Le confident
Lorsque je me rendis à nouveau à la résidence, la semaine suivante, j’étais motivé à l’idée d’y croiser Blue dans le hall. En vérité, j’étais aussi un peu inquiet de la voir alors que je serai en compagnie de Clara.
Je n’essayais pas de draguer Blue ou quoi que ce soit. On avait juste commencé une amitié étrange. C’était quelque chose que Clara n’aurait certainement pas compris, et elle m’en aurait fait des reproches. Il n’était donc pas nécessaire qu’elle en soit informée. Mais au fond, j’avais surtout peur que Blue découvre en moi le petit ami pas très intéressant que je pouvais être, mon vrai visage, en quelque sorte. Celui qui n’apparaissait pas quand j’étais avec elle. Avec Blue, je me sentais devenir quelqu’un de bien plus intéressant.
Je scrutais l’espace de travail du hall, espérant la voir, juste pour marquer la journée d’un simple contact social, histoire de donner une suite à notre rencontre. Tant que je pouvais encore être seul, c’était le moment lever pour juste la saluer. Mais elle n’était pas là. À la place, je croisai le regard du garçon que j’avais aperçu emménager la semaine précédente. Il me salua d’un grand sourire, comme s’il me connaissait déjà.
— Je te croise souvent ici, toi. On est sûrement voisins, mais on s’est jamais présentés, dit-il, amical, les yeux pleins de bonnes intentions.
Au fond, je crois que j’aimais bien l’idée qu’on ne se parle pas vraiment. Ça me permettait de penser que j’avais sympathisé avec quelqu’un dans ce bâtiment, sans préciser que cela n’était qu’en surface. Et là, j’allais devoir improviser la vie que j’aurais voulu vivre ici pour paraitre plus intéressant face à ce nouveau locataire amical.
— Oui, je me souviens de toi, je t’ai même vu le jour où tu as emménagé. J’habite au deuxième, appartement 223, au bout du couloir.
— Ah oui, je vois bien où c’est, acquiesça-t-il. Moi c’est Donovan. J’suis au 322, au troisième. Tu devrais passer à l’occasion qu’on fasse un peu connaissance.
Son sourire inspirait confiance. Je ne pus m’empêcher de lui promettre de passer, en souriant à mon tour. Il avait l’air pressé, mais satisfait de m’avoir invité. Il reprit son chemin vers l’extérieur en me lançant encore :
— Je dois filer. Mais, oublie pas, hein ! Passe me voir !
À cause de ses examens, Clara avait plus de révision et elle me demandait moins d’attention. Moi, je n’avais toujours pas trouvé l’envie de me mettre au travail, alors je traînais dans la résidence, sans aller la voir pour autant.
J’avais très envie de rendre visite à Blue, mais je n’osais pas. J’avais trop peur de croiser Clara. Je guettais Blue dans les parties communes, espérant une rencontre fortuite pour forcer la chose sans m’imposer à elle et garder l’air cool, mais je ne la voyais jamais. Quand je finissais par aller chez Clara, à chaque fois que je passais devant la porte de Blue, j’imaginais ses yeux derrière le judas, m’observant en silence. Que pensait-elle de moi ? J’hésitais. À chacune de mes visites, je ne savais plus à quelle porte je devais frapper.
Un soir, particulièrement perturbé par l’absence de signe de Blue, je sentis le besoin de voir quelqu’un d’autre que Clara. Quelqu’un avec qui je pourrais parler de cette amitié étrange, née un soir pluvieux et qui n’avait jamais eu de suite à mon plus grand regret. Je repensai à l’invitation de Donovan. J’avais un peu menti, je risquais d’être démasqué si je le revoyais, mais si je n’osais pas frapper chez Blue, je devais bien oser frapper ailleurs.
Je toquai nerveusement trois coups à la porte 322. Rien ne se passa. J’étais sur le point de repartir, un peu honteux, quand j’entendis un verrou. La porte s’ouvrit lentement. Donovan apparut, toujours avec ce même regard chaleureux plein de vitalité.
— Ah c’est toi ! Je suis content que tu sois venu. Moi j’osais pas venir à toi, vu que tu m’avais pas vraiment invité à le faire, dit-il en riant un peu superficiellement.
— Salut Donovan. Je te dérange pas ? J’avais rien de prévu ce soir, je me suis dit que c’était peut-être le bon moment pour passer te rendre visite.
— Bien sûr, t’as bien fait. Entre ! J’ai acheté des bières cet aprèm, elles doivent surement être bien fraîches maintenant.
Je pénétrai dans l’appartement. Là aussi, je reconnu la configuration de chez Clara et Blue. Une entrée avec salle de bain et toilettes, puis le salon et au fond une petite chambre. La décoration était sommaire chez Donovan. Des murs vides à l’exception d’une écharpe de supporter d’une équipe de football que je ne connaissais pas, et une photo d’un chien, encadré, posée sur la commode. Au centre du salon trônait un bureau noir, où était posé un ordinateur portable sophistiqué clignotant de LED multicolores.
— C’est mon poste de gaming ici, la place névralgique de l’appart, dit-il d’un air jovial.
Évidemment, je jouais moi aussi à des jeux vidéo en ligne, comme beaucoup de garçons de mon âge. Je comprenais tout de suite ce que voulait dire Donavan, et je lui répondis d’un sourire amusé. Il débarrassa la table basse, pleine de feuilles de papier et d’affaire en vrac, et y déposa les bières qu’il sortait du frigidaire. Et, d’un coup sec contre le coin de la table, il décapsula les bouteilles en verre. Puis, il m’en tendit une.
— Allez, trinquons au voisinage !
Et nous trinquions.
— Appelle-moi Don, au fait. C’est plus simple. dit-il entre deux gorgées.
— Ça marche.
— Alors, dis-moi 223, comment est le voisinage par chez toi ?
J’avais l’impression qu’il cherchait à me faire parler de Blue. J’étais surpris qu’il puisse la connaitre, lui qui venait d’arriver. Avait-il, lui aussi, été invité un soir à boire le thé ? N’étais-je donc pas une rencontre si singulière ? Toute cette belle histoire que je m’étais imaginée m’apparut soudain du point de vue de Blue comme des plus banale. Alors que, pour moi, elle avait été pleine de mystère et de sensualité. Je devais éclaircir auprès de Don ce qu’il savait de l’étrange voisine.
— Je ne sais pas vraiment, à pars la voisine d’en face, je ne les connais pas. Tu vois de qui je parle ? Une fille plutôt pâle avec des cheveux noirs, et une frange. avouais-je impassible.
— Alors tu la connais ! s’exclama Don.
— Et toi, comment tu la connais ? Tu viens d’emménager, non ? questionnais-je sur un ton de conversation pour ne pas montrer le grand intérêt que j’avais à savoir.
— Je l’ai rencontré le jour de mon emménagement. Un peu après t’avoir vu pour la première fois d’ailleurs, fit-il amuser. L’un de mes cartons s’était ouvert, et toutes mes affaires s’étaient renversées dans l’ascenseur. Elle est arrivée à ce moment-là, et quand elle m’a vu dans la galère, elle m’a proposé de me dépanner d’un grand sac pour m’aider avec mon bazar.
Je restai figé. Lui aussi l’avait rencontrée ce jour-là.
— Elle m’a dit de lui rapporter le sac au 222. Facile à retenir, vu que je suis au 322. Alors, quand tu m’as dit vivre au 223, j’ai fait le lien. Amusante coïncidence, tout ça.
— Et alors, tu lui as ramené son sac ? demandais-je avec beaucoup trop d’intérêt.
— Bien sûr, répondit-il, avec un sourire que je n’aimai pas trop. Et toi alors, tu la connais bien ? répondit-il en restant évasif sur ce passage qui m’intéressait tant où il était venu chez elle.
— On est amis, dis-je. Enfin, on boit le thé ensemble, parfois.
Je savais que j’exagérais, ce n’était arrivé qu’une fois. Mais je n’étais plus à un mensonge près, et je voulais à tout prix être celui qui était le plus proche d’elle.
— Elle est super sympa. Moi, j’ai cru qu’elle me draguait, avoua Don en riant.
Je serrai les dents sur cette dernière remarque. Peut-être qu’il s’en aperçut, car je sentais qu’il voulut arrêter toute sorte de compétition entre nous.
— Mais t’inquiète, c’est pas trop mon genre. Elle est cool, mais je ne pense pas que ce soit facile d’être son mec.
— C’est pas ce que tu crois, tentai-je de dire.
— Je t’assure, fit-il avec son air rassurant.
Je me sentais bien avec Don. J’aurais pu tout lui dire. Clara, les mensonges, les doutes. Mais j’avais trop joué un rôle et ça aura été fatal à notre si jeune amitié.
— Si tu veux, on pourrait se faire une soirée tous les trois ici, proposa-t-il. Ce serait sympa, non ?
— Ce serait super ! répondis-je aussitôt.
Je n’avais pas rêvé meilleur scénario. Un ami commun qui nous réunirait « par hasard ».
Avec Don, on avait continué à discuter pendant un long moment, sur d’autres sujets également, pour faire connaissance. J’appris qu’il était lui aussi originaire de proche banlieue, mais que ces parents avaient insisté pour qu’il s’installe à la résidence, afin de ne pas être déconcentré de ces cours avec les trajets. Lui trouvait ça inutile, mais avait accepté sans sourciller. C’était son genre, conciliant et positif. Un peu l’opposé de moi.
Je ne parlai pas de Clara ni de tout ce que je cachais. Mais je lui dis d’où je venais et qui j’étais avec une certaine franchise. J’évitai juste les sujets où je risquais de m’enfoncer dans mes mensonges.
Quand l’heure du dernier train retour approcha, je prétextai avoir à me lever tôt le lendemain, pour rentrer.
Don me raccompagna à la porte. Il semblait sincèrement heureux qu’on ait fait connaissance. Il me répéta plusieurs fois que j’étais l’un des premiers à vraiment sympathiser avec lui ici.
Je n’en revenais pas. Il était si solaire, pourquoi n’avait-il pas encore d’amis ? Peut-être que personne encore n’avait su le voir et c’est parce que j’étais le premier que j’avais la chance de mettre fait un ami aussi exceptionnel.
J’espérais qu’il reparle de cette soirée avec Blue. J’espérais que ça se fasse vite. Il m’avait promis de ne pas être intéressé par elle, et il semblait sincère. Il était peut-être le seul ami dont j’avais besoin. J’espérais juste que Blue, elle, ne soit pas attirée par lui.
On échangea nos numéros, et il me promit de me recontacter rapidement.
Alors que je m’apprêtais à partir, confiant, il lâcha simplement :
— Je vois avec Hélène pour la prochaine soirée tous les trois.
Je restai muet, ma confiance s’évapora. Il me sourit, mais je n’étais plus certain que ce sourire fût amical.
Je sortis avec une lourde angoisse qui naissait au creux de mon ventre.
Hélène. Blue s’appelait donc Hélène.
Et moi, je ne le savais même pas. J’étais encore si ignorant d’elle que je me sentis idiot de me croire son ami.
Plutôt que de me réjouir à l’idée de la revoir, je commençais à craindre d’être le seul à attendre ce moment.
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