Chapitre 28 (deuxième partie)

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Deux jours après notre retour, plusieurs voyageurs se présentèrent à Inverie. De loin, j'avais pu distinguer les couleurs des MacKenzie. C'était en effet Geoffrey lui-même, fils de Brian et Fiona, avec quelques compagnons. Nous avions eu l'occasion de nous revoir trois fois depuis mon retour en Ecosse et nos deux clans entretenaient des relations cordiales. A une ou deux reprises d'ailleurs, quelques hommes du clan MacKenzie nous avaient aidés lors de travaux importants aux limites de nos deux clans. Ils venaient donc en voisins et amis, et nous allions les accueillir comme il se devait.

Après un bon repas et quelques verres de whisky pour leur faire honneur, nous restâmes à parler entre hommes. Jennie fatiguait vite, elle était proche du terme pour sa troisième grossesse. Quant à Héloïse, elle savait pertinemment que je lui ferais part de notre conversation, plus tard. Il fut cependant, comme toujours lorsque nous recevions de la visite - quelle qu'elle fût -, un peu plus difficile de coucher les garçons, notamment Roy qui jouait déjà au petit homme. Mais le jour où il se rebifferait face à mon autorité n'était pas encore venu et je pus m'entretenir de choses bien sérieuses avec Geoffrey. Il va sans dire qu'Alex, Kyle et Hugues, se trouvaient avec nous.

- Kyrian, me dit Geoffrey après avoir apprécié et dégusté un premier verre de whisky, je suis venu car j'ai des choses importantes à te faire savoir. Nous avons reçu des nouvelles de France, d'un de mes cousins qui se trouve à Paris. Le prince Charles est proche de revenir en Ecosse, avec une armée, pour reconquérir le trône de son père. Et son entourage espère bien que nous, Highlanders, nous rejoindrons cette armée. Mon père fait déjà préparer une petite troupe et plusieurs ambassadeurs ont été envoyés auprès des autres clans pour connaître leurs intentions, notamment les Fraser et les MacKintosh. Je viens vers toi avant d'aller voir Logan Campbell et les MacDonell. Donald Cameron, de Lochiel, est prêt de son côté et tu connais sa fidélité aux Stuarts.

- Certes, mais Lovat Fraser, de son côté, me semble un bien douteux soutien.

- Je partage ton avis, mais s'il vient - et je pense qu'il viendra ! - il apportera avec lui une force non négligeable.

- Je fais plus confiance en Donald Cameron, dis-je toujours sérieusement.

- Après les échecs précédents, nous n'avons pas le choix, dit Geoffrey. Nous devons nous rassembler et former une armée pour le roi Jacques.

Je restai silencieux un moment. Ainsi, l'heure était-elle donc venue. Cette heure que nous appelions de nos vœux depuis des dizaines d'années. Le combat était devant nous, après avoir emporté nos pères, nos grands-pères parfois. Nous nous devions d'être leurs vaillants héritiers.

- Peux-tu rassembler des hommes de ton côté ? me demanda Geoffrey.

- Je le peux. Pas une troupe importante, mais certains paysans se joindront à moi sans réserve. Et nous les formerons aux armes en chemin. Je peux aussi faire prévenir mon cousin, Manfred, de Skye.

- J'allais te le demander, ami. Cela me fera gagner du temps.

- Une chose, cependant, Geoffrey : pas un mot devant les femmes et les enfants. Pour le moment.

- Bien. Je crois avoir remarqué que tu as un fils qui se verrait bien participer au combat !

- Oui... mais il est heureusement trop jeune pour cela.

- Heureusement ou... malheureusement. Il pourrait regretter, plus tard, de ne pas avoir participé au rétablissement d'un roi d'Ecosse sur le trône.

- Et surtout, de ne pas avoir chassé les Anglais de nos terres... soupirai-je un peu rêveur.

**

Geoffrey et ses hommes repartirent dès le lendemain, et à peine le galop de leurs chevaux s'était-il évanoui en direction de l'est, pour rejoindre les MacDonell, que j'emmenai Héloïse pour une promenade. Je voulais pouvoir parler seul à seule, sans être dérangé par les avis des uns et des autres, ni les interventions des enfants. Je sellai rapidement nos deux chevaux et nous partîmes le long de la grève, vers la presqu'île. Nous restâmes cependant sur l'étroite bande de terre qui servait de chemin, sans descendre sur la plage, et nous nous assîmes sur quelques blocs de rochers. Lui prenant la main, je lui dis :

- Mon aimée, l'heure est grave. Geoffrey MacKenzie m'a fait part de rumeurs très fondées sur une prochaine arrivée de Charles Stuart, héritier du roi Jacques, en Ecosse. Il arriverait avec une armée constituée en France, avec le soutien du roi Louis XV. Nous devons rallier le plus de clans et d'hommes possibles pour renforcer cette armée et remettre Jacques sur le trône.

Je la vis frissonner violemment. Je ne lui annonçai là rien moins qu'une guerre prochaine.

- Tu vas y participer ?

- Oui. C'est mon devoir. Pour l'Ecosse. Pour secouer le joug anglais, de plus en plus serré. Pas seulement pour remettre le roi légitime sur le trône. L'Ecosse doit pouvoir faire entendre sa voix et cela n'a pas vraiment été possible depuis l'Acte d'Union. Jour après jour, année après année, nous perdons nos droits, nos usages, et même nos terres ! Edimbourg est plus anglaise aujourd'hui qu'écossaise. Cela ne peut plus durer. Nous devons au moins pouvoir redevenir maîtres chez nous.

- Qui ira avec toi ?

- Je prendrai une partie des soldats de notre garde, mais je t'en laisserai suffisamment pour assurer votre protection, ici, à Inverie-même, mais aussi une petite troupe à Strathan et à Glendessary, pour protéger la frontière avec les Campbell. Ils pourraient saisir l'occasion de notre absence pour faire des incursions sur nos terres.

- Campbell ne soutiendra pas Charles ?

- Non. Mais au moins, son attitude à lui est claire. D'autres vont tenter de jouer sur les deux tableaux, et notamment, Lovat, le laird du clan Fraser. Il s'est toujours arrangé pour agir ainsi.

Je ne quittais pas Héloïse des yeux. Au fur et à mesure que je lui exposais la situation, je la voyais réfléchir, imaginer l'avenir.

- Kyle voudra aller avec toi, fit-elle remarquer.

- Oui. Et je n'aurai pas le pouvoir de l'en empêcher. Même avec le bébé à venir. Hugues viendra aussi. Mais Alex restera avec toi et Lorn également. Et je ferai la leçon aux garçons pour qu'ils se tiennent à carreau.

- Heureusement qu'ils sont trop petits pour partir...

J'acquiesçai. Je n'aurais, pour rien au monde, voulu que mes fils et ceux de Kyle et de Lorn participassent à cette expédition. D'autant que, pour l'heure, j'ignorais ce qu'elle serait.

- Il faudra leur donner du travail. S'occuper de notre potager, aider à rentrer du bois. Il y a des choses qu'ils peuvent faire désormais.

- Je n'y manquerai pas, et Jennie aura bien des idées aussi pour les occuper.

Je serrai ses mains entre les miennes, les caressant doucement. Elle ne portait que son alliance et la bague de ma grand-mère. J'insistai un peu plus sur celle-ci, quand elle me dit :

- Tu partiras avec ce qui reste du mandat de mon père. Tu pourras avoir besoin d'argent, et si vous allez jusqu'à Edimbourg ou même Londres, tu pourras aisément l'échanger.

- C'est ta dot, Héloïse. Je préfèrerais que tu la gardes, pour ici. Combien de temps serons-nous partis ? Tu peux avoir besoin d'argent toi aussi.

Nous avions à peine touché à sa dot. J'y avais eu recours par deux fois seulement au cours des années passées. Au printemps qui avait suivi l'automne et l'hiver doux et pluvieux que nous avions eus, alors que Roy était encore bébé. Nous avions manqué de fourrage et de farine et j'avais envoyé Alex en acheter en puisant dans cet argent. Puis, une autre fois, pour payer la solde des hommes que Delaery avait embauchés pour mettre fin aux provocations des troupes de Campbell. Héloïse reprit :

- Je vais écrire à François et lui demander de m'envoyer un autre mandat, du montant qu'il pourra. On ne sait jamais.

Je hochai la tête. Elle avait raison. Une guerre coûtait cher, en hommes, en armes, en chevaux. Et, pendant notre absence, il faudrait quand même nourrir les femmes et les enfants du clan, veiller sur eux. Je ne pouvais pas la laisser sans ressources, même si elle m'accordait d'emporter avec moi une partie de son héritage.

**

Durant les jours suivants, je commençai nos préparatifs. J'envoyai comme promis un émissaire auprès de mes cousins, sur Skye, puis je fis appel à tous les volontaires. Jour après jour, les hommes se regroupèrent à Inverie. Je ne voulais forcer aucun à venir et je leur tins plusieurs fois le même discours, surtout à ceux que je renvoyais vers leurs villages, leurs familles : je ne voulais pas que les bras se mettent à manquer pour les travaux des champs et l'hiver qui s'en viendrait. Je ne voulais pas laisser les villages démunis, les familles sans recours. Si Héloïse et Alex se trouvaient face à une difficulté, je voulais qu'ils puissent compter encore sur des hommes valides et pas seulement des vieillards, des femmes courageuses et des jeunes à peine pubères.

Je passai aussi de longues soirées avec Alex et Héloïse, pour que tout soit bien clair dans nos affaires pour eux, et surtout pour elle. Alex n'était plus tout jeune, l'hiver dernier, il avait fait une mauvaise toux et en était encore affaibli alors que nous étions au milieu de l'été. Je craignais pour sa santé.

J'avais, pour la forme, car je savais que c'était vain, tenté de décider Kyle à rester à Inverie. S'il avait secoué la tête devant l'absurdité de ma demande, Jennie, elle, avait répondu que la place de Kyle n'était pas ici, mais avec moi. Que les bons soldats ne seraient sans doute pas si nombreux et que ceux qui avaient l'expérience du combat et des troupes anglaises encore moins. Kyle et moi, nous le savions tous les deux, pourrions être d'une aide précieuse.

Alors que nos préparatifs avançaient, ce fut par un bel après-midi, assez chaud, que nous vîmes arriver toute une troupe. Caleb menait là une véritable petite armée. Si Manfred n'avait pas voulu s'engager vraiment dans la guerre, Caleb et Dougal avaient décidé d'enrôler tous les volontaires qu'ils trouveraient et ce fut ainsi que nos deux bannières voyagèrent côte à côte pour rallier l'armée jacobite lorsque l'annonce de l'arrivée de Charles et du rassemblement des clans à Glenfinnan arriva jusqu'à nous.

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