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Catherine a la bienveillance de me tendre un mouchoir que je porte aussitôt à mes yeux. Je n’ai pas pu retenir les quelques larmes qui s’y sont présentées. Je suis toujours ainsi lorsque je parle de mon père. Les émotions prennent le dessus. Elles aiment me ramener plus bas que terre, là où l’on galère pour se relever.

— Et comment l’avez-vous vécu ?

— Sa mort ?

— Oui. 

— Compliqué, car il est parti très vite. Et je crois que personne n’a eu le temps de se faire à l’idée. Pas même lui. 

Catherine dépose sur son cahier les mots, les sentiments intimes que je lui confie. Je serais curieuse de découvrir ce qu’elle y inscrit, sur moi, comme sur ses autres patients.

Le café a refroidi. Comme si j’étais dans ma propre cuisine, je me lève et en fais couler un second. 

— Vous en voulez ? 

— Non, merci, lâche-t-elle. Mais reprenez, s’il vous plait. 

Je me réinstalle sur le fauteuil, souffle sur mon café brûlant pour ne pas m’ébouillanter et reprends le fil de la conversation.  

— Le plus difficile dans sa mort, ç’a été de découvrir son secret.  

Au décès de mon père, je suis très vite la seule à garder la tête sur les épaules. Ma mère s’est transformée en zombie, ma sœur est devenue muette et ma grand-mère n’est plus que l’ombre d’elle-même. Un décès n’est jamais le bon moment pour perdre pied. Il y a des tonnes de paperasse à remplir, des dizaines de démarches à réaliser. Il faut apprendre à mettre son deuil sur pause, apprendre à le regarder en replay. C’est ce que je suis parvenue à faire.

Au lendemain de son décès, je m’aperçois que mon père s’est occupé de certaines étapes difficiles. Il n’avait jamais rien dit à ce sujet, probablement pour ne pas nous inquiéter davantage. Dans son bureau, précieusement gardé dans un tiroir scellé, je mets la main sur un porte-documents. À l’intérieur, des contrats d’assurance, des factures du funérarium, un testament, et une carte. Cette carte, elle sentait aussi bon que lui. Il l’avait aspergé avec son parfum. Je me suis installée sur le fauteuil dans lequel il aimait lire et je l’ai ouverte.

« Mes amours,

si vous découvrez cette lettre c’est que votre père a décidé de s’offrir quelques années de vacances au Jardin d’Eden. Parait-il que le vin y est très bon, qu’il y fait beau toute l’année et que l’on peut garder un œil sur vous. » 

Je souris à la lecture de ses mots, tandis que mes joues se couvrent de larmes.

« Quand le cancer est revenu, j’ai décidé de prendre les devants. Pas question de le laisser gagner jusqu’au bout. Dans la pochette, vous trouverez mes derniers vœux, mon contrat avec le funérarium et diverses factures. Vous le savez, votre père n’a jamais aimé le noir. C’est pour cela que pour mon enterrement, je vous demande de venir habillé de vos plus jolies couleurs. Je vous demande de me célébrer, plutôt que de me pleurer. Depuis le nuage sur lequel je serais, probablement en train de boire mon pinard et de fumer une cigarette qui me fait envie depuis des années, j’espère lire sur vos visages, l’écho de nos souvenirs passé.

N’oubliez pas, ils n’ont pas toujours été si tristes. Je tiens à revoir vos doux sourires et à entendre vos rires dont je ne me lasserais jamais.

Je vous aime, votre père. » 

Pendant près d’une heure, je suis restée assise sur son fauteuil à tenir sa carte contre mon cœur. Quand ma sœur est entrée dans la pièce et qu’elle m’a découverte ainsi, je n’ai pu que lui faire lire la carte à son tour. Assises l’une sur l’autre, nous sommes restées à pleurer pendant des heures, la carte collée à nos cœurs.

Il fallut s’occuper des démarches liées à son décès. Contacter la mairie et rassembler les documents nécessaires furent les premières. Ma mère ayant perdu notre livret de famille, je fais une demande d’acte de naissance à la mairie de Reims. Ils sont efficaces. Le certificat arrive le lendemain.

À mon arrivée à la mairie, je suis accueillie par la chaleur de Ludivine qui me prend dans ses bras. Elle aussi vient de perdre son papa. Elle sait ce que je traverse. Elle connait ce sentiment d’impuissance qui fait surface à la perte d’un être cher. Elle m’invite à la suivre dans une petite pièce, pour être plus tranquille. Elle me propose quelque chose à boire, à manger. Je refuse, car je veux en finir au plus vite. Être dans cet endroit est un supplice.

— Il vous faudra prévenir l’assurance de votre papa, annuler les différents contrats auxquels il a pu souscrire, organiser les obsèques.

Je craque. Ludivine m’enlace de nouveau. Je suis admirative car, à son si jeune âge, je la trouve apaisée. Je serai incapable d’affronter le deuil d’une inconnue alors que le mien n’est pas encore terminé.

Tandis que je m’efforce de ne pas pleurer, Ludivine analyse les documents que je lui ai ramenés. Elle s’arrête sur l’acte de naissance.

— Donc, votre papa est né à Reims le vingt-et-un mars 1956, enfant de Sandrine Lucas, née à Reims le douze juillet 1936. Par contre, la page du père est vide. 

Catherine n’a pas perdu une miette de mon récit. Elle a d’ailleurs arrêté de retranscrire mes mots sur son cahier.

— Mon père est mort sans jamais connaître son histoire.

Catherine est dubitative. Je sens la lourdeur de son regard.

— Pourquoi ça ?

— Il n’a jamais su que son père, n’était pas son père biologique.

— Et ça, vous n’en avez jamais parlé à personne ? 

— À personne, dis-je. J’aurais provoqué un tsunami. Et lorsque j’ai voulu en parler à ma grand-mère, je me suis très vite ravisée. Le décès de son fils l’avait détruit.

— Mais Anna, ça fait presque huit ans. 

L’on ne réalise pas que les années défilent si vite. Le temps, c’est impossible de le mettre sur pause. Pourtant, j’en ai parfois rêvé. De l’arrêter un instant ; de regarder par-delà mon épaule et de me réjouir de ces souvenirs qui m’ont construites.

— Si l’on admet que le grand-père que vous avez connu n’était pas votre grand-père biologique, reprend-elle, quel impact cela aurait-il sur vous ? 

— Je reprendrais bien un café.  

— Anna. 

Je lève les yeux au ciel, agacée par le virage de notre conversation. 

— Je ne sais pas, dis-je. J’ai laissé ce supposé secret derrière moi avec l’envie de regarder l’avenir, pas le passé. 

Catherine rumine et gratte quelques mots sur son cahier. 

— Je vous pensais un peu plus curieuse, voilà tout. On se revoit la semaine prochaine ? Même jour, même heure ? 

À mon retour, Louis est absent, bien qu’il m’ait promis ce matin dans le creux de l’oreiller d’être présent pour le dîner. À croire que sa montre est tombée en panne. Tant pis, le dîner se fera en compagnie de Bowie, de Susan, de Brie, de Lynette, de Gaby et de Renée. 

Dans le congélateur, j’attrape un plat à faire réchauffer. Je n’ai pas le moral à préparer quoi que ce soit d’autre. J’ouvre une bouteille de vin et m’installe devant la télé, un plaid sur les jambes, le chat à mes côtés. Pour la première fois depuis longtemps, je pense à ce potentiel grand-père, à celui que je n’ai pas eu la chance de connaître. Cela me rend furieuse. Jusque-là, je refusais de me replonger dans ces souvenirs. Je voulais honorer l’âme de l’homme que j’ai aimé comme tel. Pourtant, je n’y peux rien, cette conversation avec Catherine m’a secouée bien plus que je l’imaginais.

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