Pensez positif !

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  • Monsieur Janvion, je pense que votre problème c'est que vous voyez tout négatif. Vous devez rebondir. Il y a une méthode qui nous vient des States : c'est la pensée positive. Pensez positif Monsieur Janvion et vous verrez tout s'arrangera... 

Ainsi mon conseiller Pôle Emploi me rabâche depuis dix minutes le pourquoi de mes échecs successifs à mes entretiens d'embauche. Ce grand couillon de trente ans n'a jamais connu le chômage. Il est sorti de la fac, a passé un concours, a obtenu la 234e note sur 289 postes et plus de 2000 candidats, mon conseiller a l'impression d'être un winner. Alors il se permet non sans condescendance de donner des conseils à ceux qui eux sont arrivés 292e au même concours. Le bougre en rajoute :

  • Bon dans l'immédiat, je pense que si vous ne trouvez pas d'emploi c'est que vous ne savez pas assez vous vendre. Alors je vais vous inscrire à la formation sur la lettre de motivation et l'entretien. Ne baissez pas les bras.

Se vendre ? Alors c'est ça en fait l'employé, c'est un type qui s'est vendu ? Moi qui croyais que l'esclavage avait été aboli. 

Après l'entretien, je consulte les annonces : comme d'habitude rien dans ma branche, je vais me rabattre sur les offres non qualifiées. Alors... manutentionnaire... SMIC... 5 ans d'expérience... motivé... travail en équipe... lettre de motivation ... il faut en plus montrer qu'on est motivé pour un travail de merde mal payé, est-ce ma négativité chronique qui me fait prendre cela pour de l'humiliation ?

A côté de moi, un type encore plus mal en point que moi cherche aussi l'emploi de ses rêves. Mal rasé, mal coiffé, fringues fripées, chaussures limite trouées, il m'adresse la parole :

  • Vous aussi vous cherchez un emploi ? Parce que moi ça va faire deux ans que je cherche. Avant j'étais employé chez .... Et puis j'ai été licencié pour cause de ... Parait qu'ils embauchent des soudeurs chez ... mais j'ai pas de formation de soudeur, je vais en demander une à mon conseiller. 

Le pauvre gars, ça doit faire au moins sa dixième formation subventionnée. Le genre de type qui passe son temps de formation à stage, car il ne se sent jamais à la hauteur de rien. Un gros type le bouscule en passant et l'autre paumé qui s'excuse. 

Je suis le gros du regard : avec son costard et sa bouille de quadra, c'est le genre cadre remplacé par un plus jeune, un plus dynamique, un plus con. Lui il est déjà fini, il mettra en avant son expérience, on lui rétorquera son âge et son manque de créativité.

Je me paye un café à la machine et je sors sur le parking. Là une femme maigrichonne et stressée en est à sa cinquième clope. Je la connais, encore une habituée des lieux. Elle, le problème ce sont les dépressions, c'est une bipolaire, la dernière fois qu'elle a eu un job elle a pas supporté la pression. Faut dire qu'employée dans une agence immobilière c'est fou comme on est sous pression.

Dehors il y a les immeubles aux façades aussi grises qu'un ciel de novembre en Mayenne, et puis la route embouteillée par les veinards qui sortent du travail à midi. Je m'amuse souvent à les regarder : les gens normaux, ceux qui font tous les jours la même chose pour avoir la chance de toucher un salaire. Ils sont toujours seuls dans leur voiture et tirent tous la gueule. J'ai du mal à croire en les voyant que le travail épanouit.

J'entends des sirènes : police, pompiers, ambulances... il y a l'air d'avoir de l'animation en centre-ville. Je veux passer un coup de fil mais le réseau est saturé. C'est curieux. 

Je marche jusqu'au parking ; cette fois la sirène de la ville retentit et je vois des gens qui courent dans la rue comme des dératés. Des coups de feu retentissent et là ma curiosité se mue en inquiétude : que se passe-t-il ? Un attentat ? Je vais d'un pas pressé au café des sports tout près d'ici. Cette fois les voitures sont pare-chocs contre pare-chocs et les gens s'énervent en klaxonnant car ça n'avance plus du tout, sauf dans l'autre sens en direction du centre où passent maintenant des véhicules militaires. J'entre dans le café et je m'empare de la télécommande; les clients gueulent car j'ai mis fin au match de foot. Je zappe sur toutes les chaînes mais curieusement aucune ne parle d'attentat ni de catastrophe dans ma ville. Il y a même des reportages sur la douceur de vivre du pays, on dirait que tout a été mis en oeuvre pour empêcher la panique, un chef d'oeuvre de censure, ça présage rien de bon.

Un poivrot pousse un râle en désignant le parking de Pôle Emploi en tremblant : voilà que le cadre chômeur de tout à l'heure se bagarre avec une jeune fille enragée. Sur la rue, une bande de badauds se jettent sur les portières et les pare-brises des automobilistes. Des bruits de verre qui se brisent et des cris font penser à une émeute. Des gens sortent de leurs voitures et les voilà aux prises avec les émeutiers. Je n'en crois pas mes yeux : il y en a des centaines et ils ont l'air furieux. Certains se jettent au cou des gens et semblent les mordre. Du sang gicle, je prends un verre de whisky que j'avale cul sec, je suis terrifié comme tous les clients du bar. 

L'alcool m'a redonné un peu de courage : fuir, il faut fuir, tout de suite. Ma voiture est sur le parking, celui-ci est étrangement calme en comparaison de la rue. Le pauvre quadra de tout à l'heure gît par terre dans une mare de sang. ça craint grave. Je pense qu'il faut partir mais la rue est bloquée, heureusement le parking a une autre sortie sur une petite rue transversale, je sais bien éviter les bouchons pour rentrer chez moi. Je décide de tenter le tout pour le tout, ma clé en main, je sors du café et je cours dans le parking sans regarder autour de moi. J'entends les cris de terreur des gens et des grognements de bêtes féroces. Je ne cherche pas à comprendre alors je fonce. Me voilà au milieu des voitures, la bipolaire m'appelle :

  • Au secours ! 

La pauvre est coincée sur une camionnette entourée d'émeutiers. Je reconnais le champion des stages et des formations, il essaye en sautant de lui mordre les mollets. Le gars est livide, ses yeux vitreux, du sang coule d'une plaie béante au niveau du cou et il grogne comme le ferait un ours. Qu'est-ce qu'il se passe enfin ? J'hésite : dois-je me porter au secours de la demoiselle en détresse ou plutôt entrer dans ma voiture qui n'est qu'à quelques pas ? Soudain le quadra qui gisait à terre m'attrape la jambe et essaye de me mordre. Il a l'air mort et pourtant veut me manger ! Alors que j'essaye de dégager ma jambe, je comprends : ce sont des zombies comme dans les films ! Ils vous contaminent avec des morsures comme les Schtroumpfs Noirs.

Je donne des coups de pied, le gars s'en prend plein la gueule et pourtant ne semble pas sentir les coups. Je me souviens : dans les films il faut leur éclater le crâne avec un objet fortement contondant ou une balle d'arme à feu. Ça y est j'ai décidé : tant pis pour la fille, c'en est trop pour moi, je suis pas un héros, je me casse. 

J'entre dans ma voiture, une vieille Ford achetée d'occasion que j'ai pas les moyens d'entretenir correctement. J'enfonce la clé et j'essaye de démarrer : voilà que cette foutue caisse a du mal. J'essaye une fois, deux fois, trois fois... pourvu que la batterie tienne. Je savais que j'aurais dû la changer mais c'était ça ou l'assurance. Punaise, pourquoi j'ai choisi l'assurance ? Les dégâts liés aux zombies ne sont pas couverts, c'est sûr. Je démarre, je mets la marche arrière et j'éclate au passage un de ces monstres.  Je manœuvre et m'apprête à passer la première. Je vois mon conseiller qui sort en courant poursuivi par des zombies, le visage effrayé. Il hurle :

  • Aidez-moi ! 

Par la vitre, je lui lance tout en accélérant :

  • Pensez positif ! Pensez positif et tout s'arrangera !


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