Chapitre 35 (deuxième partie)

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L'oncle Aodh semblait avoir vécu suffisamment de choses au cours de sa vie pour trouver parfaitement normale la présence de son neveu, en pleine nuit, accompagné d'une lady fagotée comme un garçon, sortant tout droit des geôles d'un fort anglais. Il nous invita à nous rapprocher du feu et raccrocha au-dessus des flammes une grande marmite d'où s'échappa bientôt une odeur délicieuse qui me fit saliver. Puis, attablés devant une bonne assiette de soupe, Fillan lui raconta notre périple. Aodh l'écouta sans l'interrompre, ponctuant simplement certaines phrases du jeune homme d'un hochement de tête ou d'un "hum" dont je ne parvenais pas à comprendre s'il était signe d'assentiment, d'étonnement ou de compréhension.

Une fois que Fillan eut terminé, il dit simplement :

- Ainsi, vous appartenez au clan des MacLeod. Le frère de notre laird s'est battu aux côtés d'un MacLeod, à Sheriffmuir. Mais y' venait de Skye, pas d'Inverie.

- Il s'agit sans doute de l'oncle de mon mari, Craig. Il a longtemps été laird des MacLeod de Skye, dis-je. Aujourd'hui, c'est son fils, Manfred, qui est laird.

Aodh ne commenta pas mes dires, mais poursuivit, comme s'il avait une seule idée en tête et ne voulait en démordre :

- Vous irez voir Edan. On va s'arranger avec lui. Y' pourra vous emmener en bateau jusqu'à Inverie. Y' connaît bien l'coin.

Puis il redevint silencieux. Fillan demanda alors :

- Tu as un endroit où on peut dormir ?

- La grange.

Et ce fut ainsi que je me retrouvai quelques instants plus tard à dormir pour la première fois de ma vie dans de la paille. Mais après deux nuits à frissonner sur la grève, je dus bien reconnaître que la paille était beaucoup plus agréable et confortable.

**

Le dénommé Edan était un pêcheur de Glencoe. Aodh avait été le voir dès le lendemain de notre arrivée et avait convenu avec lui d'un arrangement. Nous restâmes cachés presque une semaine, puis, en fin de nuit, nous descendîmes jusqu'à la grève. J'étais toujours habillée en homme, mais Aodh m'avait trouvé des vêtements un peu plus corrects, ainsi qu'une veste de marin. Ainsi, j'aurais tout l'air d'un pêcheur moi aussi.

Nous déjeunâmes rapidement avant de quitter la chaumière d'Aodh. Je pensais que Fillan allait juste m'accompagner jusqu'au petit port pour me voir embarquer, mais il me démentit bien vite :

- Je viens avec vous, My Lady. Torquil vous a confiée à moi, que je vous accompagne à Inverie ou dans tout autre lieu sûr pour que vous ne retombiez ni aux mains de Luxley, ni aux mains d'un autre Anglais. Vous ne savez pas ce qui vous attend à Inverie. Peut-être que le lieu grouille de patrouilles anglaises. Tant que je ne serai pas assuré de votre sécurité, je resterai avec vous.

- Mais vous êtes de retour chez vous, ici. Votre petite sœur et votre oncle vont avoir besoin de vous, de vos bras.

- Mon oncle peut se débrouiller sans moi. Cela fait des années qu'il vit ainsi. Quant à ma sœur...

Son regard se fit un peu vague. Je devinai qu'il ne savait pas trop quoi faire de l'enfant. Il la connaissait à peine, n'avait aucune idée de la façon dont on devait s'occuper d'une petite fille. Prise par une inspiration subite, je lui dis :

- Fillan, emmenons-la avec nous. Si, comme nous pouvons le craindre, les Anglais se trouvent à Inverie, alors, nous pousserons jusque sur Skye. Là, je suis certaine que nous serons en sécurité. Vous pourrez revenir ici si vous le souhaitez, mais je peux aussi m'engager à m'occuper de votre sœur et veiller à ce qu'elle ne manque de rien, en remerciement de tout ce que vous avez risqué pour moi. Et elle ne sera plus une charge pour votre oncle. Il est bon, mais il ne sait pas vraiment s'occuper d'elle. J'ai des enfants, des neveux et nièces. Elle fera partie de la fratrie et sera élevée comme les autres. Vous pourrez rester avec nous ou revenir à Glencoe, comme vous le voudrez.

Il ne mit pas longtemps à prendre sa décision et ce fut ainsi que nous quittâmes Aodh tous les trois. Le brave homme ne fit aucune remarque quant au fait que nous emmenions la fillette avec nous. Il me dit simplement :

- Vous prendrez mieux soin d'elle que moi. Depuis la mort de ma pauv' sœur, ma foi... Mais n'oubliez pas de lui faire savoir qu'elle appartient au clan des MacDonald ! Et parlez-lui de Glencoe quand elle aura l'âge de l'entendre...

- Je vous le promets. Je vous remercie de tout, Aodh. Prenez soin de vous.

Il me répondit par une vague phrase dans un gaëlique que j'eus du mal à comprendre, mais qui voulait dire quelque chose comme "Dieu aura pitié de moi...".

**

Edan ne possédait qu'une petite barque, mais elle semblait solide et il m'assura qu'elle tenait bien la mer. Je ne pus m'empêcher de penser à Kyrian qui craignait toujours de monter sur un bateau, même pour une courte traversée comme pour nous rendre à Skye. Il n'y avait guère que le Loch Nevis qu'il pouvait franchir ainsi sans crainte.

Pour éviter d'être repérés, Eilidh et moi-même nous couchâmes dans le fond de la barque, Fillan et Edan s'occupant de mener le bateau, l'un à la barre et l'autre au réglage de la petite voile. Dès que nous fûmes un peu au large, au milieu du Loch Linnhe, Fillan fit semblant de pêcher. Je demeurai cependant allongée au fond du bateau, tenant la petite fille contre moi et lui racontant des histoires qui me venaient à l'esprit, de celles que je racontais à mes enfants, le soir, afin de les endormir. Certaines, d'ailleurs, étaient des histoires que j'avais lues durant mon enfance à Lures. Elle m'écoutait sagement, ses grands yeux gris reflétant déjà le merveilleux et l'imagination.

Lorsque nous atteignîmes la pointe sud de l'île de Lismore, Edan mit cap à l'ouest pour remonter le bras de mer entre l'île de Mull et le continent. Puis nous fîmes étape pour la nuit près de Kilchoan, sur le Loch Sunart. Nous étions là en terre MacDonald, d'une autre branche que ceux de Glencoe, mais par prudence, Edan jeta l'ancre dans l'anse, sans que nous descendîmes à terre. Nous mangeâmes quelques provisions apportées pour le voyage, puis nous dormîmes au mieux, tous les quatre, dans le fond du bateau.

Nous repartîmes le lendemain, dès que le vent fut suffisant pour nous pousser hors du Loch Sunart, très large à cet endroit, pour remonter ensuite vers le nord. Les terres d'Inverie n'étaient plus très loin désormais et je sentais l'impatience me gagner. Lorsque je vis Mallaig se dessiner sur la rive, je sus que nous étions proches de l'embouchure du Loch Nevis et, bientôt, je vis la presqu'île apparaître. Je me tenais assise dans le fond du bateau, mais je pouvais nettement distinguer, par-dessus le bastingage, toute la côte. Je forçai mes yeux à regarder en direction du village, du château, lorsque nous passâmes l'embouchure du loch. Tout me paraissait calme, mais nous étions encore trop loin pour distinguer le moindre signe de vie.

Lorsque nous accostâmes au quai du village, cependant, je savais déjà que quelque chose d'inhabituel s'était produit. Rien ne bougeait, aucune fumée ne s'échappait des cheminées, on ne voyait pas âme qui vive. Et, du château, de même. A peine eus-je mis pied à terre que je courus aussi vite que mes jambes me le permettaient sur le chemin menant au château. Fillan courut derrière moi, mais je franchis le porche la première. La cour était vide, la porte principale était fermée, verrouillée. Je frappai contre le bois sans obtenir la moindre réponse. Seul signe de vie, la balançoire qui remuait doucement, poussée par le vent.

Les larmes me montèrent aux yeux, l'inquiétude devint peur. Où étaient les miens ? Avaient-ils été emmenés ? Mes enfants se trouvaient-ils entre les mains de Luxley, à Fort William ? Reprenant mon courage à deux mains, je fis le tour du château et parvins à entrer par la porte du cellier, derrière la cuisine. Elle était vermoulue et ne fermait pas très bien, ce que nos petits diables de Roy et Gowan avaient remarqué depuis longtemps.

Je gagnai rapidement la salle principale, et je ressentis un certain soulagement à constater que tout était en ordre, que la demeure n'avait pas été pillée. Je me dis alors que, peut-être, Jennie et Kyle avaient pris la décision d'emmener tout le monde ailleurs. Mais où ? Sur Skye, c'était certainement le plus plausible, mais comment en être sûre ? Fillan était toujours sur mes talons, me suivant avec une certaine retenue, découvrant les lieux. Je gagnai alors ma chambre et fouillai dans ma coiffeuse. Mes affaires y étaient toujours en ordre et j'y trouvai aussi le pistolet que Kyrian m'avait laissé, ainsi qu'une petite boîte de cartouches. Je pris le tout, puis me rendis dans la pièce qui servait de bureau à Alex et Kyrian, où ils recevaient des membres du clan quand c'était nécessaire et où Alex rangeait toujours certains documents et notamment les livres de compte, les relevés des fermages. Dans un des tiroirs, je trouvai une lettre écrite par Jennie.

A Héloïse, à Kyrian,

J'ignore si vous êtes encore en vie et si l'un d'entre vous trouvera cette lettre, mais nous avons pris la décision de partir chez ma cousine, Iona. Nous avons convaincu les gens du village de ne pas y rester. Certains vont se rendre chez des proches, dans les environs. D'autres viennent avec nous. Dès que la situation sera plus calme, nous reviendrons. Les enfants vont tous bien. Nous pensons bien à vous et espérons vous revoir très vite.

Jennie

Je serrai la lettre contre mon cœur et poussai un soupir de soulagement. Luxley ne les avait pas atteints et ils étaient en sécurité. Il me fallait maintenant me rendre sur Skye pour les y retrouver.

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