied dans la réalité. Elle était demeurée perdue face à la colère d’Isolde Sylbaria. En revanche, la déception dans le regard de Lenaïc et Charlie, ainsi que les reproches dans les yeux d’Enzo s’étaient avérés infiniment plus efficaces que les hurlements de la Rectrice.
Lenaïc avait bien essayé de lui parler, il s’était assuré qu’elle n’était pas blessée. Mais, Séréna était demeurée sans réaction. Elle se sentait terriblement désolée de l’avoir entraînée dans ses problèmes, lui, ainsi que les Lamoril, toutefois elle n’était parvenue qu’à bredouiller des excuses qui sonnaient faux à ses propres oreilles. Enzo avait entraîné les deux autres hors de la chambre, la laissant seule.
Séréna avait alors commencé à faire les cent pas dans la pièce. Elle avait fait preuve d’une imprudence et d’une arrogance incroyable. Les Centraliens l’avaient secourue, recueillie et soignée. Même si certaines de leurs méthodes restaient discutables, ils ne s’en étaient pas moins montrés bienveillants envers elle.
Qu’avait-elle fait de leur gentillesse ? Elle les avait remerciés en mettant en danger Centralia tout entière. Comment avait-elle pu se montrer aveugle au point de croire qu’en à peine quelques jours, elle serait capable de contrôler un pouvoir que les natifs de ce monde mettaient des années à maîtriser ? Sans parler de cette Magie hybride qu’elle était la seule à détenir. Oui, elle avait toujours été du genre à foncer tête baissée et à réfléchir ensuite, mais une imprudence d’une telle ampleur ne lui ressemblait pas.
Son désir de sauver Damien à n’importe quel prix lui avait fait perdre la tête. Elle avait voulu prouver à la Reine ainsi qu’à ses Conseillers et aux Hauts-mages que certains Terranéens pouvaient faire de grandes choses avec la Magie si on leur en laissait l’opportunité... Quel fiasco.
À présent, que se passerait-il s’ils décidaient de la renvoyer d’où elle venait sans lui permettre d’accomplir le Rite ? Qu’adviendrait-il de son meilleur ami et de tous les autres Rêveurs de la Terre atteints par la Corruption ? Non, les Centraliens avaient besoin d’elle, autant qu’elle avait besoin d’eux. Si tant est que l’épreuve des Lueurs Sélénites apporte des réponses concluantes, ils ne sacrifieraient pas un tel espoir. Mais, ils avaient d’autres moyens de la punir de son erreur.
Elle ne fut guère surprise, en fin de matinée, par les deux gardes qui se présentèrent à sa porte pour la mener au bureau de Sylbaria. Les yeux de la Rectrice semblaient parcourus d’éclairs venimeux. La Reine en personne l’attendait accompagnée du Prince. L’expression de la souveraine était indéchiffrable, en revanche, l’air navré affiché par Armand n’était pas de bon augure. Elle s’efforça de ne pas croiser son regard bleu acier, afin d’éviter d’y trouver une compassion qu’elle estimait ne pas mériter.
- Dame Kellerwick, commença la Reine, cette nuit vous vous êtes rendu coupable d’une transgression des règles que nous avions fixées ensemble. Vous avez utilisé votre pouvoir d’une manière qui a mis en danger les élèves et les professeurs de l’Académie de Magie ainsi que probablement Centralia tout entière.
- Je le reconnais, répondit Séréna. J’ai commis une erreur et je suis prête à en assumer toutes les conséquences. Je ne demande qu’une chose : ne tenez pas Lenaïc Stronghold, ainsi que Charlie et Enzo Lamoril pour responsable de mes actions. J’ai agi seule, sans leur aide. Ils n’ont pas à payer pour mes erreurs.
- Le sort des Guetteurs a déjà été décidé, répliqua Estrella. Ils sont libres et compte tenu de l’urgence de la situation, et contrairement aux recommandations de la Rectrice ici présente, ils continueront à vous servir de guides. Ils ont accepté, en dépit de la déception immense qu’ils ressentent à votre égard.
Les épaules de Séréna s’affaissèrent légèrement. Charlie et Lénaïc étaient de formidables mentors. C’était principalement auprès d’eux qu’elle voulait se racheter, elle se sentait heureuse d’en avoir l’occasion.
- J’ai conscience de la gravité de mon acte et des conséquences que cela aurait pu avoir, reprit-elle. Des excuses ne changeront rien, mais je tiens quand même à dire que je suis sincèrement désolée. Je pensais être prête, je me suis trompée.
Elle soupira, baissant la tête.
- Je ne suis pas parvenue à sauver mon ami Damien de la Corruption. Au contraire, il a failli m’entraîner avec lui dans cette malédiction. J’ai mis en danger beaucoup d’innocents, je n’avais pas réalisé qu’il me restait encore beaucoup à apprendre. Je le comprends à présent.
- Au contraire, vos excuses signifient beaucoup, assura la souveraine. Je m’attendais à ce que vous protestiez et cherchiez à vous justifier. Je constate que vous savez vous montrer responsable et que vos regrets sont sincères. Vous comprendrez donc que je ne peux pas me contenter d’un simple avertissement.
- Je comprends, affirma Séréna. Et, je m’engage à agir de manière plus prudente et réfléchie dans l’avenir.
- Votre action s’est heureusement avérée sans conséquence, en partie grâce aux Guetteurs, mais aussi parce que vous maîtrisez votre magie de manière impressionnante, poursuivit la Reine. Je comprends que votre désir partait d’une bonne intention et vous avez fait preuve de courage en voulant porter secours à votre ami.
Elle marqua une pause et Séréna retint son souffle.
- Je ne peux légitimement pas vous empêcher de participer au Rite. Isolde m’écrivait hier soir à quel point vous aviez progressé et qu’elle était disposée à vous laisser participer à l’épreuve qui aura lieu dans deux jours...
Sylbaria ouvrit la bouche pour protester, mais la reine leva une main et la Rectrice s’interrompit.
- Cependant, continua Estrella, pour être certain que vous ne commettiez plus une telle insubordination, je me vois contrainte de brider votre magie des Rêves.
Le bref sentiment de soulagement qui avait envahi Séréna fut immédiatement balayé, par cette dernière phrase. Brider sa capacité à Rêver ? Cela revenait à lui arracher une partie d’elle-même. Mais, au fond d’elle, une petite voix lui disait qu’elle l’avait bien mérité.
- Je comprends, acquiesça-t-elle d’une voix rauque. Est-ce que... ce sera douloureux ?
- Non, répondit la Reine d’une voix plus douce.
Séréna avait appris par le biais de ses lectures que la Reine Estrella était une magicienne de l’Esprit. Ces mages étaient rares, car l’arcane de l’Esprit était, comme l’arcane de l’Âme, des pouvoirs difficiles à maîtriser. La plupart des Centraliens avaient pour arcane de prédilection une des quatre magies élémentaires. L’Esprit était infiniment plus rare. Quant à l’Âme, aucun habitant du Monde Central n’était né avec cette aptitude depuis plusieurs générations. Les guérisseurs apprenaient à utiliser l’arcane de l’Âme, mais aucun d’eux ne possédait ce pouvoir de manière innée.
Comme souvent, lorsque l’on faisait appel à de la magie complexe, des runes apparurent autour de Séréna. Elle ressentit le pouvoir de la Reine. À présent, elle savait percevoir les nuances entre les différents arcanes. La magie déployée par Estrella était aussi puissante que celle de l’Archimage Maldrex lorsqu’il avait dévoilé l’étrange malédiction qui frappait Séréna.
Mais, cette fois-ci, le pouvoir ne se contenta pas de la parcourir. La jeune femme perçut quand l’arcane d’Estrella se déploya pour entraver sa magie des Rêves. Comme un verrou qu’on aurait posé sur une porte. L’empêchant d’accéder à cette partie de son être qu’elle avait toujours utilisé instinctivement. C’était extrêmement déstabilisant. Comme si soudainement, on l’avait empêché de voir ou de respirer librement. Sylbaria, qui avait gardé le silence jusqu’à présent, ne pût se retenir plus longtemps :
- J’espère que cette leçon restera gravée, Dame Kellerwick. Que ce soit dans vos rêves ou votre réalité, l’imprudence a toujours un prix.
Sa voix, teintée d’amertume, soulignait le désaccord de la Rectrice avec la clémence relative de la Reine. Séréna baissa les yeux, acquiesçant silencieusement. Estrella lui signifia qu’elle pouvait se retirer. La Tisseuse de Rêves se sentait vide. Alors qu’elle regagnait sa chambre en se demandant si elle reverrait Charlie et Enzo aujourd’hui, une voix l’interpella doucement. Le Prince s’avança vers elle de sa démarche fluide. Elle tenta instinctivement de l’esquiver.
- Je ne pense pas mériter votre compassion ou votre gentillesse Armand, commença-t-elle.
- Vous êtes bien trop dure avec vous-même Séréna, dit-il en posant une main sur son épaule pour l’arrêter. Tout le monde commet des erreurs. Ce qui importe, c’est ce que nous en retirons. Je sais que vous avez appris de la vôtre.
Elle le regarda, ses yeux envahis par le doute, mais elle n’eut pas la force de rétorquer.
- Écoutez, continua-t-il. Je vous ferai quérir demain pour vous emmener dans les Monts Creux. C’est là-bas que se tiendra votre prochain défi. Malgré tout, je crois en vous.
– Vraiment ? demanda-t-elle, encore ébranlée par les événements récents. Merci.
Ce fut tout ce qu’elle parvint à dire, sa voix trahissant son sentiment de fragilité. Elle se détesta de se montrer si faible.
- Vous pourrez toujours compter sur moi Séréna, ajouta-t-il avant de s’éloigner.
La jeune femme resta longtemps immobile. Fixant l’angle du couloir où Armand avait disparu. Le Prince aurait dû être furieux après elle, mais au lieu de l’accabler, il lui avait offert sa compréhension et son soutien. Malgré le désespoir que ressentait Séréna face à la privation de son pouvoir, les paroles du jeune homme lui réchauffaient le cœur.
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