Disparitions inquiétantes
—Vous pouvez m’expliquez ce que je fais ici et pourquoi mon fiancé a été emmené avec des menottes aux poignets ?
—Calmez-vous madame me demande le flic d’un ton très doux. Je me présente, je suis le lieutenant Delafosse, et je vous présente Madame Hernandez, psychologue elle travaille avec nous sur quelques affaires.
Mes mains tremblent et mon cœur cogne fort contre ma poitrine. Moi qui n’ai jamais fait un seul excès de vitesse, je ne comprends vraiment pas ce que je fais ici. C’est la première fois que je mets les pieds dans un commissariat. Tout est arrivé si vite. J’étais dans la salle de bain en train de prendre ma douche quand j’ai entendu des hommes en bas. Je suis vite descendue et j’ai vu Léo entouré de trois policiers. Un d’eux s’est approché de moi et m’a demandé de reculer et de finir d’aller me préparer pour qu’on puisse m’emmener au poste. Ils n’ont rien voulu me dire et depuis je suis assise dans une toute petite pièce à attendre que l’on veuille bien me dire ce qu’il se passe. Le lieutenant Delafosse remplit trois gobelets avec une boisson qui a la couleur de café mais une odeur acide qui me pique le nez, si je n’étais pas dans un commissariat, je jurerais que ce liquide a pour but de m’empoisonner. Le flic tend un gobelet à la psychologue et en pousse un autre devant moi. Je le remercie poliment mais n’y touche pas.
—C’est à propos de mon voisin que je suis là ? Vous enquêtez sur sa disparation ?
—Nous allons y venir madame mais avant, j’aimerais savoir ce que vous faisiez le lundi six juin ?
—Euh bin, je ne sais pas… Pourquoi ?
—Ce n’est pas grave. Comment vous vous êtes connus avec monsieur Ravet ?
Cette question me donne le sourire immédiatement. J’adore raconter cette histoire. J’ai rencontré Léo tout à fait par hasard. Il travaillait dans une boutique de téléphone et j’y suis allée parce que j’avais un problème avec le mien. Le courant est tout de suite passé entre nous. Je lui ai fait croire que je ne savais pas trop bien m’en servir, histoire de passer un peu plus de temps avec lui. Une fois le dépannage terminé, je suis rentrée chez moi un peu déçue de ne pas avoir tenté ma chance. Quelques heures plus tard, je recevais un texto de lui, soi-disant pour être sûr que mon téléphone fonctionnait bien. On a continué à s’échanger des messages et puis il m’a invité à sortir. Depuis ce jour-là, nous sommes devenus inséparables.
Le flic hoche la tête puis plonge le nez dans son dossier. Le silence s’installe tout à coup. Je regarde autour de moi. Il n’y a pas de vitre teintée comme dans les films. Je n’avais pas remarqué à quel point la pièce était petite, les pieds de ma chaise collent au mur. Combien de criminels se sont assis à la même place que moi aujourd’hui ? Ces murs blancs ont dû entendre les pires horreurs. Ça doit être pour ça qu’il fait si froid. J’ai affreusement froid malgré l’énorme pull que j’ai eu le temps d’enfiler. J’espère qu’il existe une pièce plus conviviale pour les victimes. D’ailleurs, est-ce que je suis considérée comme une victime ou comme une criminelle ?
—Avez-vous remarqué quelque chose de différent chez votre fiancé ces derniers temps ?
Sa voix me sort de mes pensées, je plisse les yeux pour m’aider à réfléchir.
—Non, rien de spécial. Il est un peu fatigué mais sinon rien de spécial. Pourquoi ?
—Vous travaillez comme gestionnaire de paie dans une grande surface, c’est bien ça ?
Je suis étonnée de voir qu’ils ont enquêtés sur moi.
—Oui, au Leclerc d’Allonnes. J’y travaille depuis bientôt trois ans.
—Ça se passe bien ?
—Oui je m’y plais bien.
Sa capacité de passer d’un sujet à un autre me déstabilise, c’est leur technique préférée, je l’ai vu dans un épisode des experts. Je ne risque rien, je n’ai aucun crime à cacher.
Le policier fouille dans ses feuilles et en saisie une. Il me la tend, c’est le portrait d’une femme aux cheveux dorés. Je sens une boule se former dans ma gorge.
—Vous la connaissez ?
—Oui c’est Fabienne. Elle travaille avec moi, enfin je veux dire elle travaillait moi. Elle était comptable. On partageait le même bureau. Elle avait toujours le sourire, toujours une blague à sortir. C’était une femme très gentille.
Le lieutenant se racle la gorge
—Elle a été portée disparue depuis le six juin. Madame Leblé, je suppose que maintenant vous vous rappelez la journée du six juin. Pourriez-vous me dire ce que vous avez fait ce jour-là ?
—Euh oui je suppose, je dois tout décrire depuis le début ?
Il acquiesce.
J’essaie de me rappeler de tous les détails. Je me suis levée très tôt, comme tous les matins depuis que Léo m’a demandé en mariage. J’ai pris la décision de me reprendre en main et de perdre du poids, il est hors de question qu’il m’épouse avec mon poids actuel. Je me lève donc tous les matins vers cinq heures trente. Je me faufile dans la salle de bain, enfile ma tenue de sport, m’attache les cheveux et je descends sans un bruit pour boire un café. Je sors de la maison et commence ma session de marche rapide. J’adore marcher tôt le matin. J’ai cette impression que la ville m’appartient. Les maisons sont encore plongées dans le noir, je suis seule au monde, personne ne me voit et c’est très bien comme ça. Ensuite quand les maisons commencent à s’éclairer et le soleil se lever, je rentre chez moi, tel un vampire.
—Donc vous êtes allée marcher très tôt. Vous n’avez rien remarqué de spécial ?
—Et bien non, enfin, si. Il y avait une lumière allumée dans la maison d’à côté. Elle était inhabitée depuis presqu’un an.
Le lieutenant note quelque chose.
—Bien, donc vous êtes rentrée chez vous, et ensuite, qu’avez-vous fait ?
—Je suis allée à la salle de bain pour prendre une douche et quand je suis sortie de la salle de bain, Léo était dans la cuisine en train de préparer le petit-déjeuner.
Bien sûr je ne lui raconte pas le mal que j’ai eu à rentrer dans cette salle de bain et devoir me déshabiller devant le miroir. Je tais aussi le nombre de tenues que j’ai essayé avant d’en trouver une qui dissimule suffisamment mon ventre. Je ne lui raconterai pas non plus la crise de larmes que j’ai faite en montant sur la balance et voyant que je n’avais pas perdu un gramme depuis trois jours.
—Vous avez pris le petit-déjeuner ensemble ?
—Oui comme tous les matins.
—Il était quelle heure ?
—Je dirais sept heures trente. Ensuite il m'a emmenée au travail.
—Il vous emmène tous les matins ?
—Oui, nous n’avons qu’une voiture pour deux et pas les moyens d’en acheter une autre pour le moment et puis comme Léo travail essentiellement de la maison, il peut gérer ses horaires comme il veut.
La psychologue, une femme d’environ quarante ans, me fixe de ses yeux bleus.
J’ai l’impression qu’elle essaie de lire en moi alors j’essaie de dissimuler ma gêne et joue avec mes mains tout en évitant de croiser son regard, comme je le fais tous les matins avec mon miroir.
—Vous arrivez au travail, vous remarquez tout de suite que Fabienne n’est pas là ?
—Non en fait, je remarque surtout que plusieurs de mes collègues sont attroupés autour de Clémence dans la salle de pause. Clémence c’est la sœur de Fabienne, je ne la porte pas tellement dans mon cœur pour être honnête, elle est grande gueule, un peu bourrue et souvent très premier degré mais, la voir pleurer attise ma curiosité. Une de mes collègues me raconte que Fabienne n’est pas venue travailler ce matin. Je savais qu’elle devait passer le week-end avec un homme qu’elle avait rencontré sur internet. Cela ne m’a pas inquiétée sur le coup, je me suis dit qu’elle avait dû vouloir prolonger son week-end pour roucouler, mais Clémence avait essayé de la joindre plusieurs fois durant le week-end mais Fabienne n’avait donné réponse à aucun de ses messages. Elle avait trouvé ça très louche. Elle s’était donc rendue à son appartement la veille au soir, et avait trouvé sa valise prête dans le couloir, ainsi que son téléphone portable sur la table de la cuisine, mais pas Fabienne.
—Fabienne vous avait parlé de l’homme qu’elle avait rencontré ?
—Très peu, elle était très secrète sur sa vie privée. Elle m’avait juste dit que cela faisait plusieurs jours qu’ils s’écrivaient et qu’elle avait l’impression qu’ils se connaissaient depuis toujours. Vous pensez que c’est un enlèvement ?
—Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment madame Leblé, une enquête est en cours et nous avons plusieurs indices qu’il nous faut creuser pour le moment.
—Je fais partie des suspects ?
Il ne me répond pas. Je ne comprends pas pourquoi je serai suspectée. Pourquoi j’aurai kidnappé ma collègue de travail ? C’est ridicule. A croire que la police aime perdre son temps. Je saisie le gobelet sur la table. Parler m’assèche la bouche. Je savais très bien que le goût de ce café serait immonde mais froid c’est encore pire que ce que j’imaginais. Le goût est absolument dégueulasse. La psychologue, voyant ma grimace tend la main pour que je lui donne mon gobelet, elle tient à aller m’en chercher un autre. Je crois qu’elle s’ennuie.
—Je peux voir Léo ? Il va bien au moins ?
—Non vous ne pouvez pas le voir pour l’instant. Il me semble que ce jour là votre patron vous a donné votre journée.
—Oui, je suis rentrée chez moi à pied pour faire plus de pas sur ma montre et brûler plus de calories. Lorsque je suis arrivée, Léo venait de rentrer de la ferme où il était allé pour acheter du poulet. Je lui ai demandé s’il avait besoin d’aide pour mettre au congélateur, il a refusé. J’ai donc passé ma journée à trouver un traiteur pour notre mariage.
—Dans quelle ferme votre conjoint achète-t-il la viande ?
—Je ne me rappelle plus du nom, mais ce n’est pas très loin de chez nous. C’est la seule viande que je m’autorise à manger, en grosse quantité ça revient moins cher puis en plus la viande a meilleure goût que celle des grandes surfaces.
—La seule viande me demande-t-il en posant son crayon sur la table ? Il y a une raison particulière à ça ?
—Quand j’ai pris la décision de faire un régime, j’ai fait énormément de recherches sur internet. Vous n’imaginez pas tout ce qu’on peut trouver sur le net. Une femme recommandait pour perdre du poids de ne manger que des pommes, je n’avais aucune intention de devenir un distributeur à compote j’ai donc continué mes recherches. Je suis tombée sur un forum où une femme racontait avoir perdu une trentaine de kilos en ne mangeant que du poulet. Les légumes étaient autorisés, les féculents aussi mais en toute petite quantité, mais la seule viande autorisée, c’était le poulet car il est pauvre en graisse. Ça marche vraiment son truc puisque j’ai perdu douze kilos en six mois. Je suis encore loin de mon objectif mais je suis quand même contente.
—Bravo me dit la psychologue en me tendant mon gobelet de café. Je ne l’ai même pas vu entrer. J’imagine que votre conjoint doit être fier de vous ?
—Oui il m’encourage beaucoup.
—Vous avez déjà choisi votre robe ?
—Non pas encore, c’est encore trop tôt dans ma perte de poids pour envisager des essayages mais, j’ai déjà l’idée du modèle que je veux.
—J’imagine oui …
L’homme semble être agacé par la tournure que prend la conversation.
—Votre voisin vous le connaissez bien ? m’interroge-t-il tout en jetant un regard noir à la psychologue qui se renfonce dans le fond de sa chaise.
—On a fait connaissance oui. C’est un homme plutôt discret. Il se lève tôt et il a très vite remarqué que je passais tôt devant chez lui. Un matin il m’a rejoint et on a commencer à marcher ensemble quotidiennement.
—C’était quand la dernière fois que vous l’avez vu ?
—Le mercredi, il y’ a deux semaines. Je suis allée marchery comme tous les matins, sa maison était plongée dans le noir. J’ai pensé qu’il dormait encore, il lui arrive parfois de faire la fête. Je lui ai envoyé plusieurs messages, mais il ne m’a pas répondu. Vous pensez qu’il lui est arrivé quelque chose ?
—Il ne vous a parlé de rien ?
—Si, il était comme un fou. Sa petite sœur venait d’accoucher de son premier enfant. Il était tellement fier d’être tonton. Il devait se rendre sur Paris le samedi, toute sa famille est là-bas. J’ai donc supposé qu’il était tellement impatient qu’il s’était rendu chez sa sœur plus tôt que prévu.
—En effet ça aurait pu être possible, mais c’est sa sœur qui nous a contacté pour nous dire qu’elle s’inquiétait pour son frère car il devait venir et n’était jamais arrivé.
—Ah.
Deux personnes proches de moi qui disparaissent à six mois d’intervalle. C’est vrai que c’est étrange. Je ne m’étais pas trop inquiétée pour Chris, je connaissais son train de vie et son besoin de liberté, mais s’il n’a pas rendu visite à la personne qui le rendait le plus heureux, alors effectivement c’est inquiétant. Je commence à me dire que Léo et moi sommes peut-être les prochains sur la liste. Mon rythme cardiaque s’accélère, j’ai peur pour nos vies. Quelqu’un frappe à la porte et demande au lieutenant et à la psy de le rejoindre. Je me demande depuis combien de temps je suis enfermée dans cette pièce. J’essaie de me remémorer un détail qui pourrait les aider à les retrouver tous les deux mais rien ne me vient. Peut-être qu’il y a eu d’autres disparitions et que le lieutenant ne m’a rien dit. Mes épaules se contractent, mes mains deviennent moites et je commence à manquer d’air. Il faut que je fasse quelque chose, que je bouge. Je décide de me lever pour essayer de me dégourdir un peu les jambes quand le flic pousse la porte avec une telle force qu’elle tape dans le mur. Je sursaute et pousse un cri.
—Allez vous asseoir !
Le ton est devenu plus grave qu’auparavant. Son visage aussi a changé, les traits sont plus durs. Une ride s’est formée au milieu de son front. Je m’exécute avec l’impression d’être une meurtrière. Les larmes me montent et je les chasse du revers de la main.
—Je veux rentrer chez moi bordel ! Qu’est-ce que je fous là ?
—Madame Leblé, nous venons de trouver le téléphone de votre voisin caché dans votre garage.
—Quoi ? Mais c’est impossible ! Je n’y fous jamais les pieds dans le garage !
Une vague de chaleur me parcourt tout le corps en quelques secondes. Je me sens vraiment mal.
—Votre conjoint était-il jaloux de votre voisin ?
—Quoi ? Non pas du tout ! Je ne vois pas pourquoi il le serait. Chris est gay.
La psychologue entre dans la pièce sans me regarder, elle reprend sa place sur la chaise à côté du lieutenant et glisse une feuille devant lui. Il déplie la feuille et je ne sais pas ce qu’il y a d’écrit dessus mais il devient tout à coup livide, presque transparent.
—Vous n’avez pas une idée de comment le téléphone de votre voisin disparue a fait pour arriver chez vous ?
—Mais puisque je vous dis que non. C’est peut-être Léo qui l’a retrouvé sur le bord de la route et qui l’a mis dans notre garage. Je ne sais pas. Vous croyez quoi ? Que j’ai kidnappé Chris ? Et pour en faire quoi ? Le manger peut-être ?
La psychologue pousse des yeux et ouvre grand la bouche d’étonnement tandis que le flic lâche un petit rire nerveux.
Après tout, nous les grosses on est connus pour manger tout ce qui nous passe sous la main.
—Madame, murmure la psychologue en dégageant une longue mèche de cheveu derrière son oreille. Il va falloir être très forte.
—Madame Leblé, je vous informe que votre conjoint vient d’avouer le meurtre de votre collègue Fabienne et celui de votre voisin Chris.
Les mots parviennent à mes oreilles mais plus difficilement à mon cerveau. Je ne bouge pas. J’attends simplement qu’on m’annonce que c’est une caméra cachée.
—C’est quoi cette connerie ? Je hurle presque.
—L’homme du site de rencontre avec qui Fabienne échangeait des messages était votre conjoint. Elle lui avait donné rendez-vous en bas de chez elle avant de partir en week-end. Il est monté dans son appartement et l’a étranglé. Il nous a dit l’avoir choisi elle, car elle avait reçu une grosse promotion alors que vous la méritiez bien plus qu’elle.
—C’est n’importe quoi …
Je secoue la tête pour chasser toutes les horreurs que cet homme me raconte.
—Pour votre voisin, il a attendu le milieu de la nuit pour s’introduire chez lui par la porte de derrière. Il l’a tué pendant son sommeil avec un oreiller. Il nous a dit avoir été jaloux que vous soyez tous les deux aussi proches. C’est votre voisine qui nous a prévenue. Elle avait remarqué votre conjoint faire plusieurs allers retours entre votre maison et la sienne un matin après qu’il vous ait emmené au travail…
—Mais puisque je vous dis que c’est impossible ! Vous racontez n’importe quoi ! La voisine d’en face est très âgée, elle a dû se tromper, en plus elle a des problèmes de vue, elle ne ferait pas la différence entre un chien et une chèvre ! Plutôt que d’accuser mon fiancé sans raison, vous avez des preuves de ce que vous racontez ?
—Nous avons plusieurs indices oui. Nous avons également retrouvé des ossements dépourvus de chair enterrés dans votre jardin. Nous attendons les résultats des autopsies qui pourront nous confirmer leurs identités.
—Dépourvus de chair ? Je ne comprends pas.
Le flic baisse la tête, la psychologue, elle, glisse sa chaise à côté de moi et passe sa main dans mon dos.
—Votre fiancé nous a dit avoir dépecés les corps de ses victimes et avoir mis la chair dans des sacs pour les congeler.
—Dans des sacs ? Pourquoi faire ? C’est n’importe quoi, il n’y a que du poulet dans mon …
Je semble réaliser au moment où je prononce ces mots. Mon congélateur est presque vide. Mes yeux se révulsent et mon corps semble m’abandonner quand je sens les deux mains de la psychologue me rattraper.
Mon régime était cannibale.
Annotations
Versions