Le délire

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Le délire est une passion virtuelle qui se décline comme une identité. C'est un jet de sperme à la face des promus C'est une anecdote irrévocable qui survient toujours dans le même bar, lorsque le garçon s'approche, son plateau à la main, et demande:

« Un demi ou un analgésique?

— Les deux, dans un grand verre, s'il vous plaît. »

Le délire est une récompense au goût de sucette à la grenaille. Ça commence dès l'enfance, lorsqu'on se réveille, un beau matin d'Avril, avec la sensation précoce que la neige est en ébullition. On a peur, on se recroqueville, on fait la sourde oreille aux injonctions de toute sorte. On ne veut plus sortir. On veut simplement écouter la musique qui monte des entrailles de la terre

« Ne fais pas l'idiot, tu t'en mordras les doigts. »

Mais le délire est bien loin de ces sottes considérations. Il a des téléphones qui sonnent dans toutes les langues.

Un soir que je n'arrivais pas à dormir, je me suis levé sans faire de bruit, et je me suis promené pieds et torse nus, dans la grande maison silencieuse. « IL » était là, assis dans le fauteuil de papa. Il chaussait ses lunettes et fumait ses cigarettes. « IL » m'a demandé:

— Petit, c'est où que l'on danse le Rumba? »

J'ai eu peur. « IL » m'a dit:

« Si tu as peur, il est temps que tu retournes te coucher. Plus tard tu apprendras à m'apprivoiser. »

Le lendemain, je n'ai pas eu le courage de raconter cela à ma mère, et mon père a cru que j'avais fumé ses cigarettes.

Bien plus tard j'ai compris qui « IL » était réellement. Alors, je me suis mis à écrire sa biographie. Des tomes et des tomes de biographie étincelante, neuve; et tous ces mots qui jaillissaient de mes yeux tels des ceintures magnétiques, finissaient en apothéose sur les Champs Elysées de mes pages blanches.

Trente ans, trente jours et trois heures de travail acharné. Des larmes de sang aux larmes de sueur, en passant par des stylos jetés aux oubliettes, ma vie était devenue un vieux souvenir blafard, juchée sur des tonnes de préjugés, entourée de reproches impuissants. Et moi, je luttais, montre en main, contre l'oubli, en dansant la sarabande avec mes mots à moi, ceux qui venaient de mon délire personnel. Je n'avais plus peur désormais. Je ne voulais plus me rendormir.

« Alors, petit, tu m'as enfin apprivoisé? »

Mais papa n'était plus là pour écouter la vérité.

« Ce n'est pas moi qui ai fumé tes cigarettes... »

Quelle importance maintenant.

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