9 - Orange

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NdA : Désolée si rien n’est dans l’ordre pour tout ce qui concerne Kerri. L’histoire n’étant pas écrite, il n’y a rien de bien construit (pour l’instant ?), mais pour vous donner une idée, ce texte se passe après Horloge Cassée et avant La Parfumerie de Madame Tellet et Cœur. Ici, Kerri est adolescente. ^^ Sinon, merci Océane pour le choix du mot "orange" ! Il m’a plutôt bien inspirée ! :D

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Kerri avait passé la nuit à vadrouiller, habitude prise depuis quelques temps. Elle abandonnait la sécurité et le calme aseptisé du palais impérial pour l’animation de la ville et l’exploration des différents quartiers. Dans certains d’entre eux, ça sentait vite le roussi, mais d’autres étaient agréables à parcourir et cela lui plaisait.

Depuis son enfance, elle n’était plus retournée à l’extérieur. Aucune occasion ne s’était présentée et elle n’y avait plus pensé jusqu’à l’âge bête. Si sa mère s’était vite plue dans les plus hautes strates de l’Empire, Kerri semblait avoir hérité de son père une certaine tendance à prendre la tangente sans prévenir. Une pointe de culpabilité serrait son cœur mécanique à l’idée d’inquiéter l’Empereur, ce dernier ayant certainement remarqué son absence. Elle allait rentrer dans la journée, pour le rassurer. Cela lui importait plus que son vagabondage.

Assise au bord de l’eau, elle regardait de lourds navires glisser sur les flots et accoster les usines en briques à l’horizon. Une fumée noire sortait des innombrables cheminées et obscurcissait le ciel. Si elle ne se trompait pas, elle contemplait la zone des abattoirs mais elle n’avait pas envie de confirmer en s’approchant. Elle ne s’était encore jamais aventurée de ce côté de la ville et cela ne la tentait pas plus que ça.

Dans d’autres circonstances, peut-être y travaillerait-elle. Si sa famille n’avait pas été prise en charge par l’Empereur. Si sa mère ne lui avait pas offert ce dont il avait le plus besoin. Si elle n’avait pas été sauvée par sa greffe mécanique. Peut-être son père se trouvait-il dans un de ces bâtiments, trimant pour gagner sa croûte après avoir choisi d’abandonner compagne et enfant. En ce qui la concernait, Kerri lui souhaitait de croupir dans le caniveau, sans le moindre sou. C’était mérité quand on maintenait les bras de sa fille de six ans et exposait sa poitrine pour que sa concubine lui arrache le cœur.

- Tiens, salut Kerri, qu’est-ce que tu fais là ?

Elle se tourna et reconnut Halil, un garçon de son âge qu’elle avait rencontré dès sa première expédition en ville. Un très joli garçon avec des yeux sombres et de courtes boucles noires qui encadraient esthétiquement son visage. Ils s’étaient tout de suite entendus et elle pouvait dire qu’il était un ami. D’aucun diraient que leur rencontre tenait du destin car il n’était pas censé sortir, lui non plus. Kerri, elle, y voyait plutôt une heureuse coïncidence.

- Salut, et toi, qu’est-ce que tu fais là ?

- Une petite course pour Mrs. Lury.

- Viens t’asseoir.

- Pas le temps. Par contre, tu tombes bien, j’ai quelque chose pour toi !

Il s’approcha d’elle, qui se leva et s’épousseta les fesses, tandis qu’il lui tendait une petite besace d’oranges.

- Où tu as eu ça ?

Le fait est que ces fruits n’étaient pas cultivés ici mais venaient de l’étranger. Jusqu’ici, Kerri n’en avait vu que dans les livres et senti que dans un flacon de parfum offert par sa mère. Flacon qu’elle avait troqué en échange d’un vieux whiskey qui lui avait valu sa première cuite.

- On vient de me les donner, je n’aurais pas à les céder à Mrs. Lury ou les manger seul !

- Et tu me les files ensuite ? Et toi ?

- Je ne pourrais pas les cacher. C’est comme ça, où je vis. Je préfère te les donner.

- Gardes-en une, au moins.

- Je ne pourrais pas la savourer comme il se doit, ce serait du gâchis. Allez, accepte !

Elle n’eut pas d’autre choix et prit la besace avec reconnaissance. Elle le remercia d’un baiser sur la joue qui le surprit, et il utilisa l’excuse de son emploi du temps serré pour partir à toutes jambes. Kerri le suivit du regard, puis prit le chemin du palais impérial.

C’était surprenant qu’une jeune fille puisse entrer et sortir si facilement de la demeure de l’Empereur, et même de pouvoir l’approcher. C’était vrai, mais Kerri avait ses passe-droits, et tout le monde le savait ici tandis qu’en ville, elle était une passante comme une autre. Ses connaissances ne savaient rien de ce pan de sa vie et ça lui plaisait de ne pas être regardée comme une anomalie, une roturière qui n’était pas digne d’approcher le dirigeant.

- Bonjour, dit-elle en rejoignant justement l’Empereur.

Il était assis dans son fauteuil mécanique et regardait la ville depuis l’une des immenses fenêtres. Sûrement avait-il déjà reçu ses conseillers et sujets des autres strates de l’Empire, comme tous les jours très tôt le matin. Il profitait donc d’un peu de temps libre. Tout vêtu de blanc, nimbé par la lumière du jour, il personnifiait la lumière et la pureté, tout l’inverse de ce ciel noirci de fumée et des pavés sales de certains quartiers de la ville. Le sourire qu’il adressa à Kerri donna l’impression à cette dernière de réchauffer son cœur mécanique.

- Enfin, te voilà.

- Je savais que tu t’inquièterais si je te disais que je voulais sortir.

- Ne pas me le dire est encore pire, je pense.

- Désolée. N’envoie pas des troupes me rechercher, la prochaine fois : je te préviendrai.

- Merci.

Il eut la délicatesse de ne pas lui demander où elle était allée, par respect pour son besoin d’indépendance, pour ne pas qu’elle se sente étouffée. Elle s’installa à côté de lui et lui raconta elle-même ses escapades et ses découvertes, qu’il écouta d’une oreille bienveillante, sans la juger. Jamais l’Empereur ne lui avait dit ce qu’une jeune fille convenable devait faire, et elle lui en était reconnaissante.

- Regarde ce qu’on m’a offert, conclut-elle en lui montrant une orange, parfaitement ronde et parfumée.

- Voilà qui est surprenant, il y en a si peu dans les échanges commerciaux.

- Tu en as déjà mangé ?

- Non.

Kerri se rembrunit. L’Empereur pouvait se permettre un régime de fruits exotiques et chers, mais ses conseillers et précepteurs avaient suivi à la lettre une éducation traditionnelle et stricte. Selon ladite tradition, le dirigeant ne devait pas jouir des plaisirs de la vie dont ceux de la table. Il devait être tout dévoué à son rôle. Depuis toujours, la lignée impériale suivait donc un régime insipide. La nourriture était fine mais fade, efficace pour éviter les carences mais sans le moindre goût.

Voilà ce qu’elle n’aimait pas ici. Cet univers stérile, jusqu’au blanc porté par l’Empereur. Elle lui tendit donc le fruit charnu avec un air de défi.

- Tiens.

- Non, merci. C’est très gentil, mais…

- Oui, je sais, et alors ? Ce n’est pas une orange qui va te détourner de ta mission impériale et puis c’est une bien piètre récompense pour avoir vaincu la Noirceur durant la dernière éclipse ! Allez, tiens !

- … Je…

- Si tu me parles des conseillers, je te dirais qu’ils peuvent aller se faire foutre !

L’Empereur écarquilla ses yeux d’un bleu très pâle puis pouffa de rire. Cela ne lui était jamais arrivé avant que Kerri ne débarque dans sa vie. Les émotions n’étaient pas non plus bien vues dans l’éducation d’un Empereur.

- Voici donc ce que tu apprends durant tes escapades.

- Et c’est satisfaisant ! Allez, mange avec moi ! insista l’adolescente avec un grand sourire.

L’Empereur y répondit et céda, prenant le fruit et le faisant tourner entre ses mains. Tout en l’épluchant précautionneusement, il lui demanda où elle avait eu ces fruits et elle lui parla de son ami Halil, de son existence compliquée et de cette femme, Mrs. Lury, qui le surchargeait de travail.

- Il aurait mérité de manger ces oranges. Ce n’est pas comme s’il pouvait s’en offrir, soupira-t-elle, avant de mordre dans un quartier qui embaumait.

Elle fut surprise par le joue qui lui coula sur le menton et tenta de faire bonne figure face à l’Empereur qui la regardait avec clémence. Il alla jusqu’à lui essuyer le visage avec sa manche qui perdit de sa blancheur immaculée.

- Je ne suis plus une enfant ! tempêta-t-elle, pour la forme.

Il ne la contredit pas ni ne répondit par la taquinerie. Il se contenta d’un doux sourire.

- Ma vie serait bien triste sans toi, Kerri.

- Hein ? s’étonna-t-elle, touchée.

Mais l’Empereur se reprit.

- Tu pourrais faire une brioche ou des gâteaux secs avec les zestes d’orange, et l’offrir à ton ami. Cela lui permettrait d’en profiter un peu, et ça se conserve mieux que des fruits frais, conseilla-t-il de sa voix toujours aussi paisible.

Kerri finit par hocher la tête.

- Bonne idée.

Il finit par goûter un quartier d’orange et affirma qu’il n’avait rien mangé d’aussi délicieux.

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