Le stade de la fureur
Rares sont les occasions de se désaltérer uniquement au champagne, de sentir, sur le bout de sa langue, éclater ses fines bulles, comme autant de minuscules picotements qui étourdissent un corps et grisent son esprit. J’avais commencé à boire tôt, à la sortie du déjeuner, et maintenant, j’en ressens pleinement les effets. Privé d’eau, l’alcool, sans s’en rendre compte, est monté d’un coup. Chaque verre appelle le prochain, soit pour tomber dans l’état délicat où je suis à l’aise en société, soit parce que je l’ai dépassé. Entre les deux, il existe une multitude d’états, entre rage et désespoir, qui, à eux seuls, dépeignent la majorité des sentiments humains. Là, j’ai atteint le stade de la fureur. J’ai envie de la prendre, de déchirer ses habits et de la porter tout haut, au milieu de la foule et puis, d’une voix grave, lui dire : tu es à moi maintenant, tu n’y peux rien, moi non plus. Elle ne m’attire pas, ce n’est pas mon style, et pourtant, c’est tout ce que je désire. J’éprouve souvent des sentiments contraires, qui se suivent, s’entremêlent, et placent dans mon esprit des images terrifiantes. Ici, j’ai commencé en étant heureux pour les mariés, fier pour mon cousin, et puis, pris de court, j’en suis venu à vouloir tout détruire, en ce jour même où elle est la femme la mieux gardée du monde. C’est sûrement de la savoir convoité qui m’excite, de la voir heureuse, épanouie. Je lui en veux peut-être, de montrer au monde ce bonheur qui m’échappe, qui m’a tendu les doigts avant de s’effacer, sans jamais plus donner signe de vie. Au milieu de ce jardin, la centaine de convives sont autant de paires d’yeux qui reluquent la mariée, étonnés sans doute de la voir si belle. Souvent négligée, elle est sublimée par l’occasion et les cosmétiques.
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